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Pratique des soins palliatifs à l'hôpital en période pandémique

"Une pandémie grippale d’un variant virulent causerait des décès par détresse respiratoire. Par le nombre et les conditions du décès, le traumatisme serait important pour l'entourage des malades et les professionnels. Comment planifierait-on le soulagement des symptômes de détresse respiratoire au quotidien, à vaste échelle ?"

Par: Sylvain Pourchet, Médecin (Paris), ancien responsable de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Paul Brousse (AP-HP) et du Diplôme Universitaire d’accompagnement et soins palliatifs de l’université Paris Sud /

Publié le : 23 Mars 2009

Deux ans après l’épidémie de grippe aviaire, la multiplication actuelle des cas de grippe « porcine » remet dans l’actualité l’inquiétude d’une pandémie grippale grave. Le virus A/H1N1v incriminé, nouveau variant, pose à la fois la question de la virulence de souches en recombinaisons permanentes et celle de la perméabilité des barrières d’espèce.
La forme actuelle de grippe A semble relativement bénigne. Pour autant, la quantification régulière du nombre de cas diagnostiqués et de décès rend encore plus criant l’absence de prise en compte des soins palliatifs dans les stratégies thérapeutiques. La priorité donnée aux mesures visant à limiter la contagion et le souci de guérir les malades infectés est légitime. L’absence de visibilité sur les soins à proposer aux malades qui mourront des complications de la grippe et sur l’accompagnement de leurs proches et des équipes soignantes l’est moins.
Dans l’hypothèse d’une pandémie grippale de souche très virulente, à quoi pourrait ressembler les besoins de prise en charge palliative en situation de crise ?
 

Principes d'organisation des soins palliatifs

Les soins palliatifs se développent aujourd’hui rapidement, à la fois à l’hôpital (unités, lits identifiés, équipes mobiles) et en ville (réseaux). S’adressant aux malades atteints de maladie graves et évolutives, ils interviennent aujourd’hui en amont de la phase terminale. Les expériences  développées par certains services de réanimation et équipes mobiles de soins palliatifs montrent l’intérêt d’une collaboration dans les situations d’aggravation rapides de la maladie hors du champ de la pathologie chronique.
Forts de leur compétence sur le soulagement des symptômes par une approche interdisciplinaire, les soins palliatifs apportent également une authentique réflexion sur les conditions de la fin de vie, en intégrant des considérations dépassant le seul champ médical.
Comment perçoit-on les personnes en fin de vie ? Quel dialogue instaure-t-on avec elles ? Quelle place occupent-elles dans une société qui tend à les dissimuler ou les exclure ?
 
En situation de crise pandémique, comment garantir le souci du meilleur soin ? L’urgence, les considérations économiques, les évolutions d’une opinion publique sensibilisée à l’euthanasie par un lobbying en faveur de sa légalisation, ne risquent t’elles pas de cautionner à bon compte des pratiques expéditives ?
 
L’analyse des pratiques actuelles doit nous servir à imaginer le contour des prises en charges palliatives qui devront être mises en œuvre auprès des malades atteints de formes compliquées de grippe.
 

Les valeurs nécessaires à la conduite d'un accompagnement sont-elles aujourd'hui respectées ?

L’amélioration de la communication à l’occasion de l’aggravation d’une pathologie est aujourd’hui la base d’un soin de qualité. On sait que cette communication est facilitée par un travail d’accompagnement, faisant évoluer tout au long de la maladie à la fois le discours médical et l’attente des malades. Ainsi lorsque l’espoir initial de guérison devient illusoire, de nouveaux objectifs de soulagement peuvent être fixés.
 
En cancérologie, la protocolisation du dispositif d’annonce de cancer a marqué une évolution notable dans la réflexion sur l’amélioration de la qualité des soins. On sait cependant que son application pêche encore par une formation insuffisante à  la relation thérapeutique : où et comment les soignants acquièrent-ils cet art du dialogue ? Le face à face avec le malade et sa famille doit faire l’objet d’un « entrainement » des professionnels pour que le cadre théorique préétabli produise son effet de saut qualitatif.
Le développement des équipes de soins palliatifs est réel. Pourtant, l’accès aux soins palliatifs n'est pas encore équitable en raison de disparités persistantes de l’offre. Qualitativement, la composition des équipes reste encore éloignée des objectifs du cahier des charges. Quantitativement, certains départements sont encore dépourvus d’USP ou de réseaux. Une sélection des patients existe dans les faits, comme dans toute situation d'allocation de ressource rare. Avant de s'interroger sur les critères de tri des patients en cas de pandémie, nous pourrions déjà observer comment nous trions aujourd'hui. Tri sur l'espérance de vie, tri par défaut : absence de dialogue, peur du mourant, absence de projet de soin, manque de structures, etc.
 
L'existence d'un projet de prise en charge est un des points clé de la démarche palliative. Comment fédérer patient, entourage et intervenants professionnels multiples si un objectif n'est pas établi ? Nous savons que l'approche de la mort démobilise. Sans stratégie d'intervention, le champ est laissé à la peur et à l'abandon.
Toute prise en charge palliative repose sur une organisation du travail en équipe pluridisciplinaire. Le travail en équipe nécessite une clarification des valeurs qui motivent les intervenants, une concertation et une coordination des initiatives lors de réunions régulières. Les conditions d’un dialogue véritable malade-famille-équipe sont alors réunies.
 
