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Les impacts invisibles du coronavirus : Dans le déconfinement, le monde est devenu flou
Entendant les différentes annoncent publiques, observant la vie qui reprend, constatant les difficultés que ce déconfinement entraine, je continue de vous écrire. Je pars de mon histoire en espérant que vous puissiez piocher chacun, avec vos expertises, dans ce récit et partager vous aussi vos expériences ; pour continuer de faire entendre les spécificités et les besoins de chacun.
Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /
Publié le : 06 Juillet 2020
L'étiquette "Personne fragile"
Si j’ai rapidement commencé à écrire en confinement, il me semble important de souligner que je mets plus de temps pour vous écrire en déconfinement. Pourtant nous l’attendions impatiemment, ce temps déconfiné. Le monde entier souhaitait retrouver sa liberté, enfin, le monde entier, peut-être pas. Et pour être parfaitement honnête je dois bien avouer que l’expérience du déconfinement m’est autrement plus difficile que celle du confinement.
Peut-être parce qu’il est compliqué de savoir quel comportement adopter. Les gestes barrières, la distanciation sociale, la limitation des contacts avec les personnes fragiles entrent en collision avec les invitations à partir en vacances, à dîner au restaurant, à faire du shopping.
Peut-être aussi parce que cette impression de nouvelle catégorisation me pèse. Je n’ai pas attendu d’être identifiée comme personne fragile pour me protéger et protéger les autres. Demander aux soignants de porter un masque lorsqu’ils interviennent chez moi enrhumées et éviter les embrassades de mes proches, ce sont des règles que je connais. J’ai conscience d’être fragile et de devoir respecter certaines mesures pour une meilleure santé mais me sentir étiquetée « personne fragile » par toute une société m’alourdi et me ralenti.
Peut-être également parce que le monde médical continue de briller par son absence. C’est plutôt confortable, je dois dire, car je n’ai pas très envie de reprendre mon suivi médical. Seulement c’est un jeu dangereux de laisser partir un patient sans même tenter de le rattraper, sans l’accompagner ni le soutenir vers son retour aux soins. J’imagine déjà les examens douloureux et contraignant qu’il va falloir faire et j’entends d’ici le discours moralisateur sur l’importance et la nécessité du suivi médical. C’est une vérité, bien sûr, mais vivre fragile sans être considérée comme « malade », c’est agréable il faut bien l’admettre. Prévenir plutôt que guérir disait l’adage, mais sincèrement, je n’ai aucune envie de relancer les hostilités.
Malgré mes doutes, mes interrogations et mes inquiétudes sur cette période que nous vivons, je constate que la vie doucement reprend son rythme. Les commerces réouvrent et les avions égratignent à nouveau le ciel, alors, après quelques semaines à observer le pays se déconfiner et puisque mon entourage m’y invitait fortement, j’ai moi aussi commencé à me déconfiner.
Suite à deux mois de vie avec pour seul visage familier les auxiliaires de vie, c’est une étrange impression que celle de croiser d’autres êtres humains. Certaines personnes se tenaient à distance de moi, d’autres mettaient leurs masques lorsque j’approchais d’eux. Evidemment, ces gestes se voulaient protecteurs et bienveillants envers cette fragilité qui me caractérise. Pourtant, je dois vous avouer que ces bonnes intentions m’ont interpellées et ont favorisées l’envie de me replier. Heureusement, la majorité des personnes se sont comportées naturellement et me regardaient sereinement. C’était rassurant, c’était encourageant et quelques jours plus tard, j’ai décidé de sortir un peu plus loin.
Frustrante découverte que ce nouveau monde avec ces files d’attente, ces règles d’hygiène et son sens de circulation. Le gel hydro-alcoolique est devenu le nouveau bracelet d’entrée à condition de savoir comment faire pour désinfecter les mains d’une personne qui n’y arrive pas seule. A moins que le handicap ne soit le nouveau label « qualité des mains propres », personne ne m’oblige jamais à me désinfecter les mains. Et cela m’amuse ! Handicapée et fragile et dépendante et autonome, je comprends parfaitement que cela soit déstabilisant.
La vie donc reprend tranquillement et je continue de me déconfiner. Je retrouve mes parents après deux mois d’absence, leur présence est sécurisante. C’est flatteur de bien vivre une crise que personne ne supporte vraiment, mais c’est tellement apaisant de pouvoir compter sur eux de temps en temps.
