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N’oublions pas les personnes en situation de handicap confinées à domicile

"Qu’en est-il de toutes ces personnes vulnérables qui vivent d’ordinaire chez elles et qui ont désormais besoin d’aide pour faire leurs courses ? Il ne faudrait pas que le confinement escamote du débat public des milliers de personnes vulnérables, déjà invisibles en temps normal, et dont on imagine mal le quotidien."

Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE / Sébastien Claeys, Responsable communication et stratégie de médiation, Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France /

Publié le : 09 Avril 2020

Lors de la conférence de presse du 4 avril dernier consacrée à l’accès aux soins des personnes vivant avec un handicap, Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, et Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé, ont mis l’accent sur les dispositions prises en faveur de l’accompagnement et du maintien à domicile. Le rappel de ces mesures porte la lumière sur des situations d’isolement et de grande fragilité, alors que les projecteurs des politiques publiques et des médias se concentrent davantage sur les services de réanimation à l’hôpital et sur les EHPAD. Elles sont les bienvenues pour compléter le dispositif de soin et d’accompagnement : n’oublions pas les plus de 4 millions de personnes en situation de handicap qui sont actuellement confinées chez elles, à domicile[1]

Des populations vulnérables invisibles en temps normal

Cependant, malgré ces annonces, il reste de grands efforts à faire pour prendre en compte toutes les vulnérabilités et rendre ces recommandations pleinement applicables dans la vie de tous les jours. Aujourd’hui, les difficultés s’accumulent. D’autant plus que le nombre de personnes vivant avec un handicap à domicile croît à mesure que les Instituts médico-éducatifs, les externats, ou les logements adaptés des résidences universitaires – comme nous l’avons vu à Nanterre – ferment leurs portes. Nombre de parents ont aussi jugé qu’il serait préférable que leur enfant vive en famille sa période de confinement. Or, ce retour au domicile s’avère parfois très difficile pour les personnes en situation de handicap et pour leurs familles. Il révèle ou accentue les vulnérabilités sociales, sanitaires et économiques préexistantes. Qu’en est-il des parents qui sont eux-mêmes âgés, atteints d’une maladie grave ou d’une maladie chronique, et qui s’épuisent à proposer le meilleur cadre de vie possible à leur enfant ? Qu’en est-il des logements mal équipés pour accueillir des personnes avec un handicap lourd ? Et qu’en est-il de toutes ces personnes vulnérables qui vivent d’ordinaire chez elles et qui ont désormais besoin d’aide pour faire leurs courses ? Il ne faudrait pas que le confinement escamote du débat public des milliers de personnes vulnérables, déjà invisibles en temps normal, et dont on imagine mal le quotidien[2].

C’est pourquoi un accompagnement des personnes en situation de handicap et un soutien aux proches aidants s’avèrent plus que nécessaires pour qu’ils puissent affronter au mieux – ou le moins mal possible – cette période de confinement qui va probablement se prolonger. Mais, pour cela, des solutions pérennes doivent encore être trouvées. Les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les Centres communaux d’action sociale (CCAS) ont été chargés de recenser les personnes isolées pour leur trouver des places dans des établissements adaptés ou des aides de vie à domicile. Mais ces structures apparaissent encore trop souvent aux personnes vivant avec un handicap comme des administrations qui ne sont pas susceptibles de leur porter secours en période d’urgence sanitaire et de les aider pour faire face à leurs besoins. De leur côté, les réseaux d’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), ainsi que de nombreuses autres associations doivent aujourd’hui faire face à un afflux de demandes, pour la plupart urgentes. Ces instances font tout leur possible pour trouver des solutions, alors que leurs effectifs sont réduits – de nombreuses aides à domiciles sont elles-mêmes atteintes du Covid-19. Rappelons qu’il ne s’agit pas de soins de second ordre. Ils sont essentiels à la vie de la personne : lever, toilette, habillage, repas, traitements, ou encore coucher. Et ils font parfois défaut en cette période de crise. Qui pourrait se passer de cet indispensable accompagnement quotidien ?

