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Synthèse : Webinaire Déprogrammations et non-recours : penser l’accès aux soins en temps de pandémie

Retour sur le webinaire organisé le mardi 4 mai 2021

Par: Soline Sénépart, Chargée de mission, Espace éthique/IDF /

Publié le : 01 juin 2021

Les différentes phases de la pandémie n’ont pas épargné le système de santé. Que ce soit à cause des déprogrammations de soins jugés non-urgents, du non-recours par crainte d’être contaminé dans les lieux de soin ou parce que la situation sanitaire empêche d’accompagner les personnes vulnérables dans les meilleures conditions, l’accès aux soins a été rendu difficile. Cette période a été marquée par l’aggravation de pathologies non traitées ou non suivies et la perte de chances pour ceux qui n’ont pas été soignés. Au-delà des questions organisationnelles, il convient d’analyser cette situation à la lumière de l’éthique pour saisir les enjeux complexes liés au soin et à l’accompagnement des personnes. Pour cela, nous avons invité Pierre Mongiat Artus, urologue à l’hôpital Saint-Louis de l’APHP et professeur d’urologie à l’Université de Paris, Pascal Jacob, président de l'association Handidactique et de l'enquête Handifaction sur l'accès aux soins des personnes vivant avec un handicap, Evelyne Renault-Tessier, médecin généraliste spécialiste de la douleur et des soins palliatifs à l’Institut Curie, et Jean-François Alexandra, médecin interniste à l’hôpital Bichat - Claude-Bernard de l’APHP, à intervenir le mardi 4 mai 2021 à l’occasion de la webconférence “Déprogrammations et non-recours : l’accès aux soins en temps de pandémie”.

L’accès aux soins : une nouvelle organisation

Jean-François Alexandra et Evelyne Renault-Tessier s’accordent sur le fait que la Covid-19 est une “syndémie”, ce qui signifie que la gravité du virus provient de l’interaction entre le phénomène biologique et la société. De la même manière que la graine rencontre le sol fertile, la Covid-19 a rencontré des pathologies chroniques, d’où la gravité de la situation et la nécessité de penser des solutions de prévention pour ne pas aggraver ces pathologies pré-existantes. 

Or, le caractère inédit de la crise sanitaire a provoqué une désorganisation du système de santé, amenant à reporter les soins non-urgents, parmi lesquels les soins préventifs. En effet la première vague de la Covid-19 a vu certains patients renoncer à leurs soins par crainte d’être contaminés. En parallèle, les hôpitaux ont dû recourir à la déprogrammation de soins jugés non prioritaires pour ré-allouer les moyens humains (personnel soignant comme non-soignant) et logistiques (matériel tel que les lits et les réanimateurs) ainsi libérés. Selon Pierre Mongiat Artus, ces décisions ont été prises sur la base de recommandations scientifiques dans le but de sauver un maximum de vies. Evelyne Renault-Tessier, quant à elle, qualifie ces décisions de “verticales”, mais prises dans “l’intérêt collectif”. Cela revient à privilégier les résultats à court terme, sans tenir compte des pertes de chances pour les patients qui n’ont pas eu accès à leurs soins – mais comment quantifier ces pertes de chance ? La situation fut différente lors des deuxième et troisième vagues. Le taux de déprogrammations était plus faible mais, comme le montrent les résultats de l’enquête BaroCov d’Evelyne Renault-Tessier, menée auprès de patients vivant avec un cancer, le risque d’attraper la Covid-19 en se rendant à l’hôpital était prégnant. Cependant, les soins hors-Covid ont tout de même repris, conduisant à une nouvelle problématique que rappelle Jean-François Alexandra : il faut maintenant gérer “deux flux mutuellement exclusifs”, celui des patients positifs à la Covid et des patients hors-Covid. La présence de l’un excluant la présence de l’autre pour éviter toute transmission, il fut donc nécessaire de sectoriser les patients.

Quelles conséquences selon les publics ?

