Notre Newsletter

texte

article

Que comprendre de l’acquittement de Nicolas Bonnemaison ?

"Si la place de Nicolas Bonnemaison n’est pas parmi les criminels de droit commun est-elle pour autant auprès de personnes forcées de s’en remettre à la médecine à l’extrême fin de leur vie ? Est-elle sous les applaudissements qui ont suivi l’annonce du verdict ?"

Par: Valérie Depadt, Maître de conférences, Université Paris 13, Sciences Po Paris, Conseillère de l’Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France /

Publié le : 27 juin 2014

Envoyée spéciale à la cour d’Assises de Pau

Ce 25 juin 2014, Nicolas Bonnemaison a été acquitté. Aux 14 questions qui leurs étaient posées sur la culpabilité du médecin, les jurés ont répondu par la négative.
La veille s’était déroulé le réquisitoire de l’Avocat général Marc Mariée, suivi des plaidoiries de la défense représentée par Maîtres Arnaud Dupin et Benoit Ducos-Ader.
L’avocat général, dans son réquisitoire, a recadré le débat en rappelant que ce procès n’était pas celui de l’euthanasie, pas plus qu’il n’était le lieu de l’évaluation de la loi sur la fin de vie du 22 avril 2005. C’était celui d’un médecin qui, face à des situations de fin de vie, n’a pas respecté le protocole ratifié par le Centre Hospitalier de la Côte basque où il pratiquait, donnant la mort à des personnes qui n’en avaient pas émis le souhait.
Les personnes décédées étaient incontestablement en fin de vie, mais les faits incriminés ne relevaient pas du cadre établi par la loi sur la fin de vie. Effectivement, cette dernière, si elle autorise le médecin à soulager la souffrance d’une personne en phase terminale en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, ne permet pas l’acte directement destiné à entraîner la mort. Or en l’espèce, les substances injectées aux patients l’ont été à doses létales, dans l’intention de provoquer le décès. Nicolas Bonnemaison reconnaît cette intention. À l’expert qui l’a interrogé lors de l’instruction, il dira assumer son geste, sans le revendiquer, indiquant qu’il lui est apparu comme la moins mauvaise solution, parlant de vie devenue indigne.
Une phrase de l’accusation résume la situation : « la volonté du médecin n'était pas de faire le mal, mais pour faire le bien, au regard de la loi, il a fait le mal. »
Alors que tout le mouvement législatif est orienté dans le sens de la transparence des protocoles médicaux, Nicolas Bonnemaison a agi dans l’opacité totale, allant lui-même jusqu’à préparer les ampoules et pratiquant les injections, ce qui ne relève pas du rôle du médecin. Il n’a pas respecté l’obligation qui était la sienne de retranscrire dans le dossier médical des patients les produits administrés, pas plus qu’il n’en a fait mention dans les courriers envoyés aux médecins traitants à la suite du décès de leurs patients. Questionné par l'avocat général sur les raisons d'un tel comportement, il a simplement déclaré « ne pas se l'expliquer ». La responsabilité inhérente à sa fonction de l’époque de chef de l'unité d'hospitalisation de courte durée de l'hôpital de Bayonne peut-elle s’accorder d’une telle justification ?
Pour sa dernière déclaration avant que les jurés de la Cour d'assises de Pau ne se retirent pour délibérer, Nicolas Bonnemaison a de nouveau assuré ce mercredi avoir « agi en médecin », ajoutant que « cela fait partie du devoir du médecin d'accompagner ses patients jusqu'au bout du bout ».
Nicolas Bonnemaison, en exécutant les faits qui lui ont été reprochés, n’a pas agi dans l’objectif d’une sédation, mais dans celui d’abréger une vie. Lui dira « d’abréger une agonie ». Dès lors, a-t-il agi en médecin ou en criminel ? Les faits en question doivent-ils être qualifiés de soins ou de crimes ? L’ensemble du débat s’est articulé autour de cette distinction que le code pénal ignore, laissant le juriste d’aujourd’hui démuni de toute sanction adaptée.
Ainsi, face aux agissements de Bonnemaison, l’accusation ne disposait que des textes de droit commun relatifs aux crimes d’empoisonnement, à savoir les articles L. 221-1 et suivants du code pénal. C’est donc sur ce fondement que le Parquet a requis une peine de cinq ans d’emprisonnement, assortie d’un sursis pouvant couvrir la totalité de la peine, sans interdiction d’exercer. Or, dès le début de son réquisitoire, l’avocat général s’adresse au prévenu : « vous n’êtes pas un criminel au sens commun des termes. » La défense est revenue sur ce point, faisant du prévenu le « symbole de l’accusation déraisonnable ».
La place de Nicolas Bonnemaison n’est pas parmi les criminels de droit commun. Pour autant, est-elle auprès de personnes forcées de s’en remettre à la médecine à l’extrême fin de leur vie ? Est-elle sous les applaudissements qui ont suivi l’annonce du verdict et la haie d’honneur qu’il a traversée en sortant du Palais ?
L’affaire Bonnemaison ne doit pas tenir lieu de réponse implicite à la question de la sédation terminale, elle ne doit en aucune façon être comprise comme une autorisation donnée aux médecins par le corps judiciaire. Tout au contraire, cette affaire rappelle que l’admission d’une telle pratique ne peut relever que des pouvoirs du législateur, garant du fait majoritaire et de la représentation nationale.