Je retrouve également mes amies, la légèreté et les rires des rencontres réelles. Nous allons nous balader, nous sortons en ville, nous trainons les rues et nous nous asseyons en terrasses. Je prends la voiture, je prends les transports en commun, le moindre déplacement est un voyage. Comme elle me semble étrange, floue et pressante cette vie qui reprend comme avant et qui m’incite à reprendre le cours de la vie moi aussi.
Que le monde médical continue de briller par son absence, c’est plutôt confortable, car je n’ai pas très envie de reprendre mon suivi médical. Seulement c’est un jeu dangereux de laisser partir un patient sans même tenter de le rattraper. J’entends d’ici le discours moralisateur sur l’importance et la nécessité du suivi médical. C’est une vérité, bien sûr, mais vivre fragile sans être considérée comme « malade », c’est agréable, il faut bien l’admettre.
J’avais seulement omis un léger détail. Mon appartement est pensé pour répondre à mes besoins, il est conçu pour faciliter le travail de l’équipe qui intervient à mon domicile. Robotique, domotique et informatique y règnent en maîtres. C’est un environnement si facilitant que j’en avais oublié ce que signifiait sortir, se déplacer et voyager lorsque l’on est dépendant. J’avais effacé la panne de batterie de la rampe d’accès censée me hisser dans le wagon. Gommé le service d’assistance qui m’oublie dans le train. Rayé les travaux sur le trottoir qui m’oblige à rouler à contresens sur les grands boulevards. Même cette invitation à séjourner dans un château pour quelques jours de repos me semble brutale. Il va de nouveau falloir penser l’accessibilité du lieu, le déplacement, les aides-humaines et les aides-techniques. Rien de nouveau finalement, juste le retour à la vie d’avant. Rien de nouveau, si ce n’est le constat qu’un environnement favorable m’a permis de travailler et de profiter de la vie sans efforts particuliers. Etant chez moi, je pouvais assister aux nombreuses visio-conférences, aux multiples apéro-vidéos sans avoir à m’adapter, m’organiser ni anticiper pour que cohabite santé, engagement, travail et vie sociale. Nous avions tous des contraintes et des rythmes différents qui créaient je crois une certaine égalité et un grand respect. Nous étions tous confrontés à une même réalité, à un même danger. Nous étions tous concernés. J’étais donc professionnellement et personnellement en phase avec le monde. Plus que vivre, il était devenu facile d’exister, de contribuer, d’être compétente et utile dans cet environnement.
Alors cette expérience du déconfinement revient à devoir accepter de quitter un monde utopique où l’équité était une valeur commune et c’est certainement ce qui rend les choses difficiles. J’essaie de me remémorer cette explication que m’avait faite un jour la directrice de l’ADAPT/Institut du Mai pour me réconforter : « plus tu as d’activités, plus tu as de déplacements et plus tu rencontreras d’obstacles, mais alors c’est que la vie va bien. »
Et la vie ira bien tant que je pourrais vivre parmi les autres en répondant à mes envies en fonction de mes besoins selon des règles équitables.
En confinement nous ne parlions que de contaminations et comptabilisions les décès. En déconfinement nous savons seulement que le virus n’a pas disparu mais que la vie économique doit reprendre.
En confinement j’ai pu tester une vie où les règles du jeu étaient les mêmes pour tout le monde et où le sablier du temps s’écoulait plus lentement. Les contraintes étaient réelles, évidemment, mais puisque chacun avait les siennes nous étions à l’équilibre – ou presque.
En déconfinement certains peuvent aller travailler quand d’autres doivent continuer en télétravail. Certains peuvent partir en vacances quand d’autres sont en arrêt de travail. Certains s’embrassent et se serrent dans les bras quand d’autres sont tenus à distance par sécurité.
Alors entre confinement et déconfinement je suis perdue. Je ne sais plus bien où placer le curseur entre risque et bénéfice, entre sécurité et protection, entre règles et recommandations. Ce monde est devenu flou, en perte de repère et cette reconnaissance de la fragilité n’est certainement pas le phare qui vient éclairer ce brouillard épais.
La seule chose que je sais aujourd’hui c’est que je ne sais rien. Confinement. Monde d’avant. Monde d’après. Espoir fou. Déconfinement. Illusions perdues. Reconfinement.
Peut-être est-il simplement temps de garder espoir et de rester confiant dans ce « monde d’après » qui se construit à présent. Mais ce monde n’est-il pas simplement en train de reprendre comme avant ?