Notre Newsletter

texte

editorial

« Sauvez mon fils ! »

Ce témoignage est bouleversant. Le fils de ce père de famille, psychotique et toxicomane, s'enfonce dans la détresse. Par manque de moyens, de structures, de solutions, les malades sont confiés aux familles épuisées et en désarroi total. Avec l’autorisation de la newsletter VIVA Presse

Par: Christophe G., Père de Guillaume /

Publié le : 12 Mars 2014

Mon fils est toxicomane… ou psychotique… je ne sais pas. Est-il l’un parce qu’il est l’autre ou l’autre parce qu’il est l’un ?... je ne sais pas. Si tu veux avoir une idée de ce qu’est un toxicomane/psychotique, tu prends un verre, tu y mets un tube d'anxiolytique, un autre de médicament à base de codéine. Tu bois… et là, tu es heureux, calme, posé. Tes délires cessent. Tu te sens bien. Tu ajoutes un peu d’alcool et de cannabis. Trois heures. Les médecins t’ont laissé trois heures aux urgences enfermé avec lui, à le retenir pour ne pas qu’il s’échappe et le maintenir dans la réalité. La première fois, tu cherches du sens. Qu’est-ce qu’il me dit ? Qu’y a-t-il derrière tout cela ? Tu interprètes, tu cherches des signes… puis un jour, tu renonces et tu comprends que si tu rentres dans son jeu, c’est toi qui pars. Tu as besoin d’être ancré, posé dans un sol solide pour ne pas dériver. C’est ton enfant. Tu l’as aimé, choyé. Tu lui as lu des livres, transmis ce que tu pouvais lui transmettre. Tu l’as accompagné au judo, au ski, tu lui chantais des chansons pour qu’il s’endorme, tu l’as massé, tu lui as montré la Grande ours. Tu lui as raconté l’histoire, transmis l’ouverture, le refus du racisme, de la bêtise, de la simplicité. Tu as tenté maintes fois de lui expliquer que tout est complexe, qu’il faut douter pour ne pas tomber dans le piège de la certitude, faire ce que l’on peut pour être libre.
 

Un jour le monstre est apparu

Puis un jour, le monstre est apparu, petit par petit, miette par miette. Au début, tu n’y crois pas. Tu es aveugle, tu n’entends pas, tu refuses d’entendre. Mais la bête est forte, elle grignote peu à peu celui que tu as aimé, choyé et que tu as tant voulu aider à grandir. Jusqu’au jour où tout devient plus fort, plus clair. Ça saute aux yeux, ça devient évident. Tu en parles mais autour de toi, c’est le vide. Tout le monde se cache les yeux. Tu te sens coupable de voir ce que les autres ne voient pas. Tu le dis. Tu le cries. Tu l’écris mais à ce moment-là, tu deviens suspect. « Il souffre. Il déprime. Il ne supporte pas. Il doit se faire aider ». Jusqu’au jour où… l’évidence est trop forte et tous ceux qui t’ont suspecté se rendent à elle. Tu avais raison. Ce n’était pas qu’une banale crise d’adolescence, qu’un caprice passager de gosse. Voilà mon histoire. Voilà notre histoire. Je suis debout, encore vivant avec une terrible envie de vivre et d’aimer. Tu as envie d’espérer même si… tu as quelques doutes. Les médecins ont estimé que l’HDT n’était pas recevable. Il y a un mois, pour la troisième fois, il a été interné, enfermé. Suite à des troubles sur la voie publique, la police l’a emmené à l’hôpital. La psychiatrie de liaison l’a transféré dans un établissement public de soins psychiatriques. Là, il a frappé un médecin. Une semaine de contention… à se pisser et se chier dessus. Je vais à l’hôpital porter des vêtements. J’entends ses cris. Un loup féroce sortant de ses tripes. Je demande de sortir du service. La bête est là. Elle hurle. J’ai peur. Je veux m’enfuir. Fuir ces années d’impuissance où l’on ne sait pas à quel saint se vouer. Ils le cachetonnent. Pas le choix. Le mal le rend violent. Il faut le canaliser. Ça va être long. Au fond de toi, tu espères. Des mois et des mois. Tant qu’il est là, il cesse ses cocktails explosifs. C’est son troisième séjour. Les deux premiers, c’est toi qui les as demandés. HDT. Hospitalisation à la Demande d’un Tiers. Tu demandes à ce qu’on enferme ton gamin. La première fois est la plus difficile… puis après, on s’habitue à tout. Aux couloirs, aux regards fuyants, naïfs des patients. Aux visages et aux corps tordus par la maladie. La deuxième fois, ils l’ont interné dans l’USIP, Unité de Soins Intensifs Psychiatriques. Des contraintes drastiques. Six cigarettes par jour. Un appel téléphonique d’un quart d’heure par semaine. Une visite d’une demi-heure hebdomadaire… que tout comportement récalcitrant peut remettre en cause. Tu vas à l’USIP avec ton flanc aux œufs et ta bouteille de jus d’orange. Dans ces moments-là, le plaisir est dans peu de chose.
 

