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Maladie d'Alzheimer, créer un environnement de confiance

"Quand la maladie met à l’épreuve la confiance en ses multiples points de fixation (confiance en soi, en son corps, en autrui, en la médecine, en la science…) comment faire vivre concrètement cette confiance, l’espérance, la foi et l’espoir tant pour la personne elle-même, que pour ses proches et pour les professionnels qui l’accompagnent dans un environnement de proximité ?"

Par: Anne Caron Déglise, Magistrat, Avocat général à la Cour de cassation /

Publié le : 18 Septembre 2015

Bien au-delà du mot lui-même qui ne saurait contenir toute sa force, la confiance, et ses synonymes (l’espérance ou la foi qui engage à être fidèle à une promesse), permettent à chacun de se construire, de développer, d’exprimer ses capacités et de se projeter dans l’avenir. Ce qui est une évidence pour l’enfant l’est aussi pour tous les adultes, plus encore quand ils deviennent vulnérables parce que la maladie brouille leurs certitudes et leurs repères. “Dans un monde où la confiance n’existe pas, les devoirs de loyauté tombent en désuétude” disait Emmanuel Kant dans la Métaphysique des moeurs. Tout s’écroule, le lien social entre les individus, les institutions politiques … et le droit lui-même. Ce dernier a d’ailleurs intégré la notion dans les relations entre les élus représentant les citoyens et le gouvernement en prévoyant que la confiance peut être retirée au gouvernement par un vote. Toujours selon la philosophie de Kant, la confiance s’élabore dans la force morale et impérative de la parole donnée et suppose une réciprocité : elle lie les partenaires, celui qui en est dépositaire et celui qui se fie à l’autre. La responsabilité est partagée entre eux : le premier doit répondre aux attentes et ne pas trahir et le second doit assumer la responsabilité de son choix en répondant de lui-même et de son discernement.

Mais accorder sa confiance est difficile car cela implique d'être en mesure de s’en remettre à l’autre, de lui donner du pouvoir, de faire un pari sur l’avenir alors que nul ne sait par avance quel il sera et ce que chacun fera en situation. La confiance est donc un crédit fait à autrui. Plus encore et surtout, pour reprendre l’analyse de Paul Ricoeur, la confiance se fonde sur la capacité à tenir ses promesses : les promesses m’engagent au-delà de ce que je suis aujourd’hui et elles m’obligent à anticiper mon être de demain, ce qui me projette dans un a-venir de moi-même encore inconnu. “La promesse permet ce formidable tour de passe-passe de l’être, rester soi-même à travers le temps”.
La confiance est un moteur personnel et le fondement de notre société sans lequel le contrat social qui nous lie et qui organise nos places et nos rapports au travers des lois et des règles ne peut fonctionner. Elle repose alors pour certains sur un idéal puissant et pour d’autres sur le postulat que, lorsque nous donnons notre confiance, ceux qui la reçoivent ont aussi intérêt à respecter leurs engagements.

L’épreuve du réel nous démontre cependant que la confiance individuelle et collective est fortement ébranlée sous au moins quatre angles :

  • L’incertitude de l’avenir, malgré les avancées scientifiques ;
  • La complexité des situations qui provoque un morcellement des “expertises” ;
  • Le risque et la possibilité de dommages futurs pouvant résulter de nos actes ou de nos omissions ;
  • La recherche du sens et les valeurs

Alors quand la maladie s’invite dans un tel contexte général, quand elle met à l’épreuve la confiance en ses multiples points de fixation (confiance en soi, en son corps, en autrui, en la médecine, en la science…) comment faire vivre concrètement cette confiance, l’espérance, la foi et l’espoir tant pour la personne elle-même, que pour ses proches et pour les professionnels qui l’accompagnent dans un environnement de proximité ? Pour tenter d’y parvenir, il nous faut sans doute réinterroger constamment nos certitudes, en particulier sur les évaluations posées et sur les conséquences du diagnostic de la maladie d’Alzheimer, en se laissant saisir par les droits des personnes elles-mêmes, encore insuffisamment reconnus. Il nous faut ensuite construire concrètement et effectivement un environnement DE confiance avec et autour de la personne vulnérabilisée ce qui implique de dépasser les logiques propres à chaque secteur d’intervention particulier.
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I/ Créer la confiance en reconnaissant les personnes par leurs droits

Une évaluation des troubles pluridisciplinaire et respectueuse des “allures” propres de la vie.

Il est absolument nécessaire de parvenir à une évaluation des troubles et de leurs conséquences suffisamment décloisonnée et ouverte pour que la personne malade ne soit pas réduite à ses symptômes. Les outils d’évaluation ont aujourd’hui démontré leurs évidentes limites, en particulier parce que chacun d’eux évolue dans son propre cadre, pour une finalité souvent réductrice consistant en l’octroi d’une aide ou d’un type d’accompagnement ou encore en vue d’une protection juridique, sans que les liens entre les acteurs prennent en compte la personne dans sa globalité et recherchent sa capacité à continuer à décider pour elle-même. Or, particulièrement pour les personnes atteintes de troubles cognitifs, les altérations subies viennent disloquer une histoire vécue dont nul ne sait exactement quelles bribes sont conservées, quells souvenirs vont rejaillir et quand. Il nous faut donc certainement continuer à explorer les voies ouvertes tant par G. Canguilhem que par P. Ricoeur pour respecter ce que ce dernier appelle « l’allure » propre de la vie (Le juste 2 (21)).
 

