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Observations d’ordre éthique autour de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie

Analyse sous l'angle éthique de la Proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 17 mars 2015, suivi d'une proposition de nouvelle rédaction de l'article 3 L.1110-5-2

Par: Groupe de concertation éthique & fin de vie, Département de recherche en éthique, université Paris Sud /

Publié le : 01 Juillet 2015

Document finalisé le 28 mai 2015

 

Composition du groupe Concertation éthique & fin de vie, Département de recherche en éthique

Véronique Blanchet, Carole Bouleuc, Franck Bourdeaut, Anne Caron-Déglise, Isabelle Colombet, Sophie Crozier, Anne-Claire de Crouy, Bruno Dallaporta, Sarah Dauchy, Valérie Depadt, Gilbert Desfosses, Bertrand Galichon, Daniel d’Hérouville, Bernard Jeanblanc, Clémence Joly, Philippe Petit, Catherine Kiefer, Evelyne Malaquin-Pavan, Jean-Louis Misset, Sébastien Moine, Vianney Mourman, Martine Nectoux, Domitille Peureux, Nicole Pélicier, Gérard Ponsot, Sylvain Pourchet, Suzanne Rameix, Jean-François Richard, Martine Ruszniewski, Aline Santin, André Schilte, Elisabeth G. Sledziewski, Nathalie Vandevelde, Pascale Vinant
Coordination, Emmanuel Hirsch

 

Introduction

Les observations qui suivent ont été présentées à la commission des lois du Sénat le 18 mai 2015, au cours de l’audition d’Emmanuel Hirsch, Directeur du Département de recherche en éthique de l’université Paris Sud. Elles présentent, à partir des travaux du Groupe de concertation éthique & fin de vie, un commentaire des articles de la Proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 17 mars 2015.
Cette initiative de restitution publique des travaux du groupe intervient dans un contexte qui la justifie.
Constitué en 2012 au sein du Département de recherche en éthique de l’université Paris Sud pour accompagner la concertation nationale souhaitée par le Président de la République le 17 juillet 2012, le Groupe de concertation éthique & fin de vie réunit des professionnels de santé, des membres d’associations et des chercheurs en sciences humaines et sociale.
Il semble désormais évident que les parlementaires sauront comprendre l’importance d’une approche du texte de loi qui tienne compte des observations critiques, souvent convergentes, émises dans le cadre du débat public. Elles concernent l’esprit même du texte et sa portée en pratique, dès lors que « l’assistance médicalisée en fin de vie » ne serait être assimilée au suicide assisté ou à l’euthanasie.
 

Proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Quelques observations d’ordre éthique

1 - Titre de la proposition de loi

 « Loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. »
Quelle est la distinction entre « malades » et « personnes en fin de vie » ?
Pour la loi du 22 avril 2005, l’intitulé était « Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie ». « En fin de vie » justifie donc une précision au regard de « à la fin de vie ».
 

2 - Art. 1er - L. 1110-5 

« Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
Manque de définition de la « fin de vie » : notion imprécise qui peut susciter des interprétations, des confusions voire des dérives. Pour une personne atteinte d’une maladie chronique incurable, à quel moment est censée débuter la phase de fin de vie ?
De même l’affirmation « digne et apaisée » devrait être précisée : est-ce une conception qui serait celle de la personne malade (qu’en sera-t-il alors pour celle qui n’est plus en capacité de s’exprimer ?), ou bien celle de l’équipe médicale, de la famille, voire de la société ?
 
Avec la formulation scindée en deux phrases – l’une créant un droit à « une mort digne et apaisée » (qui correspondrait à une obligation de résultat) et l’autre imposant une obligation de moyens à mettre en œuvre –, les professionnels de santé ne seront-ils pas, et ce de manière inédite, contraints à une obligation de résultat ?
D’autre part, comment définir des notions aussi subjectives que celles de dignité et d’apaisement dans le contexte d’une mort médicalisée ?
La rédaction du texte et les principes qu’il pose induiront des difficultés évidentes, du fait des interprétations qui pourraient en être tirées dans le cadre de la relation de soin et plus largement des pratiques professionnelles.
Viser « une fin de vie digne et apaisée » ne relève pas de la seule capacité d’intervention des professionnels, les proches (familles, aidants) et la société ayant une part de responsabilité à assumer à cet égard.
« Les professionnels de santé (…) » N’est-il pas limitatif de circonscrire l’approche des « droits en faveur des personnes en fin de vie » à son caractère médicalisé ? En effet, la période de fin de vie peut s’étendre sur un temps prolongé de maintien au domicile, auquel beaucoup de personnes aspirent et qui revêt un enjeu sociétal majeur (« mourir en société ») qui justifie la mobilisation de tous.
Créer ce droit et cette obligation de résultat ne risque-t-il pas de provoquer des contentieux, tant ces concepts aux contours mal définis sont sujets à interprétation ?
La formulation préférable incluant d’autres devoirs d’accompagnement que ceux prescrits aux seuls professionnels de santé pourrait être : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisé, ainsi qu’à la mise en œuvre des moyens susceptibles de la lui procurer. »
 