On s'habitue à tout mais pas aux cris

On te fouille. Tu laisses tout à l’entrée. On te demande si tu n’as pas glissé un objet métallique dans le flanc. Six mois après la sortie, c’est la nouvelle dégringolade. Les « rave parties » où les jeunes « s’amusent », une petite ligne de coke, l’héroïne. Le médecin de famille, sous couvert de secret médical, ne te dit rien. Ton fils est majeur. Tu ne peux rien. Il prend les cachets de Subutex, les broie et s’en fait une ligne royale. 18 mg. L’enfer est reparti. Tu ne contrôles plus rien. « Arrête ! Tu ne vas pas bien. Il faut te faire aider. » Vain ! Retour à la case départ… et tu retrouves dans l’univers blafard de l’hôpital psychiatrique ce loup hurlant. On s’habitue à tout. Les locaux, l’odeur, les blouses blanches mais pas les cris. Ce n’est pas le nouveau-né que tu as aidé à sortir du ventre qui vagit, c’est la mort qui lance son rut et qui t’avertit : « je vais le bouffer ». Les discours des soignants sont discordants. Pour les uns, la psychose est profonde. Pour les autres ce n’est qu’un problème d’addictologie. Il faudra qu’il sorte jusqu’au déclic. Le suivi ? L’accompagnement ? L’aide ? Néant ! Vous avez un rendez-vous dans deux mois dans un CMP où un psychiatre renouvellera l’ordonnance. Il sort. Il préfère sa chimie à la leur. Impossible de lui faire prendre le traitement. Il faudrait te battre mais le courage te manque. Tu es déjà bien héroïque. Tu le masses. Tu tentes de faire ressurgir cette relation si ténue et profonde que vous aviez quand il était enfant. Mais c’est vain, une fois encore. Il t’use et au moindre relâchement, l’élastique pète et il retourne à ses démons. Cette fois-ci, pas d’ordonnance, de rendez-vous. Il a demandé à un autre de briser la porte et s’est enfuit. Bien sûr, l’établissement n’a pas assumé ses obligations. La psychiatre ouvre le parapluie et lève l’obligation d’hospitalisation. Il est dans la rue… avec des tas de chimie dans le corps qui font que toute prise un peu hard pourrait le conduire à l’overdose. Tu attends. Tu te ronges. Tu viens de quitter sa mère parce que ta vie familiale est morte. Elle n’existe plus que dans la souffrance, quand la peur et la douleur rassemblent. Tu veux de l’amour, du plaisir. Tu as renoncé à croire que seul le devoir pouvait t’unir à elle. « Je te quitte sans haine et sans reproche mais j’ai besoin de vivre. Toi aussi, il me semble. » Le téléphone sonne. Il appelle au secours. Finalement tu le récupères et l’emmène à l’hôpital. "Qu’attendez-vous, te demande-t-on ?"
 

Les logiques comptables, hospitalières, je m’en tamponne.

Prenez-le. Emmenez-le. Protégez-le. Laissez-moi vivre et sauvez-le ! Je ne peux plus rien. - Nous ne pouvons accéder à votre demande. - Alors hospitalisez-le. Regardez, je viens de recevoir un mail de son éducateur qui l’a vu hier, l’a trouvé confus, a failli appeler le SAMU. - Ses délires ne sont pas assez manifestes. Nous ne pouvons pas l’hospitaliser. - Mais j’ai passé trois heures avec lui à entendre ses délires ! Vous n’étiez pas là ! Il y en a un autre sous sa casquette. Il veut être le nouveau Bill Gates ou je ne sais quoi. - Nous lui proposons une hospitalisation volontaire, dans trois jours. » Tu es parti. Que faire d’autre ? Le reprendre avec toi ? Accompagner ses délires sans savoir ce qu’il fera cette nuit ? J’ai fait ce que j’ai pu et ce que je devais. Les logiques comptables, hospitalières, la loi, les droits des patients, je m’en tamponne. J’aimerais tellement qu’on m’accompagne, qu’on m’aide, qu’on me prenne en charge, qu’on le prenne en charge. Je suis épuisé et l’abandonne dans les couloirs froids de l’hôpital, espérant que mon désarroi, mon renoncement et ma fuite les amènent à mesurer ma détresse et leur devoir. Monsieur le Président, Je vous fais cette lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Mon fils est toxicomane… ou psychotique… je ne sais pas. Je suis un père aimant, accompagnant qui depuis 10 ans lutte pour sauver mon fils. Sa mère est aimante, présente et lutte tout autant que moi. Je suis usé, fatigué, épuisé. J’ai 45 ans, je veux vivre, aimer, et disposer de toute mon énergie pour ceux que j’aime. L’univers psychiatrique est comptable, rationnel. Il gère les crises et fait sortir les patients, confiant à la famille aimante le soin nécessaire au malade. L’amour ne soigne de rien. Au contraire, il rend la douleur plus vive. Et je ne suis pas soignant. Je suis un simple parent. Je vous confie donc mon enfant, espérant de toute mon âme, qu’un jour, peut-être, la bête immonde ait quitté ses entrailles.