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À quel moment la limite du déraisonnable est-elle franchie en réanimation ?

"Chaque jour, l’acharnement des réanimateurs permet de sauver de nombreuses vies. À quel moment la limite du déraisonnable est-elle franchie ? Cette limite est en réalité variable d’un médecin à l’autre, d’un patient à l’autre, voire variable pour un même patient au cours du temps."

Par: Arié Attias, Médecin, réanimation chirurgicale polyvalente, Département d’anesthésie-réanimation, Hôpitaux universitaires Henri Mondor, AP-HP /

Publié le : 03 Février 2015

Selon quels critères anticiper une évolution ?

L’acharnement thérapeutique, le consentement éclairé, l’euthanasie, autant de concepts évoqués pour parler de patients en fin de vie. Qu’en est-il en réanimation ? La réalité de notre pratique est singulière. Pour l’illustrer, nous partirons du cas de madame L. âgée de 54 ans. Cette patiente est victime d’un banal accident de voiture. Transportée en urgence au sein de notre hôpital, le bilan lésionnel est plutôt rassurant compte tenu de la violence du choc : un minime traumatisme crânien, une fracture d’une vertèbre cervicale sans gravité et quelques fractures de côtes. À ce stade, rien ne laisse présager d’une longue hospitalisation. Pourtant, son état se dégrade progressivement suite à des complications infectieuses graves. Son aspect physique, lié à une dénutrition sévère, devient inquiétant. Après plusieurs mois d’évolution, au sein de l’équipe la situation commence à soulever la question de l’opportunité de poursuivre ou non les thérapeutiques engagées. Dans ce cadre nous recueillons les souhaits de la patiente, comme le demande la loi. La réponse est claire : elle refuse tout acte diagnostique ou thérapeutique, elle refuse de participer à des soins élémentaires comme la toilette ou la kinésithérapie. Ses proches s’en remettent aux choix de l’équipe médicale. Les avis au sein de l’équipe divergent et surtout, à l’encontre d’une majeure partie des soignants, le chef de service s’oppose à toute forme de limitation ou d’arrêt thérapeutique. L’expression de sa réticence repose essentiellement sur deux arguments. La pathologie de cette patiente, dont l’autonomie antérieure était conservée, est curable. De plus, il doute de la capacité pleine et entière de cette femme à formuler un avis éclairé compte tenu de la situation et de l’interférence de la douleur physique et morale dans ses choix. Au regard de ces nombreux doutes raisonnables, la poursuite des thérapeutiques entreprises est décidée en accord avec l’ensemble de l’équipe. L’évolution sera favorable. La veille de sa sortie, nous retournons l’interroger sur son vécu de cette terrible épreuve. Elle est souriante et nous remercie chaleureusement de ne pas avoir baissé les bras lorsqu’elle était au plus mal.
 

Comment s’assurer que la demande formulée est parfaitement éclairée ?

Au travers de ce cas bien réel, nous voyons en arrière-plan toute la problématique de la fin de vie en réanimation. Chaque jour, l’acharnement des réanimateurs permet de sauver de nombreuses vies. À quel moment la limite du déraisonnable est-elle franchie ? Cette limite est en réalité variable d’un médecin à l’autre, d’un patient à l’autre, voire variable pour un même patient au cours du temps. Accompagner la fin de vie en évitant l’acharnement thérapeutique et en tenant compte des préférences du patient est un concept louable, la pratique est bien plus complexe. Pour se prémunir des dérives, l’avis du malade et de ses proches, la collégialité et le consultant extérieur font office de garde fou. Les souhaits des patients, relayés éventuellement par leurs proches sont recherchés systématiquement en réanimation. Néanmoins, ce cas soulève une question fondamentale. Peut-on s’appuyer sur l’avis de patients dont nous savons pertinemment que leur discernement est affecté par de nombreux éléments ? L’équilibre entre l’autonomie du patient et le paternalisme médical est un art qui ne s’enseigne pas au travers d’une loi.
Enfin, en extrapolant ce cas à la question de l’euthanasie en réanimation, il apparaît que celle-ci est hors sujet. En effet, selon les lois des pays légalisant sa pratique, le recueil du consentement éclairé du patient est une condition sine qua non. Or comment s’assurer que la demande formulée est parfaitement éclairée puisque nous savons que les patients de réanimation sont très souvent inaptes à formuler leur souhait sereinement et en pleine possession de leurs capacités mentales, morales et physiques. Mettre fin volontairement à la vie de ces patients équivaudrait à un homicide. Une éventuelle loi ne devrait donc pas a priori modifier les pratiques dans les services de réanimation.