3 - Art. 2 -  L.1110-5-1

Les traitements « sont suspendus ou non entrepris ». C’est affirmer que dans l’approche de certaines personnes malades la possibilité de faire devient une obligation. Y aura-t-il des poursuites en cas de non respect ? Dès lors que l’article est ainsi rédigé, la prise en compte de « la volonté du patient » est incompréhensible : puisqu’il y a obligation de ne pas faire, que se passerait-il dans le cas d’une personne malade demandant ces traitements qui ne permettent que le maintien artificiel de la vie ? Serait-elle confrontée à un refus systématique ? En outre, pourquoi la demande du patient ne précède-t-elle pas logiquement la question du maintien artificiel de la vie ?
 
« La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » : est-ce au législateur de qualifier les actes thérapeutiques des professionnels de santé ?
Un acte médical peut constituer – selon les pathologies et l’état des malades, de manière spécifique et singulière – soit un traitement soit un soin. La qualification est faite par les professionnels eux-mêmes, tenant compte de leur expertise, du contexte et de son évolutivité.
 
L’art. 8 - L. 1111-11 distingue la poursuite des traitements de celle des actes médicaux (« et ») : cette distinction peut être soutenue de la même manière entre traitements et nutrition/hydratation artificielles.


 

4 - Art. 3  L.1110-5-2

L’art. 4 devrait être situé à la place de l’article 3 : « Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. » Il s’agit d’une considération plus générale et moins circonstanciée sur ce que devrait l’être l’accès à la sédation profonde et continue (SPC).
 
La législation évolue d’une application de la sédation à des « situations dans lesquelles la question de la sédation se pose sont exceptionnelles, singulières et complexes[1] » à la prise en compte de « la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie (…) ». Sans précision apportée à la notion de souffrance (plus complexe on le sait que celle de la douleur), il semble évident que la pratique de la SPC tendra à se banaliser, à devenir routinière en trouvant des justifications d’extension.
 
Il serait réducteur de penser que des souffrances réfractaires (si l'on considère que la souffrance peut être physique, psychique, sociale et spirituelle) peuvent être soulagées par une simple analgésie. D'autres traitements spécifiques sont à disposition pour soulager la personne, et pourtant la formulation incite à ne proposer qu'une sédation en réponse à la souffrance. La sédation risque alors d’être considérée comme la seule option envisageable par les professionnels de santé dépourvus de suffisamment de compétences dans les stratégies de soins palliatifs.
 
L’article comporte une ambiguïté majeure dans sa rédaction qui modifie profondément  l’usage de la sédation.
En effet, la finalité de la sédation est d’éviter la douleur : il s’agit du but à atteindre, du résultat visé. Ce n’est pas parce qu’une sédation est prolongée qu’elle devient mortelle, ce n’est pas parce qu’elle est prolongée jusqu’au moment de la mort qu’elle provoque la mort. En quoi la sédation aurait pour fin de « ne pas prolonger inutilement sa vie » ?
Abréger la vie (« accélération du décès » dit la loi du 22 avril 2005) n’est plus un effet secondaire, néfaste, de la sédation justifié par le bénéfice supérieur qui est le bien du mourant (théorie classique des effets secondaires négatifs et des risques inhérents aux actes médicaux, comme par exemple les risques de l’anesthésie chirurgicale) : l’abrégement de la vie devient l’objectif visé d’un acte médical (la sédation), ce qui modifie la finalité même de l’intervention médicale et confère au médecin une mission inédite en rupture avec la tradition médicale.
En clair, la loi autoriserait un acte médical (la SPC) pratiqué intentionnellement pour abréger la vie.
 
La notion « prolonger inutilement la vie » peut ouvrir à des interprétations extensives. Sur quoi se fondera-t-on pour considérer comme « inutile » la prolongation d’une vie humaine?
 
« Une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, est  associée  à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. » Que veut dire « associée » : on pratique une sédation prolongée jusqu’au décès et donc on arrête les traitements de maintien en vie (pour « ne pas prolonger inutilement sa vie ») ? Ou bien, l’arrêt des traitements est décidé et on l’accompagne d’une sédation prolongée ? Cette seconde hypothèse non problématique est déjà envisagée dans le décret d’application de 2010 modifiant l’art. 37 du code de déontologie médicale : dès lors pourquoi la reprendre dans la loi ? En outre le texte ainsi rédigé ne risque-t-il pas de paraître encourager la personne malade à mettre délibérément fin à sa vie pour ne pas la « prolonger inutilement »?
 
