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Hommage à Catherine Ollivet - Témoigner et défendre parmi nous les valeurs d’humanité et le sens éthique d’un engagement politique

Intervention au cours des obsèques de Catherine Ollivet, le 12 novembre 2022

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 21 Novembre 2022

6 expressions de son engagement

Catherine Ollivet[1] nous a permis de mieux saisir la signification de la tolérance, de la fraternité et de l’hospitalité. Une éthique concrète, impliquée soucieuse des valeurs qu’elle a incarnées et défendues comme une militante vouée non seulement à servir les plus vulnérables parmi nous mais aussi à en assumer le plaidoyer, y compris en fustigeant les inerties institutionnelles ou les insensibilités de notre société.
Edmond Jabès aurait pu lui dédier ces si justes paroles dans Le Livre de l’Hospitalité : « Le sage – disait-il – est celui qui a gravi tous les degrés de la tolérance et découvert que la fraternité a un regard et l’hospitalité, une main.[2] »

J’évoquerai Catherine à travers 6 expressions de son souci des autres et des valeurs d’humanité dont nous sommes comptables.
Souci des valeurs, des droits et des libertés fondamentales de l’autre, de l’autre plus vulnérables que d’autres, de l’autre parmi nous, frère ou sœur en humanité.
Dans un texte rédigé le 11 avril 2011, elle observait :
« Il est facile de délibérer intellectuellement des droits des personnes malades d’Alzheimer ou d’autres maladies apparentés, dont les vulnérabilités particulières ne doivent en aucune façon être un prétexte à les priver de tous leurs droits essentiels comme ceux de choisir et décider. Pouvoir encore et toujours choisir, c’est être vivant ! » 

Souci de nos engagement pour l’autre, un engagement avec l’autre, respectueux de ce qu’il est, de son histoire, de ses préférences, de ses qualité, de ses compétences, mais qui parfois doit être préservé et soutenu face au risque de l’indifférence, de la relégation ou du mépris.

Sa réflexion du 13 juillet 2015 éclaire cette approche :
« Lorsque le faire se délite, devient inadapté ou incongru pour finir par disparaitre, comment continuer à croire en l’autre dans son identité intacte et mettre en œuvre dans nos actes les comportements qui en découlent ?
Il est indispensable de donner à tous, professionnels et familles, des repères solides, certaines obligations même, pour assurer à des personnes que la maladie chronique neurologique a diminuées, modifiées, les droits inaliénables dus à toute personne quelles que soient sa maladie et ses atteintes. »

Souci des valeurs en acte de notre démocratie, du bien commun, de ce qui fait société, de ce qui permet de nous dépasser ensemble, de nous élever et de partager un idéal qui nous mobilise.
Son écrit du 10 juin 2018 en témoigne :
« Les grands interdits particulièrement défendus jusqu’à ce jour par la patrie des droits de l’homme, titre dont aime à s’enorgueillir la France, sont basés en tout premier lieu sur le principe de défendre et protéger les plus fragiles d’entre nous. Qui mieux que les représentants des usagers, bénévoles issus d’associations de patients ou de familles de personnes malades ou handicapées, peuvent en connaitre toutes les fragilités, les difficultés, les peurs, les incapacités ? Si la défense des plus vulnérables n’est plus une valeur fondamentale, alors notre société n’est plus basée que sur les valeurs du plus fort ou du plus grand nombre. »

Souci d’un engagement impliqué, d’une parole qui alerte, qui dénonce parfois, qui propose toujours l’humanisme de la sollicitude et de la bienveillance comme un projet de vie, une espérance.
Alors que la pandémie frappait nos pays, le 20 mars 2020 Catherine écrivait :
« Aujourd’hui nous connaissons une nouvelle forme de guerre nationale, une guerre sanitaire. Etrangement la mémoire collective se réactive, mais une mémoire quasi moyenâgeuse de la peste et du choléra.
Le Covid19 s’infiltre insidieusement dans nos esprits, du fait de nos vulnérabilités humaines, physiques et psychologiques, de nos faiblesses sociétales.
La peur de la mort est tout autant associée au mot guerre, ma mort et/ou la mort de ceux que j’aime. Tout à coup, l’interdiction brutale de visiter son conjoint, son père, sa mère, accompagnés en EHPAD dans leurs grandes vulnérabilités cumulées, a brusquement fait mesurer à ces proches, que la dernière fois qu’ils étaient venus le voir, hier ou il y a un mois, était peut-être la dernière fois qu’ils avaient pu lui parler, murmurer quelques mots d’amour à son oreille, caresser sa joue et sa main …
Et cette peur de perdre l’autre aimé, est encore plus violente pour les familles de personnes âgées atteintes de troubles cognitifs liés à une maladie neuro évolutive. « Quand je pourrai revenir, me reconnaitra-t-il encore ? ». Tout à coup, cette interdiction des visites est ressentie comme une condamnation à ne plus jamais se retrouver. »

Souci de justice, de  vérité et de paix, au point d’y consacrer chaque instant de sa vie, dans sa pensée, ses actions jusqu’au dernier instant de son témoignage d’humanité parmi nous, ce témoignage qui désormais s’inscrit dans notre mémoire et nous oblige les uns et les autres à en être dignes.
Je citerai à ce propos le Pirhei Avot (Traité des pères), car cette parole de la tradition juive me semble parfaitement poser le sens de la mission assumée par Catherine du côté de la vie et des vivants, au plus près de l’essentiel, de qu’est la grandeur de notre humanité, notre responsabilité éthique aussi. Je sais à quel point cette amie était attentive à la culture de l’autre, aux spiritualités et aux religions dès lors qu’elles portent l’exigence d’une éthique en acte, d’une éthique impliquée, soucieuse des valeurs d’universalité.
« Rabbane Chimone ben Gamliel dit : « Le monde subsiste par trois vertus : la justice, la vérité et la paix ; car il est dit : Que la vérité et le jugement de paix soient administrés dans vos portes. » (partie 18)

Souci de spiritualité, de fidélité, de cette foi qu’elle a su concilier avec tant de justesse avec son ouverture à l’autre, à tout autre, enraciné dans les valeurs de notre République. Femme, mère, grand-mère, amie investie dans un engagement sans faille au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je conclurai alors cette évocation de l’amie exceptionnelle et de la conseillère bienveillante, vigilante et impatiente qui a accompagné et bien souvent inspiré mon cheminement  à la direction de l’Espace éthique depuis 1997 par cet extrait de l’office de Ne’ila partagé dans les communautés juives à Kippour :
« Lorsque je considère l'œuvre de Ta Création, l'immensité des cieux et leurs cohortes d'étoiles, et l'espace infini qui s'ouvre à mon regard, Ta Grandeur et Ta Majesté s'imposent à moi. Au milieu de ce monde qui nous dépasse, Tu nous as choisis pour proclamer Ta Grandeur et Ta Royauté. »
 
[1] De 2015 à 2022, Catherine Ollivet a présidé le Conseil d’Orientation de l’Espace éthique de la région Ile-de-France. Elle aura été une des figures emblématiques de la démocratie en santé de la région Ile-de-France,  présidente de France Alzheimer 93.
[2] Edmond Jabès, Le Livre de l’Hospitalité, Paris, Gallimard, 1991.