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Déclaration universelle des droits de l’Homme : « le premier manifeste d’ordre éthique »

"Une des idées fondamentale de la conception moderne des droits de l’Homme soutient donc que ces droits sont inhérents à notre humanité même. Mon humanité, ma dignité dépendent de celles que l’on reconnaît à tout Homme. Il importe d’avoir pleine conscience de cette interrelation, de cette solidarité. C’est ce qu’instituent les droits de l’Homme."

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 15 Novembre 2018

Avec Jonathan M. Mann, in memoriam
 

Une reconnaissance de l'Homme par l'Homme

L’espace de réflexion éthique de la région Île-de-France a souhaité réaffirmer ses engagements à l’occasion du 70ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Sur le terrain, au plus près des réalité humaines et sociales des vulnérabilités ou de la maladie, mais là également où notre démocratie témoigne de ses valeurs d’humanité, professionnels et membres d’associations partagent avec d’autres nos devoirs de société. Nous souhaitons à la fois leur rendre hommage et les associer à ces temps de rencontres et de réflexions que nous organiserons dès le 10 décembre 2018. En effet, nous inscrivons cette démarche dans une perspective qui n’est pas circonscrite aux événements organisés en cette période de célébrations. À cet égard, l’initiative nationale que nous lançons, « Droits de l’Homme, les EHPAD s’engagent » est significative d’une volonté de mobiliser les lieux du soin et de l’accompagnement dans cette dynamique de reconnaissance des valeurs qu’ils portent et dont ils sont garants à travers la qualité et la compétence de leurs engagements comme de leurs pratiques.
Nous proposons en lancement de cette démarche des moments importants de partage des savoirs et des expériences, dans le cadre de partenariats avec notamment l’Assemblée nationale, le Conseil régional d’Île-de-France, la CRSA de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, l’AP-HP, l’institut Imagine, la Fondation Médéric Alzheimer, les associations France Alzheimer, La Mie de pain, le Collectif les morts de la rue, Age Village. Il s’agit donc, on l’aura compris, d’événements à bien des égards différents de ceux que l’on présente au cours de l’année. Il nous importe en effet de nous retrouver pour  penser ensemble les enjeux et les  urgences de nos engagements en fidélité avec les valeurs d’universalité qu’inspire la Déclaration universelle des droits de l’Homme
 
Même s’il trouve son inspiration dans de multiples textes, notamment philosophiques — antérieurs à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 — le mouvement moderne des droits de l’Homme a pris sa véritable consistance à la suite de la Deuxième Guerre mondiale.
Ses idées sont incarnées dans la Charte des Nations Unies — un de ses quatre principes vise à la promotion du respect des droits de l’Homme. Après deux ans de travail, la commission des droits de l’homme des Nations Unies est ainsi parvenue à la rédaction de la liste des trente articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.
Dès les premières lignes de son préambule, s’impose le principe de dignité : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.  Découvrir et reconnaître en tout Homme la dignité et la valeur constitutives de ce qui fonde son identité, c'est le comprendre dans cette évidente proximité, cette familiarité qui invitent à la relation de responsabilité, à ce projet de justice qui proscrit l'indifférence, le mépris et l'abandon.
 
Une des idées fondamentale de la conception moderne des droits de l’Homme soutient donc que ces droits sont inhérents à notre humanité même. Mon humanité, ma dignité dépendent de celles que l’on reconnaît à tout Homme. Il importe d’avoir pleine conscience de cette interrelation, de cette solidarité. C’est ce qu’instituent les droits de l’Homme.
Il en est de même dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui éclaire certains aspects de l’investissement dans les champs de l’éthique hospitalière et du soin, de l’accompagnement : « Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. » On éprouve parfois une grande difficulté à admettre la distance que l'on s'évertue à entretenir entre de tels principes et la réalité sociale. Le respect et la dignité ne constituent en aucun cas des valeurs abstraites. Il s'agit de notions pratiques qui définissent un ordre social, et nous situent les uns à l'égard des autres en responsabilité d'obligations réciproques.
 

Le premier manifeste d’ordre éthique que l’humanité ait adopté

Dans le discours qu’il prononce le 11 décembre 1968 à l’occasion de sa remise du Prix Nobel de la paix, René Cassin présente la Déclaration universelle des droits de l’Homme comme « le premier manifeste d’ordre éthique que l’humanité organisée ait jamais adopté ».
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous disposions ainsi d’un dispositif explicite et cohérent à vocation universaliste. Ce cadre conceptuel rigoureux renvoie aux aspects les plus concrets des droits de la personne. Sans contester la souveraineté des États, il a permis d’amorcer une mutation dont on observe les effets, dès lors qu’aucun pays ne peut désormais se considérer dégagé des obligations que la communauté internationale a décidé de reconnaître comme valeur supérieure. L’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme énonce : « Aucune disposition de la présente déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. »
Nous ne sommes pas naïfs, au point d’ignorer les atteintes réitérées aux principes énoncés par cette Déclaration ! Il n’est que d’être attentif aux événements qui bouleversent le monde pour évaluer le chemin encore devant nous. Toutefois le mouvement est lancé ; rien ne pourra compromettre cette aspiration à la dignité et à la liberté, même si le combat à mener contre les idéologies perverties et certaines expressions modernes de barbarie nécessitent une force d’engagement et une résolution qui honorent celles et ceux qui les incarnent sur le terrain.
 
En 1946, la Constitution de l’OMS soutenait que : « le plus haut niveau de santé possible est un des droits fondamentaux de chaque être humain, sans distinction de race, de religion, d’opinion politique, d’origine sociale, de fortune ou de naissance. » Le sens et la portée de nos responsabilités procèdent à bien des égards du souci de respecter et de préserver l'Homme dans son existence, et de créer les conditions politiques qui favorisent en pratique cette aspiration.
En assumant ensemble et de manière résolue les défis qui sollicitent notre vigilance, notre bienveillance, notre sollicitude à l’égard des plus vulnérables, nous parviendrons au degré le plus élevé de la conscience humaine, là où devrait nécessairement nous porter une fidélité concrète aux principes énoncés par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ne s’agit-il pas de respecter l’Homme, tout Homme, de mieux comprendre les devoirs qui nous impliquent auprès de lui — expression d’une fraternité assumée et d’une exigence de vivre ensemble ?
 

 
[1] Emmanuel Levinas, Indivisibilité des droits de l'homme, Ed. Universitaires, Fribourg, 1985, p. 231.