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editorial
Mise à mort dans les formes
Par: Sylvie Froucht-Hirsch, Anesthésiste réanimateur, Fondation Ophtalmologique Rothschild, auteur de Le temps d’un cancer – Chroniques d’un médecin malade, Éditions érès /
Publié le : 20 Novembre 2009
Bientôt sera discutée une proposition de modification du code de santé publique relative au droit de finir sa vie dans la dignité.
Le patient en perte d’autonomie dans sa fin de vie, devient dépendant d’une nouvelle logique médicale accompagnée de procédures que le législateur souhaite implanter dans la culture du soin. Le médecin se doit d’acquérir une nouvelle compétence, celle du soulageur, intervenant habilité à achever au fil de l’épée la vie des grands blessés sur les champs de bataille de Napoléon.
On réfléchit aujourd’hui davantage aux modalités d’interruption des soins, du faire mourir, qu’aux nouvelles obligations du soin dans un contexte de haute technicité et de sensibilité portée à l’autonomie de la personne malade. De quelle manière assumer socialement la réalité du handicap, celle de la personne malade ou handicapée ?
Il est si difficile de faire mourir… affirment certains réanimateurs qui, piégés, se prennent pour des héros modernes affrontant ainsi les difficultés de vivre, de survivre et d’arrêter la vie après en avoir limité le cours.
Dans une proposition de loi actuelle, il est prévu que le médecin devra se doter et enrichir ses savoirs d’une formation relative aux conditions de réalisation, selon les règles, d’une euthanasie.
Deux catégories de médecin cohabiteront de la sorte : les diplômés de la mort et les autres.
Se rend on compte de l’absurdité et de la violence générées par une telle idée de formation ? L’anesthésiste réanimateur que je suis sait parfaitement endormir… il connaît ses limites et s’efforce en toute circonstance de chercher comment hiérarchiser ses décisions en concertation avec les personnes impliquées dans les choix ;
Quelle signification vont prendre demain les échanges auxquels nous habituent désormais les évolutions dont nous sommes témoins ? :
« S’il se passe quelque chose docteur, ne me réveillez pas…
- Madame, même sans moi vous allez vous réveiller…
- Alors, docteur, faites ce qu’il faut pour que je ne me réveille pas ! Si j’ai le moindre handicap que je ne veux pas assumer…
- Vous voulez que je vous tue ? »
Prétextant l’alibi de la maladie, certains souhaitent la mort provoquée par le médecin. Cela relèverait ailleurs de la notion d’homicide.
Pourquoi ne pas former une cohorte, créer un nouveau métier (à l’heure du chômage, des licenciements et de la gestion utilitariste de la santé publique), constitués de ces nouveaux professionnels compétents dans la pratique de l’euthanasie sur simple demande ?
Ne devrait-on pas comprendre la signification d’un autre appel citoyen, profondément différent, opposé aux compassion fallacieuses, attentif aux vulnérabilités de la vie jusqu’à son terme, soucieux d’une conception intègre et courageuse de la vie dans la dignité ?
La peur d’une judiciarisation excessive des pratiques, le sentiment du jugement rapide et intrusif des proches, sont de nature à entraver la réflexion médicale argumentée et à nuire ainsi à la réputation d’une profession. Telle trachéotomie permettant un sevrage ventilatoire plus progressif et temporaire peut être vécue par certains comme un acte futile du point de vue de la préservation d’un handicap, et n’est plus assumée aujourd’hui par le médecin, ce qui génère de toute évidence des mentalités discutables et de mauvaises pratiques.
En quoi la dignité est-elle honorée lorsqu’il ne s’agit plus que de tuer autrui en respectant la méthodologie prescrite ?
De quelle conception de la dignité est-il en fait question ?
La fin de vie est digne en elle-même comme l’est une existence respectée et que l’on ne méprise pas au point de considérer justifié et acceptable de l’anéantir.
En quoi la dignité est-elle assurée dans le protocole de la mort provoquée ?
Cette formation universitaire à l’euthanasie proposée comme l’acquisition indifférenciée de compétences nécessaires, représente une injure faite au médecin et aux traditions dont il est porteur.
Je propose alors d’aller plus loin et d’éditer le petit manuel du parfait tueur.
Dans chaque service sera bientôt installée la chambre de l’ultime soin (instituée par le législateur), celle ou l’on meurt dignement, mis à mort avec les formes, selon la loi… Les réservations pourront se faire sur Internet, lorsque l’envie d’en finir dominera la volonté de persister dans l’effort de vivre. Une nouvelle fonction est offerte aux institutions en quête d’activité et de légitimité.
Je ne me reconnais pas dans cette conception du soin, et comprends ce que devra signifier un devoir de dissidence dans un contexte où le mépris est poussé jusque dans ses derniers retranchements.