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editorial
Lorsqu’une loi en psychiatrie manipule les peurs et accentue les défiances
À propos de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
Par: Rémy Crosnier, Psychiatre / Aymeric Reyre, Psychiatre, service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, de psychiatrie générale et addictologie, Hôpital Avicenne, AP-HP /
Publié le : 06 Février 2012
Les limites de l’humanité, au-delà desquelles on ne serait plus un homme
La loi du 5 juillet 2011 adoptée au cœur de l’été vient altérer profondément l’esprit et le cadre légal régissant les soins psychiatriques en France.
La nature singulière de la maladie mentale, l’effritement subjectif qu’elle entraîne, nécessitent, dans certains temps, l’intervention ferme et contenante des soignants, en lien avec l’entourage, pour permettre à la personne souffrante de restaurer progressivement son unité psychique. Depuis l’après-guerre, la psychiatrie française s’est construite autour des valeurs fortes de désaliénisation de la folie et de décarcéralisation de l’asile. Cette position a permis de donner à la contrainte aux soins un caractère thérapeutique, la clôture, la contention ayant valeur d’espace contenant, rassurant, protecteur et non de violence.
En réagissant au coup par coup et sans aucune prise de distance à la suite de faits divers spectaculaires, le pouvoir politique a élaboré et mis en place une loi dont les objectifs sont électoralistes et gestionnaires et qui est fondamentalement trompeuse dans les valeurs qu’elle affiche.
Cette loi est électoraliste parce qu’elle prétend répondre à ce qui apparaît aujourd’hui dans la société contemporaine comme une menace majeure : la dangerosité des fous. Les crimes commis par des personnes en état délirant subissent le même traitement médiatique, et in fine politique, que des criminels récidivistes. En renforçant la dynamique sécuritaire de la loi, en confondant les registres du pénal et du soin , le pouvoir valide de façon démagogique l’association extrêmement réductrice et inquiétante de la dangerosité à la maladie mentale. La menace à l’ordre public vient alors remplacer au cœur du dispositif légal l’impossibilité de consentir aux soins indispensables. Cette loi est gestionnaire parce qu’elle vise à faire fonctionner la « machine » psychiatrique malgré la réduction catastrophique en moyens dont elle a fait l’objet depuis 20 ans. En étendant la contrainte au milieu extérieur elle espère désengorger des services hospitaliers de psychiatrie démunis et se dispense d’améliorer leur dotation. La psychiatrie de secteur fonctionnant avec des ressources financières raisonnables a montré que la créativité soignante et l’implication des patients et de leur famille dans les soins permettaient de travailler sans recours constant à la contrainte.
Enfin cette loi est trompeuse dans les valeurs qu’elle affiche lorsqu’elle prétend accorder plus de place au droit des patients. Le pouvoir politique a présenté l’intervention du juge dans le processus de contrainte aux soins comme une avancée démocratique majeure. Il est indiscutable que la loi précédente régissant les hospitalisations psychiatriques soumettait pratiquement les décisions médicales au seul regard du pouvoir administratif et aboutissait à des situations éthiques problématiques. Mais ici, le progrès que pourrait constituer le contrôle judiciaire sur la procédure est miné par l’incapacité du système judiciaire à répondre à l’afflux considérable de nouvelles audiences et à son absence de préparation. Cela abouti à des formations de compromis conduisant régulièrement à un surcroît de violence vécu par le patient.
Si nous attendons de la loi qu’elle porte des règles réfléchies, les plus justes possibles, issues d’un débat public éclairé et établie sans précipitation pour nous permettre de vivre ensemble dans un certain équilibre et dans un respect partagé, la loi du 5 juillet 2011 est un triste échec. Elle évacue toute considération pour la vulnérabilité singulière de la personne souffrant de troubles psychiques. Instrumentalisée par le pouvoir politique, elle renforce un clivage social qui isole une population jugée dangereuse et entretient une défiance publique à l’égard de cette dernière et par contiguïté des soignants qui choisissent de les aider.