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editorial
Pour une responsabilité éthique de la communication relative à la pandémie grippale
Comment identifier, dans le cadre d'une pandémie, les messages, interlocuteurs et modalités d'une communication juste ?
Par: Jean-François Ternay, Maître de conférence en épistémologie, chercheur, Institut de formation d’ingénieurs, Université Paris-Sud 11 /
Publié le : 03 Septembre 2009
Texte Extrait de Pandémie grippale. Ordre de mobilisation, à paraître Éditions du Cerf, septembre 2009
Sur la transparence
Une première approche d’une éthique de la communication en matière de pandémie grippale concerne les contenus : la teneur de ce qui est communiqué.
En éthique la vérité n’est pas un dogme. Le secret a sa fonction et protège nos libertés dans le cadre du secret professionnel ou du secret de l’instruction par exemple. Dans la sphère commerciale, certaines stratégies nécessitent de cacher tout ou partie de l’information.
Dans la sphère privée, la transparence peut aussi être synonyme « d’impudeur, d’indiscrétion et d’irrespect des autres » comme le dit Jean-Denis Bredin (1), tant il est vrai que pour protéger un proche, la réserve et la discrétion peuvent être de mise.
Mais il ne peut en être de même en matière de stratégie de crise sociale. La population concernée n’est ni un « client » ni un « proche ». Elle est celle qui fonde l’organisation sociale que nous voulons démocratique et masquer tout ou partie de l’information, au prétexte qu’une panique puisse se produire, procède d’une mauvaise gestion de crise. La panique tient précisément au manque de confiance induit par la dissimulation de la vérité et l’absence de concertation avec les populations.
C’est malheureusement au nom de l’éthique que parfois les pouvoirs publics renforcent leur fonctionnalité en mutilant le droit d’informer qu’ils monopolisent. Ils sont tentés d’exercer un droit de censure et s’entourent de secrets « pour le bien des gens ». Rony Brauman (2) a ainsi mis en évidence que l’usage d’un prétendu humanisme pour aider au développement n’était parfois que l’alibi à l’installation d’une domination.
L’éthique appelle à la transparence et à l’accessibilité des informations. Aucune fin ne justifie que l’on trompe les gens, y compris par omission ou en complexifiant l’information au point de rendre le propos confus et par là même inaccessible.
Au delà du faux, du partial, et de l’incompréhensible
Il ne faut cependant pas s’arrêter aux problèmes liés à la véracité de ce qui est dit. Une éthique de la communication concerne à la fois les pratiques et les usages de la communication, c’est à dire tout autant les contenus que les conditions de la production des informations, le traitement qu’elles subissent, leurs modes de diffusion et de réception.
Il s’agit aussi d’une démarche de transparence mais qui, au-delà de la transparence des contenus de l’information, a comme objet la transparence des intentions. Elle permet à l’autre l’appropriation du discours en lui donnant les moyens d’exercer son libre-arbitre, d’agir en toute connaissance de cause et d’éviter ainsi le passage de l’information à la propagande. C’est d’autant plus important que se brouille aujourd’hui, sous couvert de stratégie de communication, la frontière entre communication politique et propagande. Comme le dit Jacques Ellul, « Il est un fait sur lequel il ne peut y avoir discussion, c’est la nécessité où se trouve aujourd’hui la démocratie de “faire de la propagande” (3)». La conséquence en est que certains voient de la manipulation partout, et les communications liées aux pandémies de grippe n’y font pas exception.
Les questions relatives à une éthique de la communication portent ainsi sur les moyens qu’il faut se donner pour permettre aux publics de repérer les locuteurs : ce qui les motive, l’origine de leur point de vue, les intentions sous-jacentes, l’habillage de leurs intentions et les éléments de séduction qu’ils utilisent.
Les éléments de réponses que nous proposons ici passent par une nécessaire mise en débat de l’information et par le renforcement des formations des publics aux médias, à la science et à la démocratie.
Repérer les locuteurs : les porteurs de paroles et leurs intentions
Il n’est pas toujours aisé en matière de pandémie de savoir ce qui légitime la parole d’un scientifique, d’un expert, d’un médecin, d’un journaliste ou d’un homme politique. Le scientifique parle-t-il en son nom, celui d’un ministère ou d’une université ? L’expert est-il mandaté par une organisation non-gouvernementale, un gouvernement, un industriel fabricant des vaccins ou des masques jetables, ou encore par un groupement économique d’éleveurs de poulets ou de cochons ? Le journaliste est-il indépendant dans ses propos, son journal appartient-il à un industriel ? L’élu local parle t’il en son nom, celui de son parti ou de la municipalité dont il a la charge ?
