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L’impossibilité d’exécuter un contrat en raison du Covid 19 : le recours à la force majeure

"Face à l'épidémie du Covid19, le Gouvernement a mis en place des mesures de soutien immédiates aux entreprises tels des délais de paiement d'échéances sociales et/ou fiscales, des mesures de soutien au financement ou encore la mise en place généralisée du télétravail. Mais au-delà des mesures générales prises par l’Etat afin d'atténuer les effets préjudiciables du confinement, notre droit connaît un outil forgé dans le but de permettre au contractant dans l’impossibilité d’honorer de s’en trouver libéré : la force majeure."

Par: Valérie Depadt, Maître de conférences, Université Paris 13, Sciences Po Paris, Conseillère de l’Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France /

Publié le : 01 Avril 2020

La crise inédite générée par le Covid 19 est d’abord une crise sanitaire qui, en tant que telle, a nécessité les mesures sanitaires adoptées par l’État, au premier rang desquelles le confinement. L’immobilisation de la France inhérente à celui-ci, justifiée par la gravité de l’enjeu, en fait une crise également économique dont les conséquences se portent, aussi, sur les contrats. En effet, notre économie est organisée de telle sorte que les contrats en sont un rouage essentiel, constituant l’un des mécanismes essentiels de la vie en société. Le contrat s’invite tant dans notre quotidien que dans les moments plus exceptionnels de notre vie. Il en est ainsi de l’achat d’une baguette de pain, d’un ticket de bus, de la location d’une voiture…Comme de l’achat d’un immeuble, de la création d’une entreprise ou d’un contrat de mariage.
 
Nous envisageons ici les contrats conclus entre des personnes privées, par opposition aux contrats entre des personnes publiques. Or la notion de contrat, du point de vue du droit privé applicable tant aux personnes physiques que morales, revêt un sens précis. Elle est définie par le Code civil comme « un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Précisons qu’une obligation au sens contractuel du terme est un lien de droit entre deux personnes en vertu duquel l’une d’elles, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, une prestation positive ou négative.
 
La plupart des contrats sont caractérisés par le fait qu’ils créent des obligations librement consenties par  les parties. Mais à la liberté qui préside à la formation du contrat, la valeur coercitive de l’engagement au sens où le contrat, entre les parties, a force de loi. Elles ne peuvent en principe se soustraire à leurs obligations.
 
Mais que se passe-t-il lorsque les circonstance objectives sont telles qu’un contrat ne peut pas ou ne peut plus recevoir exécution par celui qui en est débiteur ? Qu’advient-il du contrat de bail d’habitation lorsque le locataire, travailleur indépendant, s’est vu imposer de cesser son activité professionnelle génératrice de ses revenus sans solution alternative ? Quid de l’obligation du vendeur de livrer une machine dont le montant a été préalablement réglée par l’acheteur, lorsque cette livraison n’entre pas dans les activités permises le temps du confinement ? Que peut-il advenir des sommes versées pour une excursion qui ne pourra avoir lieu en raison de l’interdiction des déplacements autres que nécessaires  ?
 
Face à l'épidémie du Covid19, le Gouvernement a mis en place des mesures de soutien immédiates aux entreprises tels des délais de paiement d'échéances sociales et/ou fiscales, des mesures de soutien au financement ou encore la mise en place généralisée du télétravail. Mais au-delà des mesures générales prises par l’Etat afin d'atténuer les effets préjudiciables du confinement, notre droit connaît un outil forgé dans le but de permettre au contractant dans l’impossibilité d’honorer de s’en trouver libéré : la force majeure.
 
Comme le contrat, la force majeure connaît une définition constituée de critères spécifiques au domaine du droit. Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation. Ainsi, la loi retient les deux critères de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité.
 
 
L’événement imprévisible est celui qui échappe au contrôle du débiteur de l’obligation en ce qu’il ne pouvait, par aucun moyen, être anticipé ou prévu au moment de la conclusion du contrat. Le débiteur, dont l’aptitude est comparée à celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances, doit n’avoir pu prévoir la réalisation du dommage. La condition d’imprévisibilité s’apprécie au jour de la conclusion du contrat, les contractants ne s’étant engagés qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date. La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a décidé en 2009 que l'épidémie de chikungunya, ayant débutée en janvier 2006, ne pouvait pas être retenue comme un événement imprévisible justifiant la rupture du contrat  au mois d’août suivant, après une embauche  le 4 juin (Saint-Denis de la Réunion, 29 déc. 2009, n° 08/02114). Il est donc utile, afin de s’assurer de la condition d’imprévisibilité, de déterminer le moment à partir duquel les conséquences du covid-19 sur le contrat auront pu être prévues.
 
