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L'euthanasie, une fausse solution

"Il s'agit d'un abus de langage que de faire passer pour un acte de volonté individuelle une décision qui instrumentalise un tiers, en l'occurrence le médecin. De même, il est paradoxal de dénier à la société un droit de regard sur la fin de vie - "c'est ma mort, elle ne concerne que moi ; moi seul doit décider" - quand à travers l'intervention du médecin, c'est la société tout entière qui est convoquée au chevet du malade."

Par: Marianne Gomez, Journaliste à La Croix, rubrique famille, éthique, société /

Publié le : 06 Août 2003

Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°9-10-11, "Fins de vie et pratiques soignantes". Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

Alors que le 25 juin 1999 l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a interdit l'euthanasie, dans le cadre d'une résolution sur "la dignité des personnes incurables et des mourants", j'aimerais examiner brièvement les arguments de ceux qui sont encore partisans de cette solution. Pour l'essentiel, il en existe me semble-t-il trois : liberté de choix, dignité - c'est-à-dire préservation d'une certaine image de soi - et refus de souffrir.

 

La liberté de choix

N'est-ce pas une fiction de penser que l'on est libre de choisir sa mort ? Sigmund Freud est passé par là, et nous a appris que le discours manifeste et le discours latent représentaient deux données différentes. Ce n'est pas parce que l'on réclame quelque chose que l'on souhaite l'obtenir. Ce n'est pas parce qu'on dit : " je veux mourir " que l'on veut mourir. Toutes les personnes qui font de l'accompagnement le disent : une demande comme celle-ci doit être décryptée et non prise au pied de la lettre. Le Pr Maurice Abiven explique que sur 400 malades qu'il a suivis dans le cadre de l'hôpital de la Cité universitaire, il n'a été confronté qu'à trois demandes persistantes d'euthanasie. Brigitte Champenois, qui a suivi 600 malades à l'hôpital Saint-Joseph, n'en constate que deux. Ce sont des éléments à prendre en considération car, parfois, en écoutant les partisans de l'euthanasie, on a l'impression qu'il existe partout des malades qui souffrent et qui attendent qu'une main charitable les délivre de la vie. La réalité est quand même un peu différente.

L'autre facteur m'incitant à penser que cette liberté de choix constitue une pseudo-liberté est que le malade n'est pas seul impliqué. Quand les partisans de l'euthanasie réclament un droit de mourir dans la dignité, ils ajoutent aussitôt qu'il faudrait autoriser le médecin, dans certaines circonstances, à donner la mort. C'est au médecin de faire la piqûre. Il s'agit d'un abus de langage que de faire passer pour un acte de volonté individuelle une décision qui instrumentalise un tiers, en l'occurrence le médecin. De même, il est paradoxal de dénier à la société un droit de regard sur la fin de vie - "c'est ma mort, elle ne concerne que moi ; moi seul doit décider" - quand à travers l'intervention du médecin, c'est la société tout entière qui est convoquée au chevet du malade. La société a donc réellement un droit de regard sur la question.

 

La dignité

L'euthanasie se justifierait quand la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Mais à partir de quand et pour qui une vie ne vaudrait plus la peine d'être vécue ? Il est frappant de constater que ceux qui soutiennent cette idée donnent toujours comme exemple des cas d'agonies extrêmes, toujours les mêmes : le Pr Léon Schwartzenberg a souvent évoqué ce malade " au visage mangé par une tumeur ", un autre parle de patients " qui dégagent une odeur repoussante ", etc. Ici, les mots employés ont une importance décisive. Ils nous en apprennent moins sur le vécu de ces malades que sur l'angoisse de celui qui les regarde. C'est en premier lieu pour le spectateur impuissant que ces vies sont insupportables. Et cela est d'autant plus terrible que, comme l'a fort bien écrit le père Patrick Verspieren, l'angoisse fondamentale de celui qui meurt provient " d'un doute torturant sur la valeur de sa propre vie 1 ". L'angoisse de celui qui meurt rejoint cette question essentielle : suis-je encore digne d'être aimé, d'être respecté ? Répondre à ce doute par un geste de mort est terrible.

Celui-là même que l'on interroge de façon muette " m'aimes-tu encore ? " répond en coupant la communication de la manière la plus radicale qui soit. Ce que Patrick Verspieren exprime encore de la façon suivante : " l'euthanasie tue deux fois, la première fois symboliquement, en confortant le malade dans l'idée que sa vie n'a plus de valeur, plus de sens 2. " Car le sentiment d'avoir une valeur, on l'éprouve toujours dans le regard de l'autre ; c'est par l'autre qu'il nous est donné.

 

Le refus de la souffrance

Contrairement aux deux arguments précédents, celui-ci est aujourd'hui unanimement partagé. Il ne se trouve personne pour soutenir que la souffrance serait désirable. Le 19 mai dernier, devant l'Académie de médecine les représentants des quatre religions majoritaires en France ont été unanimes à réaffirmer que l'homme n'avait pas vocation à souffrir. Certes, les médecins français ont été longtemps réticents à l'idée d'administrer des antalgiques majeurs comme la morphine, mais la situation est heureusement en évolution. Il faut agir sur cet aspect des choses.

Je conclurai que l'euthanasie comme l'acharnement thérapeutique sont les deux faces d'une même médaille : ils marquent l'impossibilité d'accepter la mort, soit en l'anticipant, soit en la retardant. La seule attitude qui laisse la mort venir à son heure est l'accompagnement. Le Dr Élisabeth Kübler-Ross a décrit la première les cinq stades qui précédent la mort. Ce texte de présentation de son travail est un très bel hommage aux soins palliatifs : " le mourant est seul, parce qu'il se ressent différent et propulsé dans un monde différent. La personne qui aidera le malade à assumer cette étrangeté sera celle qui n'aura pas peur de sa propre solitude, pas peur surtout des ressemblances qui pourraient advenir si elle allait, elle aussi, tomber malade. Un geste, un regard, une parole, un soin dans lesquels on met une âme autant qu'une technique suffisent dans bien des cas à combler la différence qui isole le malade du bien-portant. Encore faut-il savoir que nul n'approche le mourant autrement qu'il n'approche sa propre vie et l'idée de son propre corps. "

 

Références bibliographiques

1. "L'euthanasie, une porte ouverte ?", in études, janvier 1992.
2. Interview à La Croix, avril 1992.