Il existe par ailleurs dans la société civile des groupes lançant des alertes, dénonçant des scandales, se posant comme défenseurs d’intérêts collectifs en lieu et place des autorités publiques. Leurs vitrines sont les « blogs », forums et autres « news group » dont des centaines sont consacrées à une possible pandémie grippale. Parmi eux nombreux sont ceux qui ne possèdent pas de signature explicite ou utilisent des pseudos, ce qui rend difficile l’appropriation des informations qu’ils diffusent, voire même induit de dangereuses rumeurs. Le 17 juin 2008, le directeur de la coordination de l’information et des mesures d’urgences Québécois annonçait sa décision au blog « zonegrippeaviaire (4)» de ne pas le reconnaître comme interlocuteur arguant du fait « qu’il ne voulait pas reconnaître les autres » aucune fiabilité n’étant reconnues à ces nouveaux médias sociaux.
C’est le fait de re-connaître celui qui parle et de connaître sa motivation qui permet, éventuellement, de remettre en question sa parole et de construire son propre point de vue. Le public doit pouvoir décrypter l’information ou la consigne : est-elle induite par l’idée de partager un savoir ou par l’objectif plus fonctionnel de sauver le maximum de gens, un secteur agro-alimentaire, une politique gouvernementale ou encore de vendre du Tamiflu®, du Relenza® et des masques de protection à l’instar de nombreux sites sur l’Internet ?
Permettre la distance critique, discerner les éléments formels et séducteurs qui habillent les discours
L’appropriation d’une information par un public n’est possible que s’il peut maintenir une distance critique, au-delà d’une adhésion émotionnelle. Or, l’autorité naturellement portée par les gouvernements et les instances internationales, mais aussi par les scientifiques, les médecins, les journalistes, implique chez certains une adhésion inconditionnelle ou inversement, chez d’autres, une rébellion. Comme l’indique le sociologue Pierre Bourdieu, « il y a un rapport de complicité subie qui fait que certains aspects de ce monde sont toujours au–delà ou en deçà de la mise en question critique (5)»
Il faut se prémunir de cet attachement et de ces réactions émotionnelles qui n’ouvrent pas à la réflexion. Il en est de même de l’usage de la peur qui est une manière, en effrayant, en sidérant par l’émotion, d’imposer son point de vue en bloquant toute communication. Le film « fatal contact » (6) et plus globalement le choc des mots et des photos dans les alertes à la pandémie diffusées par les médias en sont de bons exemples.
En parlant des images la philosophe Marie-José Mondzain nous rappelle que : « Tous ces dispositifs de croyance et de fabrication sont fondés sur l’identification. Ne faire qu’un avec ce qu’on voit est mortel et ce qui sauve, c’est toujours la production d’un écart libérateur. (7)» L’image en l’occurrence invite rarement à l’écart et à la réflexion.
Nécessaire mise en débat
Il n’est pas toujours facile pour les « porteurs de paroles » de s’adapter à différents publics en laissant transparaître les mobiles de leurs discours, les compromissions qui les contraignent et les recettes de leur séduction. Aussi doivent-ils laisser à d’autres la possibilité de le faire.
C’est au cours de débats que peuvent se dévoiler aux publics les motivations des uns et des autres et les ressorts de leurs argumentations. Les gouvernements, notamment, doivent favoriser ces controverses et non pas s’en prémunir ; à tout le moins ils doivent laisser des contre-pouvoirs mettre la parole des uns et des autres en doute, en débat. Ainsi, au delà de l’information, c’est dans la controverse qu’auditeurs et spectateurs peuvent élaborer leurs points de vue et lentement « faire siennes » les idées des uns et des autres.
Noam Chomsky, aux USA, nous avait déjà alerté sur l’illusion de participation que procure l’information : « Dans une démocratie libérale comme la nôtre, nous vivons sur l'illusion que la population participe à la gestion de ses affaires et que les médias sont indépendants et nous fournissent l'information nécessaire à nos prises de décision communes. (8)»
Sans discussion, il n’y a pas d’appropriation de l’information possible. Et sans appropriation, il n’y a pas d’action possible autrement que sous la contrainte psychologique ou physique. Mieux, avec la discussion, le citoyen participe aux processus décisionnels de gestion de crises.