A cette invisibilisation des personnes vivant avec un handicap durant la crise du Coronavirus, répond l’invisibilisation de celles et de ceux sans qui une vie autonome à domicile serait impossible : les auxiliaires de vie. Souvent méconnues, elles sont dévalorisées dans leurs fonctions pourtant essentielles. Quand elles sont contrôlées par les forces de l’ordre au cours de leurs déplacements, il n’est pas rare qu’elles doivent se justifier de leur utilité. « Pourquoi femme de ménage serait une profession essentielle ? », leur demande-t-on souvent. Oubliées dans les métiers de l’accompagnement, elles ne bénéficient toujours pas – ou si peu et de manière si inégale – de masques, de gants, de gel hydro-alcoolique et des protections nécessaires pour intervenir sans danger à domicile. Si bien que, quand l’angoisse de transmettre le virus ne les déstabilise pas pour effectuer des soins de qualité, elles se voient tout simplement refuser l’accès aux domiciles de personnes fragiles qui craignent plus que tout d’avoir à se rendre dans un hôpital saturé où leurs soins spécifiques risquent d’engorger encore davantage des services à bout de souffle. Elles peinent, enfin, à justifier le handicap de la personne qu’elles accompagnent et, partant, la nécessité de l’accompagnement – particulièrement sensible dans les handicaps psychiques, mentaux et cognitifs, comme l’autisme, par exemple. Dans ce contexte, nous imaginons pourquoi certaines auxiliaires de vie sont tentées de faire valoir leur droit de retrait. Angoisses partagées, vulnérabilités partagées.

Protéger, sensibiliser, faire connaître

Or, on le constate tous les jours, les auxiliaires de vie sont en première ligne pour désengorger l’hôpital en aidant des personnes vulnérables à se maintenir à domicile, en leur apportant par défaut – et en engageant leur responsabilité... – des soins indispensables (kiné, désencombrement des voies respiratoires…), en leur garantissant le plus de sécurité possible pour ne pas être contaminées, et en leur permettant de conserver un minimum de dignité et d’autonomie pour être dans la vraie vie. Il est donc vital, aujourd’hui plus que jamais, de donner aux soignants et aux accompagnants le rôle et la reconnaissance qui leur reviennent. Sans elles, sans eux, la vie des personnes handicapées serait impossible. Sans elles, sans eux, les parents ne pourraient pas avoir un seul moment de « répit » dans la journée. 

Une crise d’une telle ampleur ne peut pas non plus être traitée par les seuls professionnels du médico-social. C’est pourquoi il devient urgent que les familles, aussi bien que les auxiliaires de vie, soient munies de protections – avec les formations nécessaires pour les utiliser en toute sécurité –, que les forces de l’ordre soit sensibilisées aux situations de handicap pour mieux les repérer et les accompagner lors d'éventuels contrôles – notamment pour les personnes vivant avec un handicap psychique, mental et autistique qui bénéficient d’un allègement du confinement –, que les médias s’emparent de la question du handicap au domicile pour encourager les solidarités locales et familiales – notamment via la plateforme solidaires-handicaps.fr –, que les collectivités territoriales s’impliquent dans l’accompagnement des personnes en situations de handicap[3], que la parole des patients experts soit prise en compte dans les politiques publiques pour développer une intelligence collective des mesures de confinement, et que la mission de lutte contre l'isolement des personnes âgées soit étendue aux situations de handicap.

Une fois la crise passée, il sera temps de revaloriser ces professions de l’accompagnement à domicile, de les reconnaître comme des éléments indispensables de notre système de soin, de leur offrir une formation adaptée, mais aussi de s’appuyer pleinement sur leurs savoirs. N’oublions pas, surtout, que la valeur d’une société démocratique se mesure au soin qu’elle apporte à ses membres les plus fragiles.

Références

1 Ce chiffre dénombre les personnes de 20 à 59 ans qui vivent à domicile et qui ont une ou des limitations fonctionnelles, une reconnaissance administrative de handicap, ou un handicap ressenti. Etude de l’INSEE (enquête Handicap-Santé 2008-2009, volet ménages) citée par la Caisse national de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans son étude « Les chiffres clés de l’aide à l’autonomie 2019) : https://www.cnsa.fr/documentation/chiffres_cles_2019_cnsa.pdf
2 Nous nous appuyons ici sur les travaux de l’Observatoire national « COVID-19, éthique et société » créé par l’Espace éthique Île-de-France pour suivre les enjeux de la crise au plus près des personnes vulnérables : https://www.espace-ethique.org/actualites/covid-19-se-preparer-y-repondre
3 - D’après le questionnaire Handifaction et Espace éthique Île-de-France, la demande d’accompagnement faite par les personnes vivant avec un handicap est souhaitée à 60% par les voisins, à 5% par les amis, à 55% par la famille, et 24% par des professionnels.