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Le secret médical à l’épreuve du réel
Le crash de l’Airbus 320 suscite désormais une controverse relative au respect du secret médical dans certains contextes professionnels. Sans rajouter des commentaires inappropriés au cumul de révélations qui elles-mêmes interrogent la notion même de préservation du secret, il paraît justifié de revenir, de manière générale, sur la signification du secret médical et sur ce qui pourrait contraindre - comme le souhaitent certain - à le transgresser.
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 30 Mars 2015
« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.[1] »
La dignité même de l’acte de soin
Alors que tant de données personnelles peuvent être diffusées aujourd’hui de manière indifférenciée ne serait-ce que sur les réseaux sociaux, la valeur du secret médicale demeure encore dans sa signification traditionnelle de l’ordre d’un engagement qui ne saurait être trahi. Servir avec compétence la personne vulnérable dans la maladie, lui porter l’assistance que requiert son état de santé ne saurait se faire sans lui témoigner considération et sollicitude. Respecter le secret de ce qui est confié ou évoqué au cours de ces moments d’intimité et de dévoilement que constitue la relation de soin, revient à reconnaître la personne dans des droits qu’aucune circonstance ne saurait compromettre. Il convient ainsi d’établir un rapport vrai qu’aucune considération approximative ou équivoque ne saurait entraver. Le devoir de loyauté s’impose à un professionnel qui exerce ses missions dans un espace d’intimité que doivent sauvegarder certaines limites intangibles.
Notre relation au savoir que peut détenir et révéler le médecin concerne une certaine idée de ce que nous sommes. Il convient donc d’éviter les préjudices du regard indiscret qui serait porté sur une personne qui souhaite ne pas s’exposer au risque d’intrusions qui affecteraient son intégrité.
Le parcours dans la maladie interroge la personne, la fragilise, la livre à des explorations et à des évaluations redoutées, la confronte à des contraintes et à de nécessaires concessions qui progressivement insinuent une sensation de menace et de dépendance. Cette « mise à nu » n’est tenable que pour autant qu’elle ne compromette pas la persistance d’un essentiel qui tient à la préservation de ce qui est constitutif de l’identité de la personne, de ce qui lui est le plus précieux et à quoi elle demeure profondément attachée. Cette part d’intimité, si personnelle et mystérieuse, que l’on ne tient à partager qu’avec ceux estimés dignes de confiance, peut se comprendre comme de l’ordre d’un secret dès lors inviolable.
Il importe donc de pouvoir être assuré qu’en toute confiance les professionnels de santé sauront accueillir une parole, quelle qu’en soit la teneur, témoignant une attention d’autant plus exigeante qu’elle tient à la singularité d’une relation conditionnée par le « respect du secret ». Alors que l’on ignore tout d’eux, ils seront amenés pour ce qui les concerne à connaître notre existence, à découvrir nos comportements, à pénétrer les aspects les plus intimes de notre personne, notamment lorsque les préférences et les choix sont exprimés afin d’envisager les prises de décisions déterminantes. Ce rapport asymétrique n’est tenable que pour autant que certains principes intangibles soient honorés, de nature à restituer à la fois un équilibre et surtout une dimension d’humanité dans la relation. L’attention ainsi accordée à notre sphère privée, à la confidentialité des échanges lorsqu’ils relèvent de ce qui semble le plus personnel, conditionne pour beaucoup la qualité d’un engagement confiant dans le soin. Le respect du secret médical relève donc de la dignité même d’un acte de soin constamment respectueux des valeurs de la personne au-delà des contraintes liées à sa maladie.
Respecter l'autonomie de la personne
Dans les années 1980 les militants du sida ont revendiqué le « droit de savoir » là où leur semblait s’imposer l’abus d’autorité d’une parole trop souvent confisquée par les médecins. Cette évolution est de nature à expliquer le mouvement qui s’est amorcé pour parvenir actuellement à de nouvelles approches non seulement du secret médical mais également de la responsabilité partagée dans le cadre d’un traitement. L’autonomie reconnue de la personne malade est de nature à lui permettre d’exercer un rôle propre dans la démarche de soin et donc d’assumer le vécu de sa maladie y compris en dehors d’un rapport par trop dépendant de son médecin ou de l’équipe soignante. Il lui appartient, autrement que par le passé, de décider ce qu’elle souhaite ou non mettre en commun avec eux de ce qui lui est personnel.
