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La tolérance suffit-elle ?

Texte de l'intervention de Paul-Loup Weil-Dubuc lors du Forum Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement du 16 mars 2016

Par: Paul-Loup Weil-Dubuc, Responsable du Pôle Recherche, Espace de réflexion éthique Ile-de-France, laboratoire d'excellence DISTALZ /

Publié le : 18 Mars 2016

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La tolérance pourrait se définir comme une disposition à accepter la différence et l’étrangeté. Mais il est peut-être plus aisé de définir la tolérance par son contraire. L’intolérance suppose une forme d’irritation face aux intrusions dans notre monde où tout nous semble familier. L’intolérance vient de l’irritation de cette familiarité. Un lien peut être établi entre l’intolérance de l’organisme vivant à certaines substances étrangères (lactose, gluten) et l’intolérance à l’égard d’autrui. C’est pourquoi, Locke l’avait remarqué dans la Lettre sur la tolérance, ce qui est intolérable, ce qui exaspère et avive les haines, ce sont des petites choses sans importance, la répétition quotidienne d’un bruit ou d’une langue étrangère, une coutume, une autre temporalité qui d’un seul coup, rompant le charme de la familiarité, incarne ce qui nous est le plus désagréable.
Mais l’intolérance à autrui suppose un pas de plus par rapport à l’expérience de cette étrangeté, de cette intrusion dans notre monde ; elle suppose la mauvaise foi : nous justifions notre rejet de l’autre, en accusant  l’individu, un groupe d’individus ou un ensemble d’actes.
Au contraire la tolérance difficile – rappelons que tolérance vient du latin tolere, supporter - à accueillir positivement cette étrangeté.
Entre tolérer l’autre et le reconnaître ou le respecter, il y a un pas. La tolérance suppose d’être bien disposé envers ce qui est différent et étrange ; le respect suppose d’approuver, de donner une valeur à l’autre pour lui-même, à ses actes ou à ses attitudes.
La tolérance suffit-elle ? Deux positions apparemment antithétiques se retrouvent dans les débats contemporains en philosophie politique entre républicains et libéraux.
Selon la première perspective, la tolérance est insuffisante : elle permet certes une négociation, un accommodement entre les différences mais, sans respect, la tolérance équivaut à l’indifférence, et risque de renforcer les différences. Il lui faut donc un supplément qui permette d’intégrer les différences, de viser un bien commun, soit un respect commun pour des valeurs communes.
Selon la seconde, la pluralité des visions du bien est irréductible. Dans ces conditions, si l’on peut exiger la tolérance, on ne peut exiger le respect. Demander à chacun l’adhésion à des valeurs communes risque d’entretenir précisément une intolérance réciproque là où la tolérance instaure une digue entre l’autre et moi, un espace sans valeurs qui rende possible la coexistence des valeurs entre elles.
Ainsi formulées, ces deux positions présupposent de façon contestable une relation d’intensité entre tolérance et respect : le respect serait davantage que la tolérance. Mais on peut penser tolérance et respect comme deux processus indépendants et complémentaires. La tolérance suppose d’envisager et d’accepter la relativité des frontières de notre vision du monde ; le respect implique d’approfondir notre propre vision du bien. La tolérance est un élargissement là où le respect est un approfondissement.
Une autre façon de comprendre la question est de se demander si la tolérance n’est pas suffisante au sens où elle prétendrait suffire pour régler les rapports humains. Ce qui nous semble contestable, pour une raison simple : il est de nombreuses situations où tolérer est simplement impossible.
Cette impossibilité peut venir de l’intolérable. On ne peut exiger de la tolérance, de la compréhension, de l’adaptation face à l’intolérable dans toute situation à moins d’accepter un relativisme moral. Pour autant, et là est toute la difficulté, les seuils de tolérance diffèrent selon les époques et les personnes et on ne pourra pas trouver un seuil universel du tolérable. Il est du reste illusoire de penser que nous avons le choix entre la tolérance et l’intolérance ; nous avons toujours le choix entre deux tolérances en conflit ou entre deux intolérances en conflit. Tolérer certains comportements revient souvent à ne pas en tolérer d’autres. Tolérer sans bornes tout ce qui se dit et se fait (notamment les actes d’intolérance), c’est tolérer aussi des offenses, et donc des intolérances. C’est vider la tolérance de sa substance morale.
L’impossibilité à tolérer peut aussi venir du positionnement de subordination ou de soumission dans lequel nous nous trouvons de devoir accepter ce qu’on nous propose. Pour le patient hospitalisé d’urgence, pour la personne en précarité, ou pour le subordonné hiérarchique, il est impossible de dire : « je ne le tolère pas ou je ne le tolère plus ».