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Le sens du soin en gériatrie

"Cette empathie doit être la même pour tous les malades, qu’ils soient riches ou pauvres, quels que soient leurs origines ou leurs religions, quels que soient leurs états de santé ou de dépendance, et quels que soient leurs troubles du comportement. C’est le propre de l’hôpital public républicain que de prendre-soin de tout le monde sans distinction, y compris des « méchants ». "

Par: Christophe Trivalle, Médecin gériatre, CHU de Bicêtre, AP-HP /

Publié le : 06 Janvier 2016

Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.

Plus que dans toute autre spécialité, c’est bien en gériatrie que le mot français soin possède le double-sens anglo-saxon du cure et du care. Le cure est le soin au plan purement médical, aussi bien thérapeutique que technique. C’est souvent le soin qui est valorisé dans les services de court séjour et dans les services très spécialisés. Le care est tout le reste, tout ce qui se fait autour du traitement médical, c’est le prendre-soin. Pour les malades âgés - et d’autant plus qu’ils sont très dépendants ou sujets à des troubles cognitifs sévères - cet aspect du soin devient prioritaire. C’est le soin ultime qui sera fait quotidiennement, de jour comme de nuit, jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle, que ce soit au domicile, en institution ou à l’hôpital. C’est ce soin, remplit d’humanité, qui garantit la dignité du malade quel que soit son état de santé et d’autonomie. Pour paraphraser la célèbre définition des soins palliatifs, le soin en gériatrie, c’est ce qui reste à faire même quand il n’y a plus rien à faire. C’est à la fois les soins de nursing (toilettes, changes, habillage), l’aide à l’alimentation, l’aide à se lever ou à la marche, mais c’est aussi les petits gestes (un peu de parfum, la coiffure, le choix des vêtements, des animations…) et bien sûr de l’écoute et des échanges verbaux ou même non-verbaux (tenir la main, une petite caresse, un sourire…).  Malheureusement, ce rôle relationnel est parfois très réduit par manque de temps ou de personnel. Par ailleurs, cette approche nécessite une qualité très importante chez les soignants : l’empathie. C’est l’empathie qui évite la réification, c’est-à-dire que les malades soient considérés comme des objets. Or, comme l’a écrit Kant, « traiter une personne comme une chose est le signe de l’inhumanité même ». Cette empathie doit être la même pour tous les malades, qu’ils soient riches ou pauvres, quels que soient leurs origines ou leurs religions, quels que soient leurs états de santé ou de dépendance, et quels que soient leurs troubles du comportement (ce qui n’est pas toujours facile lorsque la maladie entraîne des désinhibitions, des comportements violents ou révèle des personnalités racistes). C’est le propre de l’hôpital public républicain que de prendre-soin de tout le monde sans distinction, y compris des « méchants ». On l’a d’ailleurs vu récemment lors de l’assaut de Saint-Denis après les attentats : il a aussi fallu soigner les terroristes. Tout le monde a le droit de bénéficier des meilleurs soins d’accompagnement possibles (en fonction bien sûr des moyens matériels et surtout humains alloués à chaque service) jusqu’au bout. C’est pourquoi il est temps de revaloriser (autant l’image dans le grand public que sur un plan financier) tous les métiers qui garantissent ce care en gériatrie et qui l’assurent tous les jours dans des conditions souvent extrêmement difficiles. Ce sont tous ces soignants qui assurent l’humanité de ce prendre-soin et qui garantissent la dignité de tous les malades âgés. On peut donc se poser légitimement la question de la valeur de ce soin pour notre société. Quelles sont aujourd’hui la place et la reconnaissance que la société donne aux soignants en général, et plus particulièrement à ceux qui s’occupent de nos parents âgés ? A ceux qui s’occupent des plus fragiles et des plus malades ?

Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.