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Loi du 4 mars 2002 : des droits pour tous les malades et la reconnaissance de droits fondamentaux ?

Du fait d’une carence de la loi du 4 mars 2002 sur les volets de la pédagogie et sur les mesures d'application concrète des mesures, la démocratie sanitaire n’a pas gagné la place qui devrait être la sienne. Comment dès lors penser ces nouvelles responsabilités ?

Par: Grégoire Moutel, Médecin hospitalo-universitaire, Responsable de l’unité clinique de médecine sociale (Groupe hospitalier Corentin HEGP Assistance Publique) et enseignant chercheur en éthique médicale (Université Paris Descartes) /

Publié le : 30 Septembre 2013

Le premier droit des malades n’est-il pas de pouvoir accéder aux soins et de bénéficier de tous les soins et prestations nécessaires à sa santé et à son bien être ?
Poser cette question revient à se demander si les éléments de la loi du 4 mars 2002, au demeurant porteuse de nombreuses avancées positives, permettent la concrétisation des droits de plus faibles et des plus vulnérables, ainsi que la défense des droits des personnes en perte d’autonomie?
 
Un renforcement des inégalités
Un des objectifs de la loi était de rappeler les principes de l’accès aux soins pour tous et de la non discrimination. Hors 10 ans plus tard, l’accès aux soins n’a jamais été aussi inégalitaire, y compris au sein des instances hospitalières publiques.
Un des exemples illustrant cette question est celle de la difficulté d’accès aux droits. Quand bien même des patients ont ou auraient des droits, ils ne savent comment y accéder ou ne peuvent y accéder du fait de leur situation médicale, rendant difficiles, voire impossibles, les démarches. L’absence d’ouverture de ces droits (de laquelle découle concrètement des limitations d’accès aux consultations et aux plateaux techniques) les pénalise lourdement dans l’accès aux soins et à la prévention ; il en découlent des situations de perte de chance et un renforcement des inégalités.
La loi a paradoxalement été incarnée trop souvent sur le terrain comme si tout patient connaissait ses droits et pouvait y accéder. Ces deux affirmations sont souvent mises en question dans la pratique quotidienne.
Ainsi il manque assurément deux volets opérationnels à ce texte de loi en regard de son dixième anniversaire : l’un sur la pédagogie et l’information sur le contenu de la Loi auprès de tous les citoyens ; le second sur l’obligation de mise en œuvre de moyens d’accompagnements et de services pour la rendre effective dans la vie des personnes.
Du fait d’une carence de ces deux volets, la démocratie sanitaire n’a pas gagné la place qui devrait être la sienne. Ceci renvoie à des prises de décisions d’actions publiques non effectives à ce jour.
Comme il a pu être explicité dans une revue d’association de patients en situation de handicap « les patients ont des droits….mais vous n’êtes pas obligé de le crier sur tous les toits ».
 
Points d’interrogation
Pour illustrer cette citation, on pourrait interroger les points suivants :

  • Combien de campagnes médiatiques orchestrées par les pouvoirs publics mises en œuvre depuis 2002 ? Combien de spots télévisés ? Un livret des droits des patients a-t-il été remis à tous les citoyens ?
  • Quid de la mise en place régionale ou départemental d’instances de recours ou de défenses libres, indépendantes et gratuites pour les droits des patients ?
  • Que penser  du concept de guichet unique pour l’ouverture des droits des patients où toutes les démarches de la charge de la preuve (y compris pour les droits sociaux) incombent au patient. Cette situation n’est elle pas critiquable alors que les personnes sont souvent fragilisées et en grandes difficultés (matérielles, physiques ou psychiques) pour produire des justificatifs ? Ne pourrait-on pas inverser une tendance pernicieuse, en reconnaissant des droits essentiels à la personne de manière automatique, à charge de la puissance publique de vérifier secondairement à travers ses services leur légitimité ?
  • La question de l’égalité territoriale de l’accès aux soins reste sans solution, facteur de préjudices pour de nombreux patients. Cette question concerne les territoires ruraux, mais aussi les inégalités croissantes entre les secteurs et les quartiers dans les grandes villes. Elle est renforcée par une discrimination financière de fait, liée à la rémunération des actes médicaux (renforcée par les dépassements d’honoraires et la démutualisation de nombreuses personnes), tendance contre laquelle la puissance publique a été bien peu active ces dernières années.
  • Les représentants associatifs de patients (malgré leur plus value importante et essentielle) constituent-ils une réelle représentation de tous les usagers et des plus faibles de notre société ? A-t-on conscience de la défense des non représentés ?
  • La labélisation des établissements de santé prend-elle en compte ces réalités humaines et citoyennes au sein des services cliniques ou bien se satisfait-elle d’artifice, telle la mise en œuvre d’une démarche qualité proclamée et affichée de droits de patients ?


Enfin reste à souligner un point majeur de carence de la loi, l’absence de déclinaison sur les droits des proches et des aidants. Un patient ne peut être conçu comme une entité coupée de toute relation humaine, familiale, amicale, associative, affective et aidante. Ainsi un droit majeur pour de nombreux patients est d’être accompagné dans un vivre ensemble. Ce droit du patient ne peut se concrétiser que par la mise en œuvre de droits des proches et des aidants. A ce titre, l’abandon du débat sur la question de la dépendance est à mettre directement en regard des limites de la loi actuelle sur les droits des patients.
 
Un enjeu démocratique
La déclinaison de toutes ces questions amène à dire que l’application de la loi sur les droits des patients demeure un enjeu démocratique. Il est à souligner dans cette perspective que la loi du 4 mars 2002 ne s’est pas inscrite suffisamment dans une lecture transversale avec les politiques d’organisation du système de santé, par exemple la loi HPST. Chaque principe de droits des patients devrait avoir une concrétisation organisationnelle et budgétaire sur le terrain. La nouvelle organisation managériale des soins et la tarification à l’acte ou à l’activité risque même d’aller à l’encontre des dimensions éthiques des droits des patients, voire de rentrer en contradiction avec des règles hippocratiques et avec le sens de la relation et des valeurs du soins.