Car « informer » n’est pas « communiquer ». Un « communiqué » gouvernemental est une information, ce n’est pas une communication. De même les médias ne communiquent pas : ils nous informent. La communication est une négociation entre partenaires (9) et faute de partenaires vigilants, il ne saurait y avoir de communication. En définitive, toute communication en matière sociétale, pour qu’une adhésion soit possible, relève de la démocratie participative.
Il s’agit de savoir ce que l’on fait et ici le « on » a son importance. Aujourd’hui, en période de menace d’une explosion des infections par le virus A/H1N1v, chacun sait-il ce qu’il veut ou doit faire ? Avec qui en a t-il discuté, débattu ?
Le sentiment de responsabilité collective ne s’acquière pas seul, isolé devant son poste de télévision. « On » est informé et a bien compris, grâce aux campagnes publicitaires gouvernementales et aux médias, qu’il fallait se laver les mains et que chacun pourra se procurer des masques. Mais a-t-il compris qu’il ne s’agit pas de se protéger soi-même, comme on se protège de la gastro-entérite par l’hygiène ou de la pollution par des filtres, mais qu’il s’agit d’une démarche collective qui vise à protéger les autres ? A en croire la réaction de certains qui pensent n’engager qu’eux-mêmes en bravant la maladie sans masque, il semble que l’idée d’une responsabilité collective ne soit pas passée.
En cas de mutation vers une forme plus nocive du virus, « on » a-t-il mesuré le cruel dilemme qui fera qu’en accompagnant la maladie de ses enfants, de ses parents, de sa femme ou de son mari, il en sera probablement lui-même victime ? A-t-il pris conscience qu’inversement, en les fuyant, il portera la honte d’avoir abandonné ses proches, à vie et peut-être sur plusieurs générations, à l’instar des collaborations qui divisèrent les villages à l’issue de la dernière Guerre mondiale ?
Quant au corps médical, notamment les médecins et les pharmaciens, ont-ils pu débattre collectivement et élaborer ensemble, au-delà de leur déontologie professionnelle, un sentiment de responsabilité et d’entraide ? A défaut, ne risquent-t-ils pas de suivre leur intérêt individuel ou familial : en cas de grande virulence du virus grippal, certains choisiraient ainsi de fuir et de s’isoler dans leur résidence secondaire le temps que la crise passe. Toutes ces questions relèvent d’une responsabilité collective et nécessitent la conscience d’appartenance à une collectivité pour être solidaires dans l’adversité, notamment à l’égard des plus vulnérables.
Au niveau de la société civile, des débats publics ont-ils été organisés avec les gestionnaires de la crise potentielle au niveau des quartiers, des municipalités, des départements… Un dialogue avec les populations a-t-il été instauré ?
Il ne s’agit plus d’information. Pour dialoguer, il faut être deux, et seul le dialogue permet l’adhésion. Quand chacun peut être choqué d’être traité en terme statistique, c’est en débattant avec les gestionnaires de l’établissement des priorités qu’il devient possible de s’approprier l’approche « populationnelle » de la santé publique. Quand chacun se tourne vers l’État pour réclamer une « assurance tous risques », c’est dans la discussion qu’il est possible d’en pointer l’impossibilité. Dans son article portant sur les limites de l’information en matière de santé publique, le journaliste Pierre-Yves Poindron cite Philippe Lazar (ancien directeur général de l’INSERM) qui disait qu’il fallait retrouver le dialogue avec les populations, notamment sur le thème de l’incertitude : « il faut habituer la population à l’incertitude, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit totale, mais il faut expliquer par exemple que le risque zéro n’existe pas … (10)»
Guy Vincendon, biologiste, préconise la promotion d’un partenariat avec les publics par l’instauration de mini-parlements où seraient discutées, de manière encadrée, les mesures et les décisions. Il ne faut pas dénier au profane la production de connaissance car la construction d’un espace public de discussion transforme en profondeur le processus de décision.
A l’image des cercles de qualité où chacun dans l’entreprise était mis à contribution, le public concerné par la pandémie peut élaborer ses arguments et ses recommandations.
