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"Une forme de survie que je remets chaque jour en jeu" : témoignage d'une personne handicapée en temps de pandémie

"La situation me fait réaliser combien chaque jour, c’est une certaine forme de survie que je remets, comme beaucoup de personnes handicapées, en jeu. Et dans cette situation particulière où bien des postures d’esprits se révèlent au travers d’attitudes diverses, je ne me reconnais pas dans la gestion de nos peurs. "

Par: Anne-Lyse Chabert, Philosophe, Département de recherche en éthique, Espace éthique région Île-De-France /

Publié le : 30 Mars 2020

J’ai eu la chance il y a quelques jours de pouvoir me confiner chez mes parents à Toulon, la situation devenant terriblement difficile à gérer pour moi toute seule sur Paris où je vis la majorité du temps depuis plusieurs années. D’autres n’auront pas eu le même privilège de ce domicile de secours qui me redonne une certaine sécurité quant à mon quotidien.

 
Avant mon départ mardi 17 mars, j’essuyais tous les jours de nouvelles absences parmi mes auxiliaires de vie habituelles, ces absences en tout premier lieu venant des personnes de mon équipe qui n’appartenaient pas au milieu du soin et ne sentaient donc pas toute la responsabilité qui s’y rattache. Mais je pense que d’une manière plus générale, il s’agit surtout d’un enjeu éthique de simples êtres humains, de peser avec justesse le poids des actions que l’on engage pour soi-même ou pour les autres. 
 
Je suis suivie par un relais d’auxiliaires de vie qui gravitent autour de moi en permanence, ma maladie neurodégénérative m’ayant rendue trop dépendante au niveau moteur maintenant pour que je sois capable de réaliser toute seule la moindre tâche sur le plan moteur.
 
Les quelques thérapeutes dont j’ai régulièrement besoin et qui venaient chaque semaine à domicile ont tous dû suspendre leurs interventions. Mais l’une des principales difficultés dans ma pathologie en particulier vient du fait que c’est en grande partie leur intervention régulière qui me permet de garder une certaine autonomie qui se dégrade beaucoup plus vite lorsque la personne n’est pas en mesure de réaliser ses exercices. Sans parler d’un confort minimal, la spasticité spécifique là aussi à ma maladie provoque déjà chez moi des crampes de manière très répétitive depuis les dernières nuits.
 
La situation me fait réaliser combien chaque jour, c’est une certaine forme de survie que je remets, comme beaucoup de personnes handicapées, en jeu. Et dans cette situation particulière où bien des postures d’esprits se révèlent au travers d’attitudes diverses, je ne me reconnais pas dans la gestion de nos peurs. Car nous avons tous peur, chacun a peur. L’avenir que nous ne connaissons pas génère en effet beaucoup d’angoisses. Mais c’est là qu’il faudrait à mon sens se poser les bonnes questions avant de paniquer. Qu’est-ce qui est important, qu’est-ce qui ne l’est pas ?
 
De mon côté, je dispose à nouveau du moyen d’écrire, ce qui est loin d’être évident car je ne suis plus du tout autonome pour écrire moi-même le moindre de texte et tout le monde n’est pas capable de comprendre et de prendre sous ma dictée. Sans l’accompagnement de la personne qui m’aide à écrire, je n’aurais aucun moyen de communiquer au-delà de chez moi. Je pense aux personnes qui sont dans le même cas, qui n’ont pas pu se rendre dans un endroit plus clément.
 
Un autre problème que je n’ai pas vraiment eu le temps d’expérimenter c’est que tout le matériel que nous utilisons qui est essentiel à un certain maintien de ses fonctions vitales n’est probablement plus assuré (je pense à un fauteuil électrique dont les personnes se servent chez elles bien souvent, s’il vient à tomber en panne ?, aux lits médicalisés, aux personnes trachéo-tomisées), y’a-t-il un support pour ce genre de situation ?
 

D’une manière générale, il faudrait inaugurer une cellule de veille handicap pour éviter ces zones d’ombres et garder le contact avec les plus fragiles, même si certains réseaux de solidarité ont déjà pu fort heureusement émerger. Mais dans l’affolement général, qui a pensé à ces personnes dont on connait et imagine si mal le quotidien ?