La souffrance en fin de vie est une menace pour nos principes d’humanité : risque de désagrégation sociale, effondrement des cohésions individuelles, séparations, etc. Face à l'impression de disparition des repères structurants, un cadre est nécessaire. Il est possible. La vocation des soins palliatifs est, précisément, de préserver les principaux liens inter-humains, même dans les cas extrêmes, quand des malades sont condamnés à décéder à bref horizon. La démarche participative et volontaire des soins palliatifs réalise un « poste avancé » de la limite humaine en période de chaos. Cette présence en situation de désolation est un signe rassurant. Il témoigne et oriente.
 

Pratiques palliatives

Une pandémie grippale d’un variant virulent causerait des décès par détresse respiratoire. Par le nombre et les conditions du décès, le traumatisme serait important pour l'entourage des malades et les professionnels.
Comment planifierait-on le soulagement des symptômes de détresse respiratoire au quotidien, à vaste échelle ?
Il existe des recommandations de la Société Française d'Accompagnement et de Soins palliatifs (SFAP) sur la sédation en phase terminale pour détresse qui pourraient servir de base aux bonnes pratiques à promouvoir. Ces compétences seront impérativement à mettre en jeu pour le soulagement des patients pris en charge dans des lieux de soin qui ne sont ni des réanimations, ni des unités de soins palliatifs.
 
Plus inédites seraient les causes de décès et donc les conditions de l’accompagnement qui lui précède : la non-accessibilité d’un moyen thérapeutique potentiellement efficace (réanimation). L’idée d’un décès qui n’est plus uniquement la conséquence de la maladie elle-même, mais le résultat d’un tri des malades exposera à des questions cruciales.
Les malades atteints d'autres pathologies risquent eux aussi d'être placés en situation d'incurabilité et de fin de vie par la rupture d’approvisionnement de traitements spécifiques (anticancéreux, antibiotiques, etc.), ou bien, par le fait que des soignants et les structures de soin seront affectés à d’autres priorités sanitaires. Deux risques doivent être envisagés : celui de l'abandon de malades se trouvant en phase terminale, attribut de la crise, hélas, bien connu historiquement ; celui des réactions violentes, au moment de l’annonce des choix.
 
Les soignants auront eux-mêmes pu perdre des proches. Leur propre vie serait exposée. Certains ne souhaiteront pas rejoindre leur travail dans ces conditions.
En tant que « producteurs » de soins, les professionnels bénéficieront d’un accès aux traitements. Ils seront distingués. Immanquablement, un doute investira les esprits. Le trafic, l’influence, le privilège, l’injustice seront évoqués. Ces sources de conflits, dans la société et au sein même de l'organisation soignante, pèseront dans l’organisation des soins et au-delà, dans la période de sortie de crise.
 

Où puiser la cohérence et la confiance nécessaires au soin ?

Les restrictions de circulation liées à la pandémie conduiront malades et soignants à être isolés. La quarantaine fera surgir un sentiment d’exclusion pouvant conduire à des conduites inappropriées, l’isolement psychologique pouvant être plus redouté que l’isolement sanitaire. La survenue du décès sans la présence des proches pose la question des conditions du deuil. Nous avons à réfléchir à la place que pourront occuper les moyens de communication modernes dans le maintien des liens sociaux (téléphonie, internet, photo/vidéo numérique, etc.). Préserver les relations signifiantes, conserver la capacité de témoigner, d'informer permettra de garantir les solidarités.
Enfin, il faut imaginer que ces problématiques se poseront sans connaissance du moment de la fin de l'épidémie. Chacun devra assumer l'inscription de ce travail pénible dans une temporalité incertaine. La durée aura une influence déterminante sur les stratégies d'adaptation : déni, révolte, résistance, résignation, désespoir, etc.
 

La pandémie comme crise fondatrice d'un renouveau collectif ?

Un plan d’action, tel qu'il a été diffusé en France, a d’abord pour objectif de rassurer. L'ordre qu'il promet, au prix d'une organisation policière de la santé, ouvre ainsi d'autres débats. Un ordre qui rassure, aujourd'hui, est-il un ordre efficace en temps de pandémie ?
Avec l’’épidemie actuelle de grippe A, les premiers témoignages « d’usagers » montrent que le dispositif est mal connu et mal appliqué.
Comment nos sociétés aux valeurs individualistes, réagiraient-elles à une organisation coercitive, restreignant les libertés individuelles au motif de l'intérêt du collectif en cas d'épidémie ?
Cette réflexion sur une pandémie est donc aussi un questionnement sur la force de nos constructions collectives. Un plan ne pourra être opératoire que dans un climat de solidarité. Le soin ne pourra prendre place que dans un cadre de confiance et d'équité.

Quel que soit le tribut payé à une crise pandémique, il nous appartient de faire en sorte que l'occurrence d'une telle crise sanitaire soit, au-delà des drames, une opportunité. Trouver ce que nous possédons en commun de plus fondamental et organiser sa préservation.