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Quels soutiens dans cette période de confinement ?

"Cette épreuve inopinée du réel bouleverse l’humain dans ce qu’il a plus de plus intime mais aussi plus précisément dans ce qui les lie dans la gestualité corporelle et les relations à l’autre. Ce faisant dans une force de frappe par ailleurs mondiale avec tout ce que cela suppose et surtout sans précédent sur lequel nous pourrions trouver des repères."

Par: Pascale Gérardin, Psychologue clinicienne, CMRR Lorraine, CHU de Nancy /

Publié le : 31 Mars 2020

Cette épreuve du COVID19 nous oblige et nous révèle

Dans ce contexte de propagation du virus COVID19, nul ne pourrait contester aujourd’hui qu’un soutien psychologique des personnes hospitalisées, de leurs proches et des soignants s’impose et se justifie de fait. Cette expérience tout à la fois inédite, méconnue mais aussi anxiogène par ce qu’elle véhicule comme peurs et représentations modifie et bouleverse  les postures habituelles de soignant dans la relation d’aide. Nos conduites sont à élaborer dans une immédiateté qui nous démunis tant nous ne sommes pas préparés à un tel séisme. Cela d’autant qu’une anticipation des effets et retentissements émotionnels et autres est réduite, voire impossible aujourd’hui. 

Mais cette épreuve du COVID19 nous oblige et nous révèle. Chacun d’entre nous. 
Elle nous oblige tout d’abord en regard de la force et puissance de ce virus qui nous touche tous et qui balaye sur son passage sans distinction ou presque les uns et les autres. Qui plus est, par ces petits gestes de proximité jusque-là réservés aux relations interpersonnelles, familiales, amicales et collégiales. 
Elle nous oblige également à des mouvements de solidarité et de générosité envers les plus fragiles et les plus vulnérables. Elle nous oblige aussi à nous rendre disponible, volontaire et à aider. Oui aider, le mot est posé, mais d’emblée  avec ces questions qui taraudent : comment ? qui ? où ? et enfin pourquoi ? En effet, pourquoi dans cette épreuve nous sentons-nous si fragiles et si démunis dans ces élaborations qui nous animent ?
La réponse ou plutôt une des réponses est peut-être moins en nous, dans nos singularités que dans la nature de cet événement extérieur à nous. Cette propagation est rapide, brutale et surtout incontrôlée. Cette intrusion atteint ce qui nous fonde et nous constitue en ce que nous avons de plus précieux, c’est-à-dire la vie. Et sans aucune maitrise sur les ravages possibles et ses conséquences. Cette épreuve inopinée du réel bouleverse l’humain dans ce qu’il a plus de plus intime mais aussi plus précisément dans ce qui les lie dans la gestualité corporelle et les relations à l’autre. Ce faisant dans une force de frappe par ailleurs mondiale avec tout ce que cela suppose et surtout sans précédent sur lequel nous pourrions trouver des repères. 
Pas de repères ou très peu, pas de maitrise donc pas de sécurisation possible. L’humain est ainsi fait : c’est par la projection et l’identification que chacun se construit et s’adapte à l’environnement extérieur de manière singulière. Et ces modes d’adaptation ou de défense sont bien utiles dans la vie quotidienne. Leur fonction est de sécuriser et de réassurer. Et c’est ainsi que nous avançons.
 La voie de l’anticipation qui peut être une aide à vivre est également limitée. Comme mécanisme d’adaptation il vise à apprivoiser l’incertitude d’un devenir par une certaine maitrise, il permet de répondre à l’angoisse de ce que peut être le devenir. Anticiper revient à organiser, préparer, reprendre la main sur ce qui nous échappe. C’est une tentative de sécuriser ce qui ne l’est pas. 
Or aujourd’hui ces modes de sécurisation et ces repères ne sont pas ou peu disponibles. Il y a une modification d’un grand nombre de paradigmes. Les savoirs scientifiques se construisent au jour le jour et à mesure de l’avancée de la propagation. Nous évoluons pas à pas, du connu, du familier sécurisant à l’inconnu et au doute voire la défiance pour certains. C’est la raison pour laquelle les cadres d’intervention nous semblent à élaborer, définir et formaliser précisément. 
En effet, face aux images d’actions des soignants en première ligne autour des patients en détresse vitale et relayées par les médias, nous aurions envie comme dans une injonction implicite, d’agir et de sauver comme ils le font et d’être à leurs côtés. Tels des héros. 
Et ainsi chacun contient cet élan comme il le peut avec son corollaire de sentiments en retour. Entre inutilité, impuissance, estimes de soi mises à mal, ces sentiments témoignent pourtant et sans conteste, d’une mobilisation intrapsychique active et dynamique.
 

Élaborer et de défendre des espaces d’écoute et de soutien

C’est en ce sens que cette expérience et ses composantes inédites nous révèle, chacun à soi-même. Seul face à soi-même pourrions-nous ajouter. Cette épreuve venant souligner nos propres fragilités mais aussi nos potentialités interpersonnelles et individuelles ainsi que nos ressources. Chacun apprenant sur lui-même et ses sensibilités émotionnelles. Insidieusement ou violemment. C’est à la fois le chacun pour soi qui peut conduire à aller vers soi mais aussi le chacun en soi qui peut conduire à aller vers l’autre. Les solidarités en toute discrétion parfois qui fleurissent dans les cités, dans les voisinages en sont les preuves.
Dans cette voie, les interventions psychologiques sont à redessiner. Quelle écoute proposer ? Quel soutien ? Et comment ? Autant de questions à mettre en perspective. La tension entre pensée magique et toute puissance et ce réel cruel et insupportable est à penser. En d’autres termes, entre désir de faire, d’agir, de soulager et sentiment d’impuissance à le faire à la hauteur de cette volonté, il y a la voie du compromis. Ces deux tendances ne sont pas incompatibles, elles rendent sensiblement compte non seulement de la complexité de cette épreuve mais aussi de la subjectivité des modes de réponses ou d’action. Assumer ses désirs, ses dires et ses faires et assumer dans le même temps ses contradictions n’est pas à blâmer ou à reprocher. La condition humaine se nourrit de ses subtilités parfois paradoxales avec une écoute à l’autre et à ce qu’il vit qui se justifie là et qui doit permettre de contenir ou à minima de laisser place à ces ambiguïtés.

C’est donc dans ces moments inédits de grandes incertitudes et souffrances singulières où les idéaux individuels et collectifs ainsi que  les croyances sont mis à mal et à défaut qu’il parait essentiel d’élaborer et de défendre des espaces d’écoute et de soutien interpersonnels. Tout comme le virus avance, les modes de pensée et donc d’agir se doivent d’avancer. Ces modes n’ont pu être anticipés et préparés mais ils nous conduisent aujourd’hui à nous investir en ce sens dans un étayage intégrant des valeurs de sécurisation et de réassurance.
C’est ainsi que nos mobilisations ne seront pas vaines mais constructives au final en nous appuyant sur ce qui fait sens commun et relation en qualité de lien et ce, à partir des ressources et disponibilités de chacun. C’est tout à la fois un idéal mais un aussi un projet à penser et à vivre pour les jours à venir...