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Nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie. Qu’en est-il des personnes qui ne seraient pas en capacité de les exercer ?

"La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie assure-t-elle la suprématie des droits des patients à imposer, face aux médecins, le respect de leurs volontés clairement exprimées, ou exonère-t-elle les médecins d’assumer leurs responsabilités"

Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /

Publié le : 03 Janvier 2017

Jeudi 2 février 217 (14-18H, Mairie du 4ème arrondissement de Paris) ; L’espace de réflexion éthique de la région Île-de-France en partenariat avec l’Espace éthique Maladies neuro-dégénératives, organise un colloque à l’occasion du 1er anniversaire de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Il s’agira de débattre d’une réalité  négligée dans l’approche du législateur : qu’en est-il des personnes qui ne seraient pas en capacité d’exercer les droits promus par cette loi, notamment  les personnes atteintes de maladies neuro-évolutives ou psychiatriques ?
 
 

Décisions statistiques

Accord éclairé et directives anticipées : quelles valeurs décisionnaires leur attribuer dans les situations complexes de renoncement aux soins lorsque les personnes malades sont atteintes de troubles cognitifs ou de troubles psychiatriques ? Et bien au-delà même, pour toutes les personnes malades, trop épuisées physiquement ou trop seules pour trouver encore un sens à la poursuite de leur vie ?
En d’autres termes : la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie  assure-t-elle la suprématie des droits des patients à imposer, face aux médecins, le respect de leurs volontés clairement exprimées, ou exonère-t-elle les médecins d’assumer leurs responsabilités selon leurs connaissances et leurs devoirs déontologiques, en exerçant eux-mêmes les choix ultimes de poursuivre les soins ou d’y renoncer ? Certaines situations concrètes vécues dans les hôpitaux autorisent à s’interroger sur le sens de cette « victoire » des patients contre ce que certains déplorent : la toute-puissance médicale.
Nombre de situations de fin de vie, aussi difficiles soient elles pour celui ou celle qui va mourir comme pour ses proches, sont cliniquement assez simples, et permettent aux médecins de donner à la personne malade elle-même, à ses proches et à l’équipe soignante, des éclairages compréhensibles, légitimes aux yeux de tous, permettant alors l’expression d’une réelle collégialité dans les choix ultimes qui vont devoir se mettre en place.
Pourtant il est d’autres situations médicales qui sont loin d’être aussi évidentes, en particulier lorsque les capacités décisionnaires de la personne malade peuvent légitimement être mises en doute. Qu’en est-t-il alors lorsque la médecine collecte, classe et interprète des données numériques pour lui prédire son avenir à plus ou moins court terme, ainsi qu’à ses proches ? Comment prendre des décisions à partir d’éléments statistiques, en apparence scientifiques et rationnels, tout en sachant qu’aucune statistique ne répond à une situation particulière, comparable à nulle autre, et tant les marges d’incertitude sont immenses dès lors qu'elles peuvent conduire à la vie ou à la mort ? Autant de propos médicaux complexes, inaudibles pour l’immense majorité des proches penchés sur le lit d’un aimé, guettant avec entêtement tout signe, même le plus subtil, permettant d’espérer une amélioration.
« Malheureusement, madame, les données biologiques de votre mari aujourd’hui le mettent dans le très faible pourcentage, 11 % exactement, des patients qui ont des chances de sortir vivants de réanimation. Il serait donc raisonnable de parler à vos enfants pour envisager de le laisser s’endormir… »
 

Décisions aléatoires

La médecine prédictive voudrait désormais s’appuyer sur un déterminisme génétique qui ne permet, à l’heure actuelle, une projection certaine que dans quelques rares maladies très particulières, mono géniques comme la Chorée de Huntington. Les maladies neuro-évolutives sont dans leur immense majorité, déterminées par un ensemble mal connu de gènes et fortement influencées par l'environnement humain et les conditions de vie. Maladies multi factorielles, elles n’offrent aujourd’hui aucune possibilité scientifiquement définie d’en faire un pronostic un tant soit peu fiable et éthiquement défendable.
Cette « obscurité » scientifique rend terriblement aléatoire les prévisions, projections, et affirmations purement déclaratives qui permettraient de faire porter à la seule personne malade et/ou à ses proches intimes, le poids décisionnel de la vie continuée, ou de la mort annoncée, programmée, organisée.
Mais d’autres paramètres bien moins connus du grand public que les seules capacités décisionnelles des patients, viennent aussi interférer dans des choix de renoncement aux soins.
Ainsi l’organisation des hôpitaux est telle aujourd’hui que des décisions peuvent être différentes selon le jour de la semaine. Programmer un vendredi une chirurgie un tant soit peu aléatoire mais permettant peut-être de sauver la vie du patient avec de bonnes perspectives d’un rétablissement total, n’est pas « raisonnable » pour certains chirurgiens, en raison d’un suivi pendant le week-end par trop déficient. La traduction en langage clair est que les décisions de poursuite des soins actifs ou de renoncement peuvent parfois être différentes en début et en fin de semaine…
Un autre paramètre n’ayant rien à voir avec la médecine, la connaissance scientifique, la loi, ou la déontologie sera également l’absence ou la présence insistante d’une famille. Un époux, des enfants, taxés d’être « dans le déni de la gravité de la situation », voire de « famille dérangeante, envahissante » obligera nombre de médecins à retarder une décision finale d’arrêt des soins dans la seule crainte d’une poursuite judiciaire... Le plus interrogeant de cette situation est bien que ce « retard » à la décision irréversible permet parfois à l’équipe médicale de remettre en question son pronostic initial, de réfléchir à d’autres possibilités thérapeutiques, aboutissant, à leur grand étonnement, à une issue tout à fait favorable ! Comme quoi une famille qualifiée « d’odieuse » peut parfois avoir, par amour, raison contre la science médicale.
Ces aléas de la médecine prédictive ne concernent pas que les maladies neuro-évolutives. Ils touchent également les personnes souffrant de troubles psychiatriques graves qui peuvent s’opposer d’une façon parfois très violente à toute exploration médicale permettant de poser un diagnostic solide dans la perspective de choix éclairés. La tradition psychiatrique de non intervention médicale sur un patient non compliant, peut alors conduire à de véritables maltraitances des corps de ces malades touchés, comme n’importe qui, par une maladie somatique.
 
Les terribles totalitarismes du 20ème siècle et le terrorisme d’aujourd’hui procèdent toujours de la même façon : ce n’est plus à vous de décider en conscience ce qu’il convient de faire lorsque la vie et la mort sont en jeu. Contentez-vous d’appliquer les lois étatiques. Ne laissez aucun espace aux doutes de l’esprit. Notre société contemporaine semble ainsi souhaiter éradiquer de nos existences les zones d’ombres incontrôlables. Rêves de toute puissance où la mort n’est plus qu’un échec, au lieu de lui garder sa juste place, celle d’être l’autre extrémité d’une vie commencée le jour de sa naissance. La caractéristique et la grandeur de l’être humain n’est-elle pas pourtant de vivre en inquiétude, de chercher pour créer, et de choisir dans l’interrogation ?