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L’hospitalité : un droit, un devoir ?

J’apprenais il y a peu, l’arrivée de réfugiés sur une commune proche de mon lieu de vie, suite au démantèlement du camp de Calais. N’ayant jusqu’à ce jour jamais approché de près cette question, mais loin d’y être indifférente, le thème de la soirée de ce 9 novembre, m’offre l’occasion de partager ces quelques réflexions. J’aurais pu m’appuyer sur l’accompagnement de la vulnérabilité en fin de vie dans le soin. Je pense que mon écrit récent dans le cadre du mémoire d’éthique, me conduit plus facilement à m’exprimer sur ce sujet.

Par: Sylvie Guitton, Consultante Formatrice /

Publié le : 10 Novembre 2016

 
Sylvie Guitton Le 09/11/2016 – Consultante Formatrice

 
Il y a à peine deux semaines, dans la confrontation aux démantèlements, nos regards se tournaient vers la « jungle » de Calais...Tout récemment vers Paris…
Sur ces lieux, d’autres regards, concernés, exprimaient les sentiments d’un vécu, sentiments qui caractérisent nos singularités, confirment nos identités.
Ces regards, dans leur diversité, disent la complexité d’un problème humanitaire qui, dans ce qui semblerait vouloir se penser à être réglé par le droit, n’en interroge pas moins notre devoir d’hospitalité, et nous invite à penser le fond de cette grave situation humaine.
Des regards fermes, peinés, agacés, navrés, lassés, soulagés, embués, choqués, attristés, révoltés, étonnés, haineux, soucieux, éteints, sensibles, découragés, apeurés, bienveillants, fermés, désarmés, intolérants, mouillés, vides, compatissants, menacés, doux, courageux, surpris, autoritaires, accueillants, sévères, encore lumineux d’espoir… Ils expriment tout le tragique de vécus humains, ceux des hôtes - les citoyens accueillants, ceux des hôtes - les  étrangers accueillis, entre le commun et le différent, entre la loi et des situations singulières.
Dans notre pays, inscrit dans une tradition d’accueil, la confusion n’est-elle pas dominante en ces jours ? Les arrêtés préfectoraux permettront- ils d’envisager une amélioration ou une dégradation des situations ?
Tous ces regards - les nôtres, ceux des accueillis - prenons-nous  encore le temps de les lire, et de nous interroger ?   Dans la croisée des regards ne sommes-nous pas invités au réveil, à l’éveil,  à la prudence dans l’interprétation, dans l’accompagnement des situations ? Ne sommes-nous pas invités à éviter les catégorisations, les lectures imprégnées de représentations standardisées ?
Tous ces regards - les nôtres, ceux des accueillis - nous interpellent : quel sens  prend le terme d’hospitalité, tant utilisé, voir même clamé lorsque l’on parle d’immigration aujourd’hui ? Ne porterait-il pas, par son emploi fréquent, souvent détourné, l’idée qu’une réponse au problème politique de l’immigration serait d’ordre éthique ? Mais penser que la réponse ne devrait être qu’éthique, ne relève-t-il pas de l’utopie ? Parler d’hospitalité ne serait-il pas tenter d’approcher cette question d’actualité en considérant « l’étranger reçu » comme étant celui qui vient nous déplacer dans notre rapport à l’autre ? Et parce que nous déplaçant, nous interpellant, notre hospitalité ne serait-elle pas alors, réponse à une demande, une attente, un besoin, un manque, éloignant toute tentative à le considérer comme « exclu » ? Ne serions-nous pas alors invités, voire obligés à avoir le goût à repenser l’hospitalité ?
Car lorsque l’on parle d’hospitalité, nous disons plus que la solidarité, dans l’intersubjectivité des situations de rencontres. Dans les situations hétérogènes de la question de l’immigration (demandeurs d’asile, persécutés, migrants économiques…), l’hospitalité, fondée sur la notion d’altérité, de l’altérité culturelle en particulier, questionne le rapport social : loin d’une approche binaire, inclusion/exclusion, l’hospitalité est devoir à proposer un recevoir dans les échanges interindividuels, et par là-même à dépasser les problématiques de la solidarité.
Proposer un recevoir, c’est refuser l’inhospitalité qui semble vouloir envahir cet espace d’humanité dans lequel se joue le devenir de notre société.
Recevoir, dans le sens de donner l’hospitalité ; et recevoir cet autre différent.  Etre accueillant, dans un service de l’autre, mais savoir recevoir aussi, au sens d’être réceptif à l’autre, d’accepter l’altérité de l’accueilli.
Etre ouvert à l’accueil, être ouvert au recevoir demande prudence, pour pouvoir cheminer vers « comment accueillir, comment recevoir ». Un « comment accueillir » pour éviter l’enfermement de l’étranger demande exigence et investissement. Un « comment recevoir » implique d’anticiper la pensée de l’intégration de cet autre de culture différente. Cette aventure hospitalière fait peur car elle bouscule les acquis de la sédentarité. Elle demande inventivité ; une forme de veille ainsi que de s’interroger sans cesse sur la conception que l’on a de la dignité et du respect de l’accueilli. Exercer cette veille, c’est chercher à maintenir l’intégrité des accueillis, en créant un environnement favorable. C’est chercher à maintenir l’intégrité des accueillants, en créant les conditions de possibles dans l’adaptation.
