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Vieillissement et nouvelles technologies : Enjeux éthiques et juridiques. Pour des technologies au service des capabilités et du bien commun

Rapport commandé par la Filière Silver Économie - Novembre 2019

Par: Fabrice Gzil, codirecteur de l'Espace éthique/IDF / Solenne Brugère, Avocate, Cabinet b Ethics /

Publié le : 03 Décembre 2019

Fichiers

Synthèse du rapport

Notre constat

Le monde vieillit. La France aussi.
Depuis sa création, la Filière Silver Économie a conscience du double défi de la longévité auquel nous sommes confrontés pour la première fois depuis l’origine de l’Humanité, à savoir un allongement important de la durée de vie, cumulé à une augmentation du nombre de personnes âgées, qui vient bousculer tous les équilibres sociaux, sociétaux et économiques. Parallèlement, une révolution numérique et technologique est en cours et s’accélère, partout, dans tous les secteurs d’activités, dans tous les foyers. Cette évolution, aussi bouleversante que l’invention de l’écriture ou l’imprimerie, semble également irrévocable.

À l’heure actuelle, cette transition numérique et digitale suscite beaucoup de craintes dans la société française : crainte d’une « ubérisation » de l’économie ; crainte d’une surveillance généralisée, contraire à la préservation des libertés individuelles dont la préservation d’une vie privée ; crainte d’une exploitation sans scrupule des données à caractère personnel dont des données sensibles sur la santé des individus par des acteurs uniquement intéressés par le profit ; crainte enfin d’un rapport homme/machine déséquilibré, où les algorithmes ne seraient plus une aide à la décision, mais se substitueraient sans contrôle aux capacités d’analyse et de jugement des êtres humains.
Il en va de même dans le champ du grand âge et de l’autonomie : l’irruption rapide de technologies, dont le mode de fonctionnement et les conséquences pratiques pour les aînés ne sont pas toujours bien comprises, se heurte à la lenteur manifeste avec laquelle des cadres juridiques et éthiques tardent à se mettre en place.
À cette croisée des chemins, inédite, viennent s’ajouter d’autres contraintes liées au climat et un souhait accru des personnes de trouver du sens dans leur activité et une meilleure qualité de vie.

Rien n’est encore écrit. Ce qui va se passer cela dépend de nous toutes et tous, de chacun. Il nous appartient d’impulser les choix politiques qui correspondent à nos aspirations. Et la Filière a une responsabilité dans la manière dont notre pays va orienter ses choix.
Deux scenarii sont possibles, deux voies, deux choix.
Le premier est déjà à l’œuvre dans certains pays : une société de surveillance et de contrôle ; une société déshumanisée avec le remplacement des êtres humains par des machines ; une société mettant en péril notre sécurité voire nos vies, avec le développement de nouvelles formes de délinquance et de cyber- criminalité.
Le deuxième scénario est celui que nous appelons de nos vœux : notre société et notre économie réussissent leur transition numérique et utilisent les nouvelles technologies – numérique, robotique, domotique, réalité virtuelle, big data, intelligence artificielle, objets connectés, smart cities, « jumeaux numériques »... - pour relever le double défi de la transition démographique et de la transition climatique.
Nous faisons le pari que la révolution numérique et ces nouveaux outils peuvent permettre de mieux répondre aux besoins et attentes des personnes âgées et de leurs aidants, familiaux, bénévoles et professionnels. Car ces outils peuvent être des aides inespérées pour recréer du lien social et intergénérationnel, pour rassurer les personnes qui savent qu’elles sont en sécurité, pour leur permettre de sortir, d’accéder à une richesse d’informations, de loisirs et de culture exceptionnelle et infinie.
Les technologies peuvent aussi formidablement assister les professionnels, diminuer la pénibilité de leur travail, fluidifier la transmission des informations, leur faire gagner un temps précieux, et leur permettre de mieux intervenir autour des valeurs qui ont motivé leur engagement initial, qui les a conduits à vouloir prendre soin de personnes âgées, parfois fragiles et vulnérables.
  

Le défi est immense, car dans le même temps il s’agit de trouver de nouveaux modes de financement, pour les retraites et pour la dépendance. Nous pensons ainsi vraiment que ce serait considérer les choses par un prisme étroit de ne voir les technologies que comme un moyen de réduire les coûts du vieillissement et de la dépendance.
Selon nous, la transition numérique est une occasion inespérée pour changer enfin d’approche, pour rompre définitivement avec le paradigme des incapacités, qui induit une approche tardive, institutionnelle, coûteuse, occasionnant beaucoup de frustrations chez l’ensemble des acteurs, et adopter enfin le paradigme des capabilités, qui induit une approche préventive, coordonnée, inclusive, tout au long de la vie, et qui permet une réponse domiciliaire, financièrement soutenable par les familles et par la collectivité.
Pour que cette promesse se réalise, il est impératif que les technologies et leurs usages respectent un certain nombre de règles, de principes et de valeurs, éthiques et juridiques. Ce sont ces règles, ces principes et ces valeurs que nous avons progressivement dégagés au cours des quatre mois qu’aura duré notre (trop courte !) mission.
Pendant ces quatre mois, nous avons eu le souci de rencontrer des personnes aux compétences et aux regards divers. Au cours des auditions et des ateliers que nous avons organisés, nous avons rencontré plus de cent-vingt femmes et hommes passionnés : philosophes et juristes bien sûr, mais aussi médecins, infirmières, sociologues, ethnologues, anthropologues, psychologues, ergothérapeutes, gérontologues, travailleurs sociaux, journalistes, blogueurs, élus, ingénieurs, informaticiens, développeurs, experts digitaux, représentants de living labs, de startups, de l’industrie, du monde de la banque, de l’assurance, de la protection sociale, acteurs de la grande consommation, des mobilités, de grands groupes publics et privés, d’agences et de caisses de l’Etat, d’institutions financières, d’associations et de fondations... Une quarantaine de personnes ont également bien voulu répondre au questionnaire que nous avions posté en ligne. Ce sont donc au total cent-soixante personnes qui ont accepté de réfléchir à nos côtés.