« Une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès (…). » Y aura-t-il choix possible de la personne entre sédation et sédation profonde et continue  (quelle information visant à son consentement) ?
Comment évaluera-t-on le vécu et l’éprouvé (perceptions, voire émotions) de la SPC, et selon quels critères (complications intercurrentes, confort de vie, etc.), sachant que les études rétrospectives son difficiles à réaliser) ?
Quelle littérature scientifique le législateur a-t-il sollicitée pour décider de la recevabilité de la SPC au regard des risques évoqués de manière récurrente d’assimilation au suicide médicalement assisté ou à l’euthanasie ?
 
La sédation profonde est posée comme une réponse/alternative aux situations indignes des malades en fin de vie. Dans les faits, elle ne pose en rien le cadre de soins dignes et ne les requiert pas, voire peut avoir l’effet pervers inverse puisque qu’elle supprime la parole du patient et confronte les proches à une situation d’attente sans autre issue que la mort, dans un contexte où le sens du soin lui-même devient équivoque.
Qu’en est-il de la signification possible du temps d’attente sans relation avec la personne en SPC et sans intervention soignante jusqu’au décès, tant pour les proches que pour les équipes soignantes ?
Jusqu’à quel terme estimera-t-on cette sédation compatible avec « une fin de vie digne et apaisée » et avec des valeurs professionnelles (d’autant plus que les professionnels ne pourront pas faire valoir un droit de retrait à défaut d’une clause de conscience qui leur a été refusée) ? Les altérations du corps et certaines affections intercurrentes ne risquent-elles pas d’apparaître comme de nature à rendre « déraisonnable » et « inutile » la prolongation de la vie ?
Le caractère indéterminé de ce temps d’attente est propre à accentuer le sentiment d’indignité de la fin de vie, et donc d’encourager l’abrégement de  sa poursuite.
 
La distinction entre les notions de « faire mourir » et de « laisser mourir » est de fait abolie dès lors que la SPC est un protocole du mourir : sa temporalité devient purement formelle et se limite à l’apparence d’un processus naturel, enclenché par un acte médical visant à procurer « une fin de vie digne et apaisée ».
 

5 - Proposition de nouvelle rédaction de l’art. 3  L.1110-5-2

Après l’article L. 1110-5, sont insérés un article L. 1110-5-2 et un article L 1110-5-2-1 ainsi rédigés :
« Art. L.1110-5-2. – À la demande du patient ou par application de ses directives anticipées d’éviter toute souffrance, un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ;
« 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable, d’arrêter un traitement, engage son pronostic vital à court terme.
« 3° L’ensemble de la procédure est inscrit dans le dossier médical du patient. » 
 
«  Art L.1110-5-3 – Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable visée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès.
« 1° Le traitement à visée sédative et antalgique prévu au présent article est mis en œuvre dans le cadre d’une procédure de décision collective définie par décret.
« 2° L’ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. »
 

6 - Art. 8 - L. 1111-11 

« Toute personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées (DA) expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie visant à refuser, à limiter ou à arrêter les traitements ou les actes médicaux. »
Pourquoi limiter la rédaction des directives anticipées « à la fin de vie », dès lors que dans d’autres circonstances par exemple de planification des soins, elles peuvent présenter un intérêt ? Le risque est de ramener les DA à la seule question de la fin de vie et donc de susciter les réticences que l’on constate également dans le cadre du registre automatisé des refus de prélèvements d’organes.
La rédaction de DA donne actuellement aux soignants la possibilité d’échanger avec la personne malade à propos de sa compréhension des soins qui vont être prodigués, de ses peurs liées à ses expériences antérieures, et lui permet de bénéficier dès le début de sa prise en charge médicale d’une écoute et des échanges adaptés à ses besoins. Il s’agit donc d’un début d’accompagnement personnalisé en fonction des besoins propres de la personne, liés à sa maladie et aux soins tout au long de son traitement. Il est donc discutable de limiter la pertinence des directives anticipées au seul cadre de la fin de vie.
 
Pourquoi ne pas proposer de manière explicite dans la rédaction des DA l’option sédation ou celle de sédation profonde continue ?
Qu’en serait-il des personnes qui souhaiteraient la poursuite des traitements ou des actes médicaux ?
Qu’en est-il des personnes atteintes d’affections neurologiques dégénératives à impact cognitif comme la maladie d’Alzheimer ?
Pourquoi ne pas convenir des modalités d’une discussion anticipée sur la fin de vie dans le cadre des bonnes pratiques du soin ?

 
[1] « Sédation pour détresse en phase terminale et dans ses situations spécifiques et complexes : recommandation dans les situations spécifiques et complexes », SFAP, 26 mai 2009.