Dans cette relation asymétrique, accueillants et accueillis sont  invités à l’ajustement dans une reconnaissance réciproque de leurs identités, de leurs représentations, dans un apprivoisement mutuel. C’est consentir pour chacun à emprunter un chemin d’acculturation. La reconnaissance mutuelle - entre l’exilé loin de ses racines culturelles et le citoyen sédentarisé, bénévole, professionnel, représentant de la loi - est  loin d’être évidente sur ce chemin d’acculturation, mais elle introduit un mouvement d’ouverture. Elle invite à reconnaître l’étrangeté de l’étranger, et à éviter que l’étranger soit perçu comme « envahissant ». Elle invite au dévoilement de soi, au décentrement de soi dans une rencontre singulière avec l’autre, n’importe quel autre, indépendamment des contextes du terrain. Elle invite à la responsabilité, à la vigilance qui contribue à repenser sans cesse le « comment accueillir, comment recevoir » au cœur des détresses présentes et des difficultés organisationnelles et juridico-politiques. Le visage étranger convoque notre responsabilité à offrir l’hospitalité.
Cela nécessite de considérer l’intersubjectivité d’une relation privée, duelle, celle du face à face citoyen-étranger et l’intersubjectivité d’une relation publique dans laquelle l’accueilli est appréhendé avec un statut administratif et des droits propres à sa situation. Là est sans doute la complexité dans l’hospitalité à offrir. Il est bien question de penser un « nous des accueillants » face aux accueillis, un « nous » qui pourrait être reconnu hospitalier, assurant un droit d’accueil relevant de la bienveillance, qui invite à une action politique autre que la forme sociale actuelle.
Être plus hospitalier signifie penser à ajouter une belle pincée de supplément d’hospitalité, fait de communication, de sollicitude inconditionnelle dans la considération des accueillis-vulnérables. Ne serait-ce pas alors interroger certaines règles juridiques qui, tout en apportant la garantie d’un standard de l’hospitalité, contraignent trop l’hospitalité sans tenir compte de la dimension de bienveillance dans la manière d’accueillir et de traiter les hôtes étrangers ? Ne serait-ce pas intégrer l’hospitalité dans une pratique éthique quotidienne, en considérant combien nous sommes étrangers les uns pour les autres, mais aussi pour nous-même ? Ne serait-ce pas penser l’accueilli en terme de vulnérabilité ? Et considérer notre propre vulnérabilité ? Etre plus hospitalier, c’est entendre l’invitation à être des citoyens responsables en capacité humaine de transformer les structures institutionnelles  et les espaces qui encadrent l’immigration, en des lieux inclusifs considérant la différence ; des lieux où l’étranger n’est plus l’« exclu », mais l’ « accueilli-semblable », car digne de cet échange, digne tout autant que l’accueillant.
Etre plus hospitalier, c’est sans doute être en capacité de concevoir l’exigence d’une relation d’hospitalité entre citoyens - accueillants et migrants étrangers en devenir de citoyenneté - accueillis.
Les espaces d’accueil qui s’organisent à ce jour en différents lieux du pays, pourraient-ils être,  dans leur construction nouvelle, des espaces dans lesquels l’exigence vigilante serait à l’œuvre pour que chacun puisse devenir hospitalier de l’autre ? Pourraient-ils être des lieux dans lesquels seraient donnés aux accueillants engagés et aux accueillis, la capacité à s’exposer dans la confiance face à la complexité des situations ?
En étant présents pour accueillir dans la proximité un vécu singulier, le vécu même du recevoir, créerait les conditions pour bâtir un projet commun, dans la pertinence de la relation asymétrique entre citoyens et étrangers. Sans doute, est-il nécessaire, pour ce faire,  de dépasser l’idée de ne traiter l’accueil qu’en termes de lieux d’hébergements, qu’en termes de droits des étrangers, pour penser le recevoir en termes d’action collective, en termes de devoirs d’intégration. Ce serait penser l’hospitalité en redéfinissant le sens donné à «  être citoyen français », et permettre pour ceux qui souhaitent devenir citoyens de notre pays, de créer les conditions réelles et légales de cet engagement. Ce serait penser ces espaces dans le sens où - non pas du fait des - mais, avec les directives, avec les cases administratives à compléter, l’étranger ne serait pas chosifié ; pour habiter ces espaces en prenant des risques, en traversant, dans le temps, les incertitudes dans la relation accueillants – accueillis, en pointant la responsabilité et le consentement de chacun. Ce serait engendrer du lien humain  et  bannir les ghettos pour fonder le vivre ensemble dans une ouverture à l’autre, pour intégrer par l’apprentissage de la langue, l’école, etc... Et parvenir pour tous, accueillants et accueillis, au témoignage d’un engagement citoyen fait d’humanisme, de fraternité.
Alors en vivant ces valeurs de considération de l’humanité, en choisissant librement la voie d’une dimension créatrice dans un renouvèlement des problématiques de la solidarité, la douloureuse question de l’immigration laisserait entrevoir un nouveau type de rapport social, une espérance de résolution patiente permettant de parler objectivement, en vérité, de l’hospitalité, et non utiliser ce vocabulaire pour se rassurer, voir dénier les réalités.