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L’extension de l’obligation vaccinale. Comment les dilemmes moraux s’expriment-ils entre les prescriptions et les sanctions ?

"L’obligation vaccinale permet alors, par son double système de contrainte, d’amener ces parents à vacciner leurs enfants alors qu’ils ont une perception du risque dévaluée. La plus forte contrainte imposée par le texte de loi repose alors sur le rejet social. Le dilemme moral qu’ils doivent trancher est alors complexe."

Par: Romy Sauvayre, Maître de Conférences en Sociologie. Université Clermont Auvergne, CNRS, LAPSCO, F-63000 Clermont-Ferrand, France. /

Publié le : 29 Mars 2021

Depuis le 1er janvier 2018, les enfants nés à partir de cette date doivent recevoir onze vaccins obligatoires alors qu’ils s’élevaient à trois auparavant. La loi prévoit alors deux types de sanctions pour tous contrevenants à cette obligation vaccinale : l’une est pénale et l’autre est sociale. La sanction pénale soumet les parents au risque d’être condamnés pour mise en danger de la vie de leurs enfants ou de celle des autres membres de la collectivité. La sanction sociale, quant à elle, soumet les parents et leurs enfants à l’exclusion de toutes collectivités telles que l’école, la crèche ou les centres aérés. Pour ce faire, toute admission ou maintien de l’enfant au sein de ces institutions est conditionné à la présentation de la preuve de l’inoculation des onze vaccins obligatoires. Dans ce système de contraintes légales, l’obligation vaccinale pose la question de son adhésion ou de sa non-adhésion. Quels comportements éthiques s’offrent aux parents ? Quels dilemmes moraux ont-ils à examiner avant de faire un choix ?

Les Français présentent une singularité au niveau mondial : 40 % des Français interrogés en 2015 (Larson et al., 2016) considèrent que les vaccins ne sont pas sûrs. Cela place la France au niveau de la nation la plus méfiante du monde. Or, les Français se vaccinent plus que ce que leurs convictions leur dictent. L’obligation vaccinale conduit alors nombre d’individus vers la vaccination même s’ils doutent de la sécurité des vaccins. Autrement dit, là où les autres nations ont renoncé à l’obligation vaccinale laissant place à des campagnes de sensibilisation, la France a fait le choix opposé. Il s’agit d’une double exception : les réticences vaccinales côtoient l’obligation vaccinale. Pourtant, d’autres travaux montrent que les Français ne sont pas aussi méfiants que l’étude mondiale de 2015 ne le montre. En effet, 80 % des étudiants en études de santés (PACES) font confiance aux vaccins (Daudel, Mary, & Epaulard, 2019), tout comme 84 % des patients interrogés chez leur médecin traitant (Gaborit, 2018). En revanche, l’augmentation du nombre de vaccins obligatoires est vue comme une atteinte aux libertés individuelles. Seuls 46 % des patients interrogés pensent que cette augmentation est une bonne mesure (Gaborit, 2018). Le message gouvernemental est alors clair : l’égalité au regard de la sécurité et du risque de santé prend le pas devant les libertés individuelles. Il s’agit d’endiguer l’augmentation croissante des cas de maladies que l’on pensait contenues jusqu’alors. En effet, les cas de rougeole connaissent une vive recrudescence (près de 1000 cas recensés en France en 2018) en raison d’une insuffisante couverture vaccinale chez le nourrisson (Santé publique France, 2018). Or, lorsque l’État français souhaite faire primer cette égalité devant toute liberté, il légifère. Ce faisant, il applique une valeur à une norme. L’acte vaccinal, en devenant obligatoire, revêt un niveau d’importance accrue dans les représentations des citoyens. La justification de la vaccination devient alors une obligation morale pour tous déontologistes adhérant à la maxime : « Je me vaccine car il est bon de suivre la loi quelles qu’en soient les circonstances ». Le conséquentialiste peut également justifier son adhésion à la vaccination en considérant les conséquences positives de son action individuelle sur la santé publique : « Il est bon de se faire vacciner pour garantir la sécurité de tous les citoyens ».

