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Synthèse : Aducanumab - quels enjeux médicaux et éthiques ?

Retour sur la visioconférence du mardi 15 juin 2021

Par: Soline Sénépart, Chargée de mission, Espace éthique/IDF /

Publié le : 26 Juillet 2021


Récemment, la Food and Drug Administration a autorisé la mise sur le marché américain de l’aducanumab, une biothérapie contre la maladie d’Alzheimer. Même si elle est conditionnelle, cette autorisation suscite beaucoup de questions chez les experts, notamment à cause du manque d’éléments qui permettraient de conclure à l’efficacité du traitement. Certains qualifient pourtant cette mise sur le marché d’événement, une étape importante qui pourrait permettre à certains profils particuliers de malades, les personnes atteintes de troubles cognitifs légers ou à un stade précoce de la maladie, de voir leur condition s’améliorer. L’aducanumab, au-delà des espoirs qu’il suscite, pose différentes questions relatives aux enjeux médicaux et éthiques du traitement de la maladie d’Alzheimer. Pour en discuter, l’Espace éthique Ile-de-France et la Fondation Alzheimer ont souhaité réunir Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace de réflexion éthique Ile-de-France, Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Alzheimer, Catherine Ollivet, vice-présidente de France Alzheimer 93, Audrey Gabelle, présidente de la Fédération des Centres Mémoire, David Wallon, directeur du Centre Mémoire Rouen et Fabrice Gzil, directeur adjoint de l’Espace de réflexion éthique Ile-de-France.

L’aducanumab : de la fin des essais à la mise sur le marché, un parcours controversé

Un bref retour sur le parcours de l’aducanumab permet de comprendre pourquoi ce traitement suscite des controverses. Philippe Amouyel explique qu’avant de recevoir une autorisation conditionnelle de mise sur le marché américain le 7 juin 2021, ce traitement a d’abord vu ses essais arrêtés à cause d’analyses dites de futilité qui ont révélé des résultats insuffisants. En mars 2019, elles montrent une probabilité trop faible d’atteinte de son critère de réussite principal. Ces analyses ont été réalisées sur des patients en début de traitement qui ne recevaient que des premières doses peu élevées. Or, en octobre de la même année, les études sont relancées car il apparaît que le traitement réduit effectivement le déclin cognitif lorsque les doses administrées sont élevées. Même s’il est autorisé, l’aducanumab sera tout de même soumis à des essais post-commercialisation, ce qui n’empêche pas les experts indépendants interrogés de rester défavorables à son utilisation et d’exprimer des doutes quant à la pertinence des résultats.
Fabrice Gzil s’appuie sur un sondage réalisé par John Carroll pour Endpoints News pour montrer que l’aducanumab ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes du domaine. Réalisé auprès de 1400 experts de la bioéthique et de l’industrie pharmaceutique, il en ressort qu’une majorité pense que la Food and Drug Administration fait une erreur en approuvant ce médicament. Alors, comment une telle décision a-t-elle pu être prise sur la base d’éléments jugés insuffisants ? David Wallon rassure : derrière l’aducanumab, il y a un historique de plusieurs années d’essais cliniques, portant d’abord sur des patients atteints d’une forme sévère ou avancée de la maladie mais ayant évolué vers des patients à un stade précoce, plus réceptifs au traitement. Si cette mise sur le marché est inédite, c’est aussi parce que l’aducanumab est pionnier. Il est le premier médicament qui essaie d’agir sur l’une des causes possibles de la maladie et non sur l’un de ses symptômes, dont les intervenants rappellent qu’ils peuvent être multiples et varient selon les patients qui ne vivent pas tous la maladie de la même manière.

Au-delà d’un récit de la simplicité, une variété de patients qu’il convient d’accompagner