Au delà de l’urgence, une préparation qui passe par une éducation aux médias, à la science et à la démocratie
Il reste à se pencher sur les publics eux-mêmes, les destinataires de l’information. Selon l’adage bien connu, « il n’est pire sourd que celui qui ne veux pas entendre ». Quelle que soit la qualité des informations transmises et la transparence des intentions, elles n’empêcheront pas chez certains, la projection d’intentions et de contenus imaginaires. Se renseigner, écouter, trier, rationaliser, relève aussi d’une attitude citoyenne active, qui est le ressort même d’une démocratie. Si l’éthique peut-être considérée, à la manière des anciens Grecs, comme l’art de bien vivre ensemble, il est du devoir des citoyens d’être vigilants, d’entrer en communication et de négocier.
Mais cet appel à une vigilance citoyenne ne se décide pas en un jour. Elle relève sur le long et moyen terme d’une éducation aux acteurs que sont les médias, la recherche scientifique et médicale et les pouvoirs publics.
Une culture des médias permet par exemple d’appréhender ces « hauts parleurs », à la fois comme des outils de démocratie, comme des contre pouvoirs qui font l’objet d’une déontologie journalistique mais également comme des entreprises commerciales. Elles se rentabilisent sur des publicités liées à l’audience et donc une mise en spectacle du réel.
Une culture scientifique permet de distinguer l’expertise de la recherche, et d’appréhender les acteurs de la science à la fois comme porteurs d’une rationalité objective et comme inscrits politiquement et économiquement dans notre société.
Dans cette négociation permanente qu’est la communication, la connaissance des acteurs et l’usage d’un langage commun est nécessaire. Faute de l’avoir préparé, il ne reste le jour de la crise venu qu’autoritarisme et soumission, modèle de gestion des plus contestable où seuls les plus forts ont une chance de survivre.
Rappelons que l’éthique, et a fortiori une éthique de la communication, n’a pas pour objet de donner des leçons à quiconque, ni celle de défendre des valeurs morales établies. Elle a pour mission, humblement, au travers de recommandations, de tenter de répondre à la question : « Que faire ? » Ici et maintenant, dans l’urgence et à long terme, pour que chacun ne soit pas hostiles aux autres, notamment aux plus vulnérables. En période de crise, tout doit être mis en œuvre afin que le « sauve-qui-peut » général et l’explosion des conflits d’intérêts ne mènent pas à de nouvelles formes de barbaries.
Une transparence n’est possible que dans la mise en débats des paroles : aussi bien celles des représentants des pouvoirs publics que celles des médias institutionnels et sociaux, des scientifiques et des experts.
Une mise en débat qui doit permettre l’appropriation des idées et l’adhésion aux mesures qui en découlent, dans le cadre d’instances participatives encadrées et de formations aux problématiques de santé et de société.
Notes :
(1) Jean-Denis Bredin, « Secret, transparence et démocratie », Pouvoirs, n° 97, avril 2001, p. 5.
(2) Rony Brauman, Penser dans l’urgence. Parcours critique d’un humanitaire, Paris, Seuil, 2005.
(3) L’assertion de Jacques Ellul date de 1962. Citée dans « Propagande et communication politique dans les démocraties européennes (1945-2003) », Vingtième Siècle, no 80 2003/4.
(4) http://www.zonegrippeaviaire.com/showthread.php?t=1894#9. Consulté le 14 juillet 2009.
(5) In « Entretien de Didier Eribon avec P. Bourdieu », Libération, 19 octobre 1982 (à propos du livre Ce que Parler veut dire).
(6) « Fatal Contact : Bird Flu in America », diffusé le mardi 9 mai 2006 à 20 heures sur abc television network. Production abc, Fiction de 90 minutes.
(7) Marie-José Mondzain, L’image peut-elle tuer ?, Paris, Bayard, 2002, p. 29.
(8) Noam Chomsky, Robert W. McChesney, Propagande, medias et démocratie, Paris, Écosociété, 2005.
(9) Dominique Wolton. Discours de clôture du bilan de L’Institut des Sciences de la Communication, Paris, 7 juillet 2009.
(10) Pierre-Yves Poindron, « Les limites de l’information en matière de santé publique », In Médias santé politique, sous la direction de Michel Mathien. Paris, L’Harmattan, 1999.
(11) Guy Vincendon, « Un exemple de réflexion d’un organisme de recherche sur la communication », ibid.
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