Notre Newsletter

texte

editorial

L’hôpital, un haut lieu de démocratie

"L’hôpital s’inscrit dans une histoire qui lui confère une fonction essentielle au cœur de la cité. Son excellence ne tient pas seulement aux compétences mobilisées dans l’efficacité de la recherche et des traitements, mais plus encore à la sollicitude de professionnels et de réseaux associatifs soucieux de cette dimension du care si négligée dans nos préoccupations sociales."

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 15 juin 2016

Le 29 avril 2016, l’hôpital al-Quods d’Alep était bombardé. Mohammad Wassim Maaz, trois infirmiers, un dentiste ainsi que 22 autres personnes s’ajoutaient ainsi aux victimes des massacres perpétrés en Syrie (1). Je n’ai pas pu m’empêcher d’associer ce mardi 14 juin la mémoire de ce pédiatre engagé avec MSF sur le front d’un combat humanitaire qui incarne nos valeurs de démocrates, au fracas des baies vitrées de la façade de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). Je tenais à évoquer ici cette figure emblématique de la conscience médicale qui a défendu, au prix de sa vie, une conception exemplaire des missions du soin. Les actes de vandalisme menés volontairement à Paris contre un établissement de santé dédié à l’accueil d’enfants et d’adolescents, sont certes d’une toute autre ampleur que l’anéantissement d’une population et l’éradication d’une ville. Ils ne peuvent pas pour autant être considérés comme anodins et annexés de manière indifférenciée à l’inventaire des violences et des incivilités intervenant aujourd’hui dans un contexte de terrorisme. Ils ont pris pour cible un lieu de soin, un espace symbolique de l’hospitalité publique, de la solidarité et de la fraternité : il témoigne de nos devoirs d’humanité. De telles stratégies visent à abolir ce que nous sommes, notre bien commun, nos conquêtes politiques de liberté et de dignité, celles qui inspirent les idées de respect, de justice, d’attention portée à l’autre.

Lorsqu’à la suite des attentats de 2016 l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France a lancé l’initiative nationale « Valeurs de la république, du soin et de l’accompagnement », nous avions conscience de la signification politique du soin au-delà de ses finalités thérapeutiques. L’hôpital s’inscrit dans une histoire qui lui confère une fonction essentielle au cœur de la cité. Son excellence ne tient pas seulement aux compétences mobilisées dans l’efficacité de la recherche et des traitements, mais plus encore à la sollicitude de professionnels et de réseaux associatifs soucieux de cette dimension du care si négligée dans nos préoccupations sociales. La responsabilité des hospitaliers apparaît dès lors d’autant plus forte que les vulnérabilités ne trouvent plus ces espaces de solidarité qui permettaient de reconnaître l’autre, d’apaiser ses souffrances et de lui permettre de reprendre son parcours de vie.

Au même titre que d’autres institutions publiques, mais dans le cadre d’une relation d’humanité qui implique au plus près de la personne dans les moments parfois extrêmes de la maladie, l’hôpital est un des hauts lieux de la vie démocratique. Soigner l’autre c’est témoigner de la valeur d’un engagement politique et d’un sens éthique de nos responsabilités à reconnaître dans ce qu’ils signifient. Au-delà des performances biomédicales et des réponses dans l’urgence aux menaces terroristes, la communauté des hospitaliers assume au quotidien, dans son domaine de compétences, une fonction indispensable à la préservation des valeurs d’humanité et à la cohésion de notre société. Face aux fragilités du monde, aux effrois et aux incertitudes, il me semble important que chacun saisisse la portée symbolique des actes perpétrés mardi contre un hôpital parisien. Il convient de comprendre l’hôpital comme cet espace de démocratie où l’on résiste aussi, au nom de valeurs inconditionnelles, contre la barbarie.
 

  1. En mars 2016 l’Observatoire syrien des droits de l’homme estimaient à 370 000 personnes leur nombre depuis le début du conflit.