Pour les personnes atteintes d’une maladie chronique, Jean-François Alexandra constate un retard pris dans les consultations de réévaluation des maladies permettant l’adaptation du traitement selon les évolutions. En l'absence de ce contrôle, certains patients ont sans doute été “sur-traités”. À cela s’ajoute un engorgement des services hospitaliers, notamment dû au fait que des patients dont les soins ont déjà été décalés aux mois de septembre et octobre 2020 se sont vus déprogrammés à nouveau à cause du second confinement. L’engorgement de la sortie de la première vague était donc à peine géré qu’est survenue la seconde. Il s’agira maintenant de procéder au “rattrapage des arriérés” selon Pierre Mongiat Artus et de travailler à réduire le risque de la pérennisation de la dégradation des soins.

Les conséquences de cette désorganisation varient selon les publics. Pour les personnes en situation de handicap, Pascal Jacob, sur la base des retours de son baromètre Handifaction concernant l’accès aux soins des personnes en situation de handicap, témoigne d’une meilleure prise en charge des patients Covid que des patients nécessitant des soins hors-Covid. Plus spécifiquement, l’impossibilité d’être accompagné a eu des conséquences fortes sur les personnes vulnérables qui, séparées de leur accompagnement habituel, se refusent parfois à être soignées. Pour les patients suivis dans le cadre d’un cancer, les données recueillies par Evelyne Renault-Tessier montrent que le sujet principal de préoccupation était l’évolution de leur maladie et l’inquiétude quant à son suivi.

Interroger les pratiques  et repenser l’accès aux soins: quels changements durables ?

Les baromètres mis en place par Pascal Jacob et Evelyne Renault-Tessier permettent de recueillir la parole directe des personnes concernées, de mesurer les retombées de la crise sanitaire sur l’accès aux soins et de prendre connaissance de difficultés majeures. Par exemple, Pascal Jacob explique que les personnes en situation de handicap psychique ou cognitif ont eu plus de mal à accéder aux soins que d’autres catégories de la population. Evelyne Renault-Tessier, quant à elle, a interrogé ses patients sur ce que recouvre la notion de  “non-urgent” ou de strict nécessaire pour eux. Le baromètre permet également d’orienter les décisions dans la mise en place de procédures alternatives comme la télémédecine. 36% des personnes interrogées y ont eu recours et c’est une pratique qui va probablement rester partiellement, même si Pierre Mongiat Artus rappelle qu’il n’est pas certain que cela puisse répondre aux attentes des patients aussi correctement qu’une consultation en présentiel. 

Cette pandémie semble être l’occasion de repenser l’organisation du système de santé. Jean-François Alexandra aborde la question du “virage ambulatoire”, le personnel hospitalier devenant le coordinateur d’un parcours de soin qui n’est plus centré sur l’hôpital mais intégrant des médecins généralistes ou spécialistes par exemple. Au fil de la progression de la pandémie et des déprogrammations, les patients se sont tournés vers les médecins généralistes qui ont été présents pour eux quand ils n’étaient plus accueillis à l’hôpital. Au-delà, c’est le soin en lui-même qu’il faut peut-être repenser pour que celui-ci soit adapté au patient en particulier, de manière à prodiguer le bon soin à la bonne personne. L’erreur, selon Pierre Mongiat Artus serait de porter nos efforts sur les soins thérapeutiques, négligeant ainsi les efforts en soin de prévention, qui sont pourtant nécessaires pour éviter l’aggravation d’une situation syndémique.

La désorganisation du système de santé a initié une réflexion sur la notion d’urgence, sur la valeur du soin et sur l'accessibilité aux différents publics. Cette pandémie est peut-être l’occasion de “placer l’éthique au cœur du soin”, pour reprendre les mots de Pierre Mongiat Artus. Pour remettre le patient et son expérience au cœur du système de santé et l’intégrer davantage à la prise de décision quant à l’avenir de l’hôpital, les initiatives sous la forme de baromètres semblent à propos. Penser ce dispositif de manière plus complète, sur la base d’un panel régulier et l’intégrer au système de soins permettrait de faire des patients des parties prenantes de l'organisation de l'accès aux soins.