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Tests génétiques : Être ou ne plus être à risque

Comment vivre, et guérir, d'être "à risque" ? A travers l'exemple d'une personne encore asymptomatique mais à risque de développer la maladie de Huntington, l'auteur propose une réflexion sur les enjeux, bénéfices et risques d'un test génétique.

Par: Alexandra Dürr, Neurogénéticienne, Département de génétique et cytogénétique, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP /

Publié le : 17 juin 2003

Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°2, Les tests génétique : grandeur et servitude. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

Les progrès rapides de la génétique moléculaire de ces dernières années, ont créé des situations radicalement nouvelles auxquelles le clinicien se trouve de plus en plus souvent confronté. De ce fait, la découverte d'anomalies génétiques associées à des pathologies héréditaires offre la possibilité de confirmer un diagnostic chez un patient par analyse moléculaire, mais ouvre également la voie au diagnostic présymptomatique. Dans ce cas, il s'agit d'un individu à risque pour une maladie mais n'en présentant pas de signes, qui désire connaître son statut génétique réel par rapport à cette affection qui touche d'autres membres de sa famille.
Le diagnostic présymptomatique concerne des pathologies de révélation tardive, pour lesquelles seule l'analyse moléculaire permet de déterminer avec certitude si une personne à risque, mais encore asymptomatique, est porteuse de l'anomalie génétique responsable de la maladie. Les enjeux de la révélation du statut génétique réel sont considérables, lorsqu'il s'agit d'une affection grave sans thérapeutique préventive ou curative.

 

Les bonnes pratiques

La maladie de Huntington sera prise comme exemple, car cette pathologie a donné lieu à la réflexion la plus approfondie et bénéficie du plus grand recul dans la pratique de tests présymptomatiques. Le choix s'est porté sur cette pathologie, en raison de la demande des familles qui vivent très douloureusement les troubles moteurs et surtout le fléchissement intellectuel associé à des troubles du comportement qui caractérisent cette maladie de transmission autosomique dominante. La réflexion a conduit à l'élaboration d'un texte qui définit les bonnes pratiques du diagnostic présymptomatique de la maladie de Huntington.
Six principes sont mis en avant : bénéfice, autonomie, consentement éclairé, confidentialité, droit de ne pas savoir et égalité.

Dans ce cadre, le bénéfice n'est pas thérapeutique et dépend de la demande individuelle du candidat au test. Le principe d'autonomie requiert que le test ne soit demandé qu'à titre individuel et par une personne majeure. Le consentement éclairé nécessite de délivrer une information aussi complète que possible sur la maladie et ses caractéristiques génétiques, ainsi que sur les différentes options en matière de test.
La confidentialité s'avère capitale pour l'avenir du candidat, surtout s'il reçoit une réponse défavorable. Le droit de ne pas savoir doit être respecté en toutes circonstances. Enfin, le principe d'égalité s'applique aux possibilités d'accès du candidat aux centres qui pratiquent le test présymptomatique sans discrimination de nature financière.
Outre ces principes, le déroulement du test dans le temps et la prise en charge du candidat par une équipe multidisciplinaire sont particulièrement importants.

 

Guérir d'être "à risque"

Quel est l'impact du résultat et les conséquences d'un résultat défavorable ? A priori, quelle que soit sa nature le résultat représente un moment crucial qui précède des changements de vie à court et à long terme. De fait, avant de le réaliser, les candidats formulent leur souhait de voyager, de profiter de leur vie au maximum et celui du bonheur de quitter le statut de personne à risque. Pourtant, un quart des personnes ne manifestent aucune réaction et ne signalent aucun changement après le résultat. Seulement 60 % des candidats qui ont reçu un
résultat favorable se disent heureux.
Quelle est la raison d'absence de réaction et de changement de vie après le résultat ? Que signifie cette immobilité émotionnelle face à un résultat d'une telle importance ?
Malgré la compréhension intellectuelle du risque réel, le candidat se croit "pas du tout" ou "très peu" à risque, ou, au contraire, déjà malade. Le risque subjectif est en partie fondé sur le vécu familial de la maladie et la pensée magique susceptible de conjurer le sort.

Si le décalage entre le résultat et le risque subjectif est grand, le temps d'adaptation à la nouvelle situation sera plus long. À la suite du résultat, les conséquences ne sont pas les mêmes à court et à long terme. Il est frappant de constater que, dans chaque groupe, un quart des candidats n'éprouvent aucune réaction immédiatement après le résultat et n'effectuent aucun changement à distance.

Quel que soit le résultat, l'équipe doit aider le candidat à guérir d'être "à risque".
Selon les sujets, un délai variable est nécessaire pour s'adapter à la nouvelle situation, dès lors que le fait d'être ou non porteur ne constitue plus un jeu cruel de la pensée mais devient une réalité. Ce délai explique, en partie, les difficultés rencontrées pour faire face à la nouvelle vie après un résultat favorable.
L'importance du délai pourrait dépendre de l'écart qui existe entre le risque subjectif et le résultat.

Le risque objectif de 50 % représente rarement une réalité émotionnelle. Il est remplacé par le risque subjectif, fondé sur le vécu de la maladie dans la famille. Après le résultat, le choix de vie élaboré dans l'état "à risque" n'est plus adapté à la situation de certitude. À long terme, les conséquences du résultat les plus surprenantes concernent le nombre de grossesses chez les femmes porteuses sans demande de diagnostic prénatal (10 %).

 

Bénéfices autres que thérapeutiques

Le test prédictif est loin d'être un acte médical neutre. Le résultat équivaut soit à une condamnation soit à une libération. Aujourd'hui, le bénéfice thérapeutique est nul. Mais le bénéfice peut être évalué dans d'autres dimensions.

- Bénéfice direct individuel : sentiment de libération, possibilité d'agir et de prendre des décisions.

- Bénéfice social : préparation à la maladie et aménagement des conditions de travail.

- Bénéfice familial : restructuration familiale dans la fratrie concernée, dynamique du couple face au résultat et possibilité d'informer les enfants.

- Bénéfice de la prise en charge par une équipe : psychothérapie, levée du mythe médical de la maladie, etc.

La réflexion menée par l'équipe multidisciplinaire, progresse avec son expérience car chaque candidat est un cas particulier. L'expérience acquise permet de mieux évaluer les motivations des candidats et de les aider à anticiper leurs réactions.