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Octobre rose - L’envie de vie

"Ne pas susciter la compassion de l'autre qui vous observe, vous scrute, comme s’il pensait en être obligé et témoigner ainsi des égards. Éviter de susciter la peine des proches. S’encourager et encourager avec des compliments qui stimulent est une manière de lutter au quotidien."

Par: Sylvie Froucht-Hirsch, Anesthésiste réanimateur, Fondation Ophtalmologique Rothschild, auteur de Le temps d’un cancer – Chroniques d’un médecin malade, Éditions érès /

Publié le : 04 Octobre 2016

Le lymphœdème handicapant du bras droit ne suffisait pas. Désormais les objets saisis disparaissent au sol, jamais attrapés, toujours lâchés. La radiothérapie a brûlé les nerfs du bras.
Les années 1990 ont été cruelles ; le cancer a attaqué les deux seins.
Avril 2016, le petit bout de sein gauche qui avait été épargné s'est révolté. Il exprime l’envie de disparaître en crachant du sang. Alors au mois de juillet la sanction est tombe : mastectomie totale… à 88 ans.
Cette histoire de vie me concerne, elle me touche.
Le cancer du sein est tenace. Il ne voit pas le temps passer. Il aime se rappeler à l'autre.
En l’occurrence, il n'a pourtant pas eu le dernier mot ; les progrès de la (médecine, cancérologie, anesthésie, chirurgie) ont permis à cette « mère courage » de partir en vacances une semaine après l'opération !
Cette dernière intervention a fait de cette femme une « révoltée augmentée ».
Le comprimé quotidien fait perdre les cheveux : « Jamais on ne verra mes soucis ! », telle est sa devise
Ne pas susciter la compassion de l'autre qui vous observe, vous scrute, comme s’il pensait en être obligé et témoigner ainsi des égards. Éviter de susciter la peine des proches. S’encourager et encourager avec des compliments qui stimulent est une manière de lutter au quotidien. Le souci et l'estime de soi font partie des précieux remèdes non médicamenteux qui s’imposent dans le combat à mener au nom de la dignité.
Comme médecin, j’aimerais pouvoir prescrire :
« Madame F.
Une séance de coiffure tous les mois, à renouveler 6 fois.
Une séance de soins esthétiques tous les 15 jours, à renouveler 6 mois.
Un vêtement coquet spécial lymphœdème. »
Ce serait ainsi permettre, autrement, en dehors des traitements, de vivre la maladie le mieux possible, le plus confortablement. Ces personnes ont besoin de dépasser les menaces et les peurs immédiates, de retrouver ce qui les rassure, de s’arrimer à des repères, de colorer en rose la vie, de « voir la vie en rose ».
 
« Octobre rose » à pour fonction de prévenir. Prévenir les femmes qu'elles peuvent avoir un cancer du sein et les encourager à rencontrer les dépisteurs, les pisteurs de tumeurs. Prévenir, peut-être ceux qui n’y penseraient pas, que parmi nous certaines vivent la maladie dans la solitude, l’indifférence et parfois la précarité.
Une telle sensibilisation aux enjeux au dépistage du cancer du sein est utile. J'en ai bénéficié.
Une  fois, deux fois...
Toutefois je l'avoue, ce rappel annuel me pèse quelque peu, lorsque se rajoute de surcroît des contrôles médicaux réguliers. J'en ai pris pour la vie : une peine de vie pour ne pas mourir…
Dépister le cancer du sein m’a amplement suffit. Que faire alors du dépistage du cancer du colon qui nous est également proposé, comme du reste de tant d’autres éventualités qu’il nous faudrait anticiper de manière responsable ? Je n'ai jamais donné suite à cette sollicitation. Les personnes déjà éprouvées par une maladie grave ont-elles comme souci d’appréhender l'idée d'une nouvelle menace ? Ne souhaitent-elles pas plutôt aspirer à une certaine quiétude ? Ne convient-il pas de considérer  possible de se sentir bien, y compris lorsqu’il a été nécessaire de mobiliser tant de forces pour surmonter les défis ?
Il ne faut pas vivre avec l'idée persistante du cancer grave auquel on a échappé.
Je ne suis pas cancéreuse « par nature », je ne suis pas née cancéreuse ; le cancer ne me définit pas, il ne me réduit pas à ses représentations péjoratives et aux discriminations que trop souvent encore il suscite.
Différent du médecin qui accède à une connaissance scientifique de la maladie qui en neutralise les angles vifs, la personne malade éprouve dans son esprit et dans son corps les entames de la maladie. Son expérience personnelle, intime lui confère un savoir bien particulier et si difficile à partager avec d’autres. Je ne me reconnais pas dans ces témoignages de « malades experts » qui trop souvent tentent d’exprimer leur version du parcours dans la maladie dont de toute évidence il est si délicat de restituer la complexité et la singularité.
Il nous faut pouvoir dépasser la maladie, ou plutôt l’intégrer au plus profond de notre conscience, et parfois en partager certains moments avec ceux qui peuvent et savent recueillir dans la confidence ce qu’il est si douloureux d’évoquer.
 
« Octobre rose » peut être ressenti comme une confrontation difficile, voire cruelle par ceux qui sont envahis pas les obligations de traitements astreignants, de visites, de bilans appréhender comme des verdicts et redoutés tant on craint ce que signifie la mauvaise nouvelle.
Cette célébration publique éveille-t-elle à davantage de solidarités, de sollicitude, d’engagements en soutien aux personnes vulnérables dans le parcours du cancer ? S’agit-il seulement d’un temps rituel dédié à l’information et à la prévention, à cette prescription des bonnes attitudes notamment en faveur d’une prévention afin que chacun se pense quitte à l’égard de ceux qui auraient refusé de savoir ?
Je retiendrai, avec un certain optimisme ce rose d’octobre comme un baume qui porte la promesse d’une reconnaissance de la personne malade et de ses proches, d’une hospitalité indispensable au parcours dans la maladie et plus encore à cette envie de vivre qui permet de braver les plus hauts défis.