Toutefois, à l’opposé, les parents refusant cette obligation vaccinale créent l’incrédulité dans la mesure où ils semblent dénués de sens moral aux yeux de nombre de citoyens. Un père « refusant » fut d’ailleurs surpris par la réaction vive que son refus souleva : « On m’a dit que je souhaitais la mort de mon enfant. On m’a dit que c’était à cause de gens comme nous que des épidémies revenaient » (RMC, 2015). La justification de ces refusants repose, le plus souvent, sur la croyance selon laquelle les vaccins obligatoires et leurs adjuvants seront plus nocifs à leurs enfants que les maladies elles-mêmes s’ils venaient à les contracter. Le risque d’inoculation est surestimé au regard du risque de non-protection. Les conséquences prises en compte dans cette décision reposent sur les connaissances et les croyances des parents qui, ce faisant, dévaluent d’autres risques tels que le risque, pour leurs enfants, de contracter ces maladies, la sévérité des symptômes spécifiques à chaque maladie, ou le risque de propagation de ces maladies à l’ensemble de la population. Ce mécanisme se retrouve également dans le cadre de la pandémie de coronavirus 2019 (Covid-19) au cours de laquelle nombre d’individus, dans le monde, bravèrent le confinement décrété par les Etats au risque de contaminer davantage de personnes. Ces croyances et connaissances reposent, le plus souvent, sur une vision probabiliste découlant de l’expérience personnelle des individus. Dans le cadre de l’extension de l’obligation vaccinale, si les parents n’ont eu connaissance d’aucun cas de rougeole dans leur entourage proche au cours des précédentes années, ils estiment raisonnablement que le risque pour leurs enfants de contracter la rougeole est quasi nul. C’est d’ailleurs ce que montre une étude par questionnaires distribués à 2742 parents britanniques : les parents refusant la vaccination étaient deux fois moins nombreux à penser que leurs enfants risquaient de contracter la rougeole s’ils n’étaient pas vaccinés que les parents acceptant cette vaccination (Casiday, Cresswell, Wilson, & Panter-Brick, 2006). À l’opposé, ces mêmes parents peuvent être soumis, via Internet notamment, à de nombreux témoignages de personnes ayant constatées des effets indésirables, voire le développement de troubles autistiques chez leurs enfants. La probabilité de développer nombre d’effets secondaires augmente alors à leurs yeux.

L’obligation vaccinale permet alors, par son double système de contrainte, d’amener ces parents à vacciner leurs enfants alors qu’ils ont une perception du risque dévaluée. La plus forte contrainte imposée par le texte de loi repose alors sur le rejet social. Le dilemme moral qu’ils doivent trancher est complexe : 1/ protéger leurs enfants des risques générés par l’inoculation du vaccin et leur garantir une meilleure santé ; 2/ s’exposer au risque de ne pas pouvoir scolariser leur enfant et, ce faisant, à une désocialisation minimisant drastiquement les chances de leur offrir une position sociale appréciable et rémunératrice à l’âge adulte. Une troisième voie s’ouvre toutefois à eux : contourner les sanctions pénales et sociales grâce au concours de médecins acceptant de falsifier le carnet de santé de leurs enfants.
Au-delà du système de contraintes imprimé par l’obligation vaccinale, l’acte vaccinal peut être donc vu comme un comportement éthique alimenté et justifié par les connaissances, les croyances et les valeurs de chaque citoyen.

Bibliographie

Casiday, R., Cresswell, T., Wilson, D., & Panter-Brick, C. (2006). A survey of UK parental attitudes to the MMR vaccine and trust in medical authority. Vaccine, 24(2), 177 184. https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2005.07.063
Daudel, L., Mary, J., & Epaulard, O. (2019). Perception de la vaccination et de l’obligation vaccinale chez les étudiants en PACES de France : Une « fenêtre de tir » pédagogique ? Médecine et Maladies Infectieuses, 49(4, Supplement), S131 S132. https://doi.org/10.1016/j.medmal.2019.04.315
Gaborit, G. (2018). Quelles sont les connaissances et les croyances sur les vaccinations dans la population consultant en médecine générale, à l’aube des onze vaccins obligatoires ? Université Paris Descartes. Faculté de Médecine, Paris. Repéré à https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02052080
Larson, H. J., Figueiredo, A. de, Xiahong, Z., Schulz, W. S., Verger, P., Johnston, I. G., … Jones, N. S. (2016). The State of Vaccine Confidence 2016 : Global Insights Through a 67-Country Survey. EBioMedicine, 12, 295 301. https://doi.org/10.1016/j.ebiom.2016.08.042
RMC. (2015, 9 novembre). Jugé car il refuse de vacciner son fils : « On m’a dit que je souhaitais la mort de mon enfant ». RMC. RMC. Repéré à https://rmc.bfmtv.com/emission/juge-car-il-refuse-de-vacciner-son-fils-o...
Santé publique France. (2018). Rougeole en France : Plus de 1 000 cas et 64 départements touchés. Santé publique France. Repéré à /liste-des-actualites/rougeole-en-france-plus-de-1-000-cas-et-64-departements-touches