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Parier sur la capacité des personnes âgées en EHPAD à prendre leur part de la solidarité face à ce qui frappe notre pays

Malgré les circonstances, les personnes en EHPAD sont bien présentes, bien conscientes de ce qui pourrait se passer dans le pays, dans la communauté humaine dont elles restent des acteurs, sensibles qu’elles sont aux inquiétudes de ceux qui les entourent (famille et soignants).

Par: Geneviève Demoures, Psycho-gériatre, chef de service, Le verger des Balans /

Publié le : 18 Mars 2020

Nous sommes confrontés actuellement à une crise sanitaire sans précédent qui impose une prise de conscience ainsi que  des décisions aussi courageuses que difficiles à accepter et des modifications de nos comportements individuels et collectifs.
Face aux mesures de confinement prises dans les EHPAD et aux réactions qu’elles ont suscitées, quelques réflexions me semblent s’imposer.

Ni abandon, ni isolement

Dans la très grande majorité des cas  les personnes qui sont accueillies en EHPAD et en Unité de Soins de Longue Durée  le sont parce qu’elles sont très âgées et/ou très malades, atteintes de pathologies multiples  bien souvent d’origine neuro évolutive.  Il y a dans chaque établissement de formidables équipes de professionnels soignants qui restent mobilisés, veillent sur eux, les soignent, assurent les soins d’hygiène, leur donnent à la fois les nourritures terrestres mais aussi des nourritures affectives sans pour autant prendre la place des proches aimants. Je peux en témoigner tant dans ma pratique de médecin que de ma place de fille (ma mère ayant été résidente en EHPAD pendant plusieurs années) ainsi qu'à titre de présidente de France Alzheimer pour la Dordogne.
Alors non, ces personnes très vulnérables ne vont pas mourir d’abandon ni d’isolement, ni de carence de soins, même si, bien sûr, la présence de leur famille va leur manquer. Faisons confiance non seulement au savoir-faire mais au savoir-être de ces professionnels de grande  valeur et à leur engagement  aux cotés des familles

Estimer les difficultés

Lorsque le conjoint ou l’enfant ont été contraints de confier son proche à un établissement, ce n’est jamais de gaité de cœur et encore une fois c’est bien parce que la personne souffre de pathologies, de handicaps, d’incapacité à rester à domicile. C’est bien aussi parce que les proches sont aimants, qu’ils ne prennent pas leur parti d’une aggravation des symptômes, des limites des aides et des soins à domicile ou des risques quotidiens que la décision est prise avec les sentiments de culpabilité que l’on connait, et la souffrance d’une séparation. Mais dans le contexte très sérieux de cette pandémie, le choix du confinement des établissements répond bien à la nécessité de protection des plus vulnérables  et d’anticipation d’une souffrance encore plus grande.
Quels seraient les choix éthiques auxquels seraient confrontés des soignants de réanimation en fonction de l’âge et des polypathologies, comme on a pu le voir dans d’autres pays ?
Quelle serait la difficulté de confiner une personne atteinte de  pathologie neuroévolutive, qui a besoin de déambuler, qui se trompe et qui n’est pas en capacité de se souvenir des recommandations si l’épidémie devait entrer dans l’établissement ?
Alors, bien sûr, nos proches vont nous manquer pendant quelques jours (ou semaines) et il  va nous falloir imaginer tous les moyens de rester en lien avec eux : téléphone, « face time », internet, cartes postales qu’ils vont garder et regarder et que les soignants leur liront encore et encore…
Il ne s’agit donc pas seulement d’interdire mais de responsabiliser chacun.

Des acteurs de la communauté humaine

Au-delà de leur maladie, de leur grand âge, et de leurs troubles, les personnes qui vivent en établissement demeurent des citoyens à part entière. Nombre d’entre elles ont traversé des épreuves douloureuses, des privations, des abandons, des deuils.
Et pourtant elles sont bien présentes, bien conscientes de ce qui pourrait se passer dans le pays, dans la communauté humaine dont elles restent des acteurs, sensibles qu’elles sont aux inquiétudes de ceux qui les entourent (famille et soignants).
Cela suppose que ces personnes soient informées bien sûr, dans le cadre des conseils de vie sociale mais aussi dans les groupes de parole ou encore de manière répétée, pour certaines en choisissant les mots pour le dire. Et surtout en « pariant » sur leur compétence et sur leur capacité à prendre leur part de la solidarité face à ce qui frappe notre pays.
Car sans doute nous sommes amenés à faire société ensemble, à retrouver toutes les formes d’engagement pour et avec chacun, à nous protéger mais aussi à protéger les autres, à mettre en œuvre cette fraternité qui reste le premier pilier de notre démocratie.