Pour Audrey Gabelle, le débat autour de l’aducanumab a le mérite de rappeler que la maladie d’Alzheimer est une pathologie grave, à l’issue fatale et aux conséquences dramatiques. A rebours de l’idée fataliste qu’il n’y a rien à faire contre elle, ce traitement apparaît comme une lueur d’espoir pour les patients. Cependant, Fabrice Gzil invite à mesurer toute la complexité de la maladie. Il pointe du doigt des récits simplistes qui tendent à présenter la maladie d’Alzheimer comme une seule maladie, avec une cause unique et un seul traitement possible. Il faut, au contraire, éviter de nourrir l’espoir d’un traitement médical curatif unique, occultant la perspective d’approches complémentaires que sont la compensation et la prévention. Catherine Ollivet, forte de son expérience dans l’accompagnement des patients et de leurs proches au sein de France Alzheimer, explique qu’il n’y a pas une façon unique d’être malade. Les personnes malades sont toutes différentes, autant que le sont leurs symptômes et leurs vécus de la maladie. C’est cette variété de personnes qu’il faut apprendre à accompagner en fonction de leur situation, à qui il faut apprendre à s’adresser.
Historiquement, l’arrivée de la tacrine en 1994 apportait déjà son lot d’espoir et de déceptions pour les familles de malades, raconte Catherine Ollivet, et donc la nécessité d’un accompagnement adéquat. La situation actuelle est similaire, il faut mesurer le poids des mots choisis pour parler aux personnes malades, pour leur annoncer un diagnostic clair et, le cas échéant, une ouverture du droit d’accès au traitement. Il conviendra également d’accompagner la déception du malade quand “le couperet de la non-inclusion dans ce traitement tombera”. L’aducanumab apparaît comme une perspective qui fait renouer toute une communauté de malades avec l’espérance, auprès desquels Audrey Gabelle rappelle qu’il faudra être présent en cas de désillusion. Pour accompagner ceux qui s’apprêtent à suivre ce traitement, il semble nécessaire que les professionnels de santé soient en mesure de faire assimiler aux personnes et à leurs familles ce qu’est un “traitement potentiel”. Leur rôle reste celui d’encadrant et d’accompagnateur mais ne doit pas occulter le rôle d’acteur du patient dans son propre parcours de soin.

Il conviendra d’accompagner la déception du malade quand “le couperet de la non-inclusion dans ce traitement tombera”. L’aducanumab apparaît comme une perspective qui fait renouer toute une communauté de malades avec l’espérance, auprès desquels il faudra être présent en cas de désillusion.

Quels enjeux éthiques à l’échelle du patient et de la recherche scientifique ?

Le personne, consciente de ce qui est en jeu, est souvent demandeuse d’essais et veut être actrice de sa prise en charge. Il est vrai que la maladie provoque des situations de vulnérabilité, certaines dans lesquelles il est difficile d’obtenir l’accord éclairé d’un patient en s’assurant qu’il a bien compris que les bénéfices du traitement sont incertains et qu’il y a des effets secondaires potentiels. Cependant, pour ceux qui sont en mesure de donner leur accord et pour qui l’aducanumab serait plus efficace que ce qui est observé dans les études, Audrey Gabelle appelle à ne pas renoncer au traitement pour de simples raisons de moyenne. La décision de recourir à l’aducanumab ou non est à prendre en regard de la situation individuelle de chaque patient, mais n’est pas sans impact sur la recherche scientifique de manière générale.
A une échelle plus globale, la recherche scientifique se trouve influencée par la mise sur le marché de ce nouveau médicament. Selon Fabrice Gzil, le précédent de l’autorisation de l’aducanumab pourrait être perçu par la communauté scientifique et l’industrie comme un signe que certains médicaments finissent par recevoir une autorisation malgré les échecs. Il serait alors possible que l’aducanumab soit vecteur d’espoir pour les patients, leurs proches mais également pour les chercheurs qui se verraient encouragés à poursuivre leurs travaux. On peut cependant imaginer que les compagnies, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’aducanumab, vont demander des approbations sur la base de résultats eux aussi faibles. Cela risque de faire perdre du temps et de l’argent, mais aussi de faire courir un risque accru à ceux qui participent aux essais. On peut donc raisonnablement craindre une perte de qualité de la recherche.
Si l’aducanumab relance les débats autour des traitements de la maladie d’Alzheimer, les professionnels s’accordent volontiers sur la complexité de cette maladie neuro-évolutive. Ses causes, ses symptômes, les personnes malades sont différents et, par conséquent, il ne faut pas envisager l’aducanumab comme traitement “unique” en réponse à une maladie qui serait “simplifiée”. Ce traitement doit s’inscrire dans une prise en charge globale du patient, qui allie méthode médicamenteuse et non-médicamenteuse, comprenant par exemple de l’orthophonie ou encore de la kinésithérapie. De ce fait, il faut penser le pharmaceutique, l’interventionnel non-pharmaceutique et la prévention de manière complémentaire.

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