Une reconnaissance de toutes les personnes par leurs droits.

Depuis plusieurs années déjà, un mouvement de fond traverse le droit, tant au niveau national qu'européen et international, afin de définir un cadre légal exigeant en faveur du respect effectif des libertés fondamentales et de la dignité des personnes. Les lois des 2 janvier 2002, 4 mars 2002, 11 février 2005 et 5 juillet 2011 ont défini des droits à l'égard des personnes en fonction de critères liés à la situation de maladie, de handicap, de l'existence d'une pathologie mentale ou encore en fonction des lieux depuis lesquels les demandes d'intervention ou d'accompagnement de la personne sont faites (domicile, établissement, hôpital y compris psychiatrique). Prenant acte de la Recommandation R (99) du 23 février 1999 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui pose les principes de la “prééminence des intérêts et du bien-­‐être de la personne” et du “respect de (ses) souhaits et de (ses) sentiments”, le Code civil a lui-même été modifié par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des personnes souffrant d'altérations de leurs facultés personnelles. Ce texte, qui introduit la possibilité d'organiser par avance les conditions de sa protection par le mandat de protection future, dispose clairement qu'en tout état de cause, si une protection devient nécessaire, elle doit être mise en oeuvre en respectant autant qu'il est possible l'autonomie des personnes, leurs droits et leur dignité et être proportionnée au degré d'altération de leurs facultés.
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II/ Faire vivre la confiance effectivement dans l’environnement de la personne .

Entrer dans une ère nouvelle de confiance par des politiques publiques cohérentes et coordonnées.

Reconnaître les droits des personnes comme autant de droits de l’homme est un préalable indispensable mais qui risque la paralysie sans les instruments pratiques dont les personnes ont concrètement besoin pour que les droits deviennent effectifs. Le droit ne peut en effet ignorer le politique, qui vote les lois et organise le cadre, au risque de rester un idéal sans corps et purement virtuel (Marcel Gauchet, “La démocratie, d’une crise à l’autre”). Mais le politique se doit d’entendre les droits sans les disqualifier par avance en les considérant comme une utopie irréalisable (Edgar Morin, “Éthique”) ou en les sacrifiant à l’économie. La reconnaissance et le respect des droits n’acquièrent leur sens véritable que dans un gouvernement en commun bien compris, ce qui suppose de l’inscrire dans un cadre lisible et assumé.

Il est donc urgent de poursuivre la réflexion critique sur la mise en oeuvre du droit en croisant en particulier les lieux où il trouve à s’appliquer pour sortir de la disciplinarisation excessive: droit de la santé/droit social et médico-social/droit civil/libertés publiques et droits fondamentaux au sens de la Constitution. Les lois de 2002, 2005, 2007 nous invitent à repenser les qualifications juridiques autour des notions de capacités, de discriminations et d’autonomie, notamment, et à s’ouvrir vers de nouvelles argumentations afin d’entrer dans un rapport nouveau à l’autre. Il nous faut désormais adopter d'autres postures pour parvenir ensemble, à partir de concepts communs, à identifier les difficultés rencontrées et mieux appréhender les capacités restantes au sens de “capabilités-potentiel” des personnes.
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Développer la démarche éthique de chaque acteur et engager une réflexion collective sur les “gardiens de la confiance”.

Au-delà des cadres législatifs et règlementaires, il est indispensable que chaque acteur (famille, proche, professionnel) s’engage dans une démarche effective de reconnaissance de la personne malade. La littérature scientifique montre en effet que lorsque les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer se trouvent dans un environnement qui leur permet d’exprimer leurs capacités, elles peuvent récupérer tout ou partie de leur autonomie. A l’inverse, perdre la maîtrise de son environnement, de sa vie, de ses désirs ou envies et de ses décisions sont autant de facteurs anxiogènes qui provoquent le repli sur soi, voire l’hostilité ou la violence. L’environnement physique et/ou architectural peut aussi contribuer à restreindre l’autonomie des personnes et à leur dépendance, notamment lorsqu’elles sont en établissement et que le personnel est lui-même en difficulté parce que trop peu nombreux ou trop peu formé.

Le Plan Maladies Neurodégénératives dans sa partie Droit et éthique, les travaux du Comité National pour la Bientraitance et les Droits, contiennent des dispositions permettant d'avancer concrètement. Le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, actuellement en discussion au Parlement, invite également à réfléchir ensemble à partir des notions d’autonomie et de protection (notamment dans son article 22 prévoyant l'intervention d'une personne de confiance), de soins, d’accompagnement et de droits des personnes (dans ses articles 19 à 27bis). Tous ces travaux sont de nature à mieux prendre en compte les droits et les besoins des personnes mais ils doivent aussi nous interroger collectivement sur les “gardiens de la confiance”, c'est à dire sur les personnes ou les institutions qui permettront de répondre au défi des situations complexes en rendant possible une coopération stable et respecteuse des personnes. Comme l'affirmait en son temps le doyen Jean Carbonnier, “la garanitie suprême de la liberté civile paraît bien être dans le délicat équilibre entre le familial, le médical et le judiciaire”.