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Mourir chez soi
"Petit à petit l’espace s’est rétréci et le temps s’est allongé, comme pour se mettre à disposition de la mort et lui préparer la place. Chez soi, dans cet espace si intime, on attend la grande inconnue : la mort."
Par: Catherine de Brabois, Directrice de SSIAD, Paris, doctorante, Espace éthique/IDF, université Paris Sud /
Publié le : 03 Février 2015
La zone des « jamais plus »
81 % des français souhaitent mourir chez eux selon un sondage IFOP, 2010. Effectivement, mourir à domicile est un choix. Pour cela, il faut échapper par exemple aux hospitalisations intempestives : lors d’une chute, d’un affaiblissement de l’état général ou d’une inquiétude particulière de la famille. C’est un choix originel qui doit sans cesse être réaffirmé. À chaque angoisse, à chaque pas vers la mort, il a fallu que la personne malade ou ses proches reprécisent aux pompiers, au médecin, aux auxiliaires de vie : « non, pas d’hospitalisation, je veux mourir chez moi… » Lorsqu’aucun accident n’est venu sortir la personne de chez elle pour l’emmener dans une chambre ou un couloir d’hôpital, alors la mort vient la trouver à son domicile.
La mort arrive comme un terme au long chemin de l’abandon qu’est la grande vieillesse. Il a fallu entrer progressivement dans la zone de tous les « jamais plus », dont parle Joseph Caillot, admettre chacune de ces dernières fois dont on ne savait pas – sur le coup – qu’elles étaient des dernières fois : la dernière fois que je suis sorti de chez moi, la dernière fois que j’ai pris un repas à table, la dernière fois que j’ai quitté mon lit, la dernière fois que j’ai parlé. Il a fallu accepter de ne pas tout maîtriser ni du chemin ni de son terme : « Au moment de mourir, le médecin pourra-t-il venir ? Quelqu’un sera-t-il avec moi ? Ma femme ou l’auxiliaire de vie embauchée pour veiller mes nuits ? Vais-je souffrir ? Et si je m’étouffe ? »
Libertés fondamentales
Petit à petit l’espace s’est rétréci et le temps s’est allongé, comme pour se mettre à disposition de la mort et lui préparer la place. Chez soi, dans cet espace si intime, on attend la grande inconnue : la mort. On sait qu’elle va venir, bien souvent elle s’annonce par des signes précurseurs : le visage change, les membres se raidissent, le souffle se ralentit, la conscience diminue. Et pourtant elle peut se faire attendre des heures, des jours, des mois. Le temps nous échappe. Pendant plusieurs jours, l’état général peut être tel qu’on croit que c’est la fin. On est prêt. Et puis non. Petit à petit un mieux arrive et dure ; et c’est reparti, avec les positions vicieuses qui s’installent, la bouche qui se dessèche et les douleurs un peu partout… jusqu’à une prochaine alerte.
Pour la personne elle-même et pour son entourage, ce rythme est épuisant. Si l’on savait, si l’on pouvait faire des projets, être sûrs… Mais non, on ne peut qu’attendre et accompagner et chercher à saisir ce que ce temps a à nous offrir. Dans ce long chemin, la personne qui vit ses derniers moments doit être entourée de professionnels compétents pour la soigner, la soulager, l’entourer. La famille et les proches, eux aussi, doivent être accompagnés de personnes disponibles, compétentes et sur lesquelles on puisse s’appuyer lorsque ce qu’on a à vivre est trop lourd. C’est pourquoi il y a un enjeu réel à développer les réseaux et les structures de soins à domicile, à encourager les médecins de ville à qui ces patients prennent du temps et de l’énergie, à soutenir les familles qui aident leurs proches à rester chez eux jusqu’au bout. Parce qu’ultimement, choisir son lieu de vie et son lieu de mort fait partie des libertés fondamentales que la société dans son ensemble a le devoir de garantir à chacun de ses membres, fussent-ils très vieux, très impotents, très incohérents.