La condition d’irrésistibilité se rapporte tant à la survenance de l’événement, qui doit être inévitable, qu’à ses effets, lesquels doivent s’avérer insurmontables. En 2014, la Cour d’appel de Besançon a refusé de reconnaître le cas de force majeure fondé sur l’épidémie de grippe H&N1, invoquée par une entreprise acheteuse d’essuie-mains en tissus pour résilier son contrat avec le fabricant. Ce dernier ayant proposé de remplacer les essuie-mains prévus par des produits jetables conformes aux nouvelles exigences sanitaires du gouvernement, le critère de l’irrésistibilité faisait défaut (Besançon, 2e ch. comm., 8 janv. 2014, pourvoi n° 12/02291). A fortiori il peut être relevé qu’en 2018, lors de l’épidémie due au virus du Chikungunya, la Cour d’appel Basse-terre, n’a pas admis de considérer que cette épidémie avait un caractère imprévisible et irrésistible car elle pouvait être soulagée par des antalgiques et était, dans la majorité des cas, surmontable (Cour d’appel de Basse Terre, 17 décembre 2018, RG n°17/00739).
Il faut donc, pour recourir utilement à la force majeure, s’assurer de l’inexistence de mesures appropriées susceptibles d’éviter les effets du covid-19 sur le contrat en cours.
 
À la démonstration des conditions d’imprévisibilité et d’insurmontable, il faut vient s’ajouter celle d’un lien de causalité entre la pandémie et l’impossibilité d’exécution  En d’autres termes, il appartient au débiteur qui invoque la force majeure d’apporter la preuve que l’impossibilité d’exécution trouve bien son origine dans l’événement de force majeure. Dans une décision de 2016, la Cour d’appel de Paris a refusé a rejeté la demande d’exonération d’exonérer un débiteur qui invoquait le caractère de force majeure de l’épidémie de maladie à virus EBOLA, au motif qu’il ne démontrait pas l’existence d’un lien de causalité entre l’épidémie et son défaut de trésorerie (Paris, pôle 6, ch. 12, 17 mars 2016, n° 15/04263).
 
Mais si le droit des contrats prévoit la définition du cas de force majeure, il envisage en outre ses effets. Pour ce faire, il distingue le caractère temporaire ou définitif de l’empêchement. Dans le premier, l’exécution de l’obligation se trouve suspendue, sauf si le retard qui en résulte justifie la résolution du contrat, l’exécution de l’obligation ne présentant plus d’intérêt pour le créancier une fois la date dépassée. Dans le second, le contrat est résolu de plein droit, ce qui signifie que les parties sont libérées de leurs engagements réciproques.
 
Il apparaît en conclusion que la survenance de la pandémie constitue certainement une circonstance exceptionnelle, dont on peut penser qu’elle sera à l’origine de nombre de décisions. Le confinement, mesure inédite, est un élément inédit dans l’appréciation de la force majeure. Pour autant, le débiteur ne pourra se voir libéré de ses obligations en raison de la force majeure qu’à condition d’en démontrer les conditions d’imprévisibilité,  d’insurmontabilité et de causalité.
Déjà, le 16 mars, la Cour d’appel de Colmar a qualifié de cas de force majeure les circonstances exceptionnelles dues à  l’épidémie de Covid 19 qui ont  empêché une personne étrangère  de comparaître à son procès (Cour d'appel, Colmar, 6e chambre, 16 Mars 2020 – n° 20/01142).
 
Les dispositions légales relatives à la force majeure sont appliquées par le juge au cas par cas et en l’état actuel des mesures, il apparaît que les contrats du secteur privé seront soumis à ces règles de droit commun. Cependant, le recours au juge n’est pas un passage obligé. Les contractants confrontés à un cas de force majeure sont en droit de renégocier leur accord afin de l’adapter conventionnellement aux circonstances qui en empêchent l’exécution.