Il convient de rappeler à ce propos qu’avant la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, le dossier médical n’était transmis qu’entre médecins. Désormais toute personne peut accéder directement aux informations qui concernent son état de santé et les détenir. Cette évolution législative considérée comme un des acquis de la « démocratie sanitaire » a toutefois pour autre conséquence de rendre plus aisément accessibles des données médicales qui sont de fait moins protégées de demandes intempestives comme, par exemple, celles d’assureurs dans l’instruction d’une demande de prêt bancaire…
Aspect qui ne me paraît pas indifférent à notre approche à la fois du secret médical et des données dites sensibles, au cours des réflexions relatives à la rédaction des décrets d’application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, un psychiatre observait que certaines personnes considéraient le dossier médical comme leur livret de famille… Elles estimaient que des événements significatifs de leur existence y étaient consignés et que ce recueil d’informations relevait en quelque sorte de leur histoire intime. Autre point, la mise en œuvre du projet de dossier médical personnel a été compromise durant des années par la position de personnes et d’associations revendiquant un « droit à l’oubli » ou au cryptage d’informations qu’elles ne souhaitaient pas voir reprises dans l’historique de leur santé. Pour certains, un antécédent de maladie psychiatrique ou l’indication d’une sérologie positive pour le VIH peut effectivement s’avérer préjudiciables à une certaine représentation de soi, voire exposer à un risque de stigmatisation.
À l’époque de la transmission orale de l’information médicale ou sous forme de documents « papier » certainement peu sécurisés, se substitue désormais celle du recueil numérisé des « datas ». Les données médicales dites sensibles font l’objet de systèmes de protection spécifiques susceptibles d’éviter leur divulgation à mauvais escient, cela d’autant plus que leur suivi n’est plus assuré exclusivement et directement par des professionnels de santé. Elles sont « hébergées » dans des plateformes dont il est dit que la sécurisation des transmissions et des conservations est rigoureusement assurée. Qu’en est-il du secret médical dans ce contexte d’innovations technologiques et du virtuel, dès lors que de surcroit des fichiers peuvent être croisés et permettre par recoupements de parvenir à l’identification de personnes qui seraient par exemple atteintes de maladies chroniques ? Doit-on considérer que les évolutions à la fois d’ordre culturel et de nature scientifique justifieraient en quelque sorte de dénaturer le secret médical, d’en faire une donnée indifférenciée pour autant que l’on puisse, autant que faire se peut, protéger la personne de tout risque de discrimination ou de stigmatisation ? La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne n’affirmait-elle pas, à bon escient, la nécessité de « renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l'évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques[2] » ?
Révéler une information à caractère secret
Le secret médical peut être considéré comme un droit fondamental d’autant plus essentiel à la personne qui éprouve souvent le sentiment de perdre en respectabilité et en maîtrise de soi du fait des conséquences patentes de certaines maladies. Cela d’autant plus que la transgression du principe de confidentialité peut intervenir en dépit des dispositifs mis en œuvre pour sauvegarder cette part d’intimité, cette discrétion qui importe tant, ne serait-ce qu’afin de préserver autant que faire se peut l’essentiel. La révélation du secret de la maladie mais aussi d’une part de personnalité qu’il importait tant de maintenir hors des regards indiscrets se fait, dans bien des circonstances, au détriment de la personne, sans qu’elle n’y puisse rien. L’évolution, par exemple, d’une maladie neurologique dégénérative, un épisode de crise dans le contexte d’une pathologie psychiatrique, les signes apparents du traitement d’un cancer et parfois certaines séquelles constituent des indices probants difficiles à dissimuler.
Les conditions d’acceptabilité sociale de la maladie, dans un contexte normatif qui valorise l’excellence, la performance et appréhende toute forme de vulnérabilité susceptible de disqualifier et de reléguer, ajoutent à la difficulté d’être comme « mis à nu », soumis à des jugements difficilement surmontables. À l’annonce d’une possible maladie d’Alzheimer, le neurologue peut être confronté au dilemme de ne pas avoir à évoquer le diagnostic avec le conjoint, sur demande de la personne malade qui souhaite éviter que sa sphère privée soit envahie par une révélation de nature à tout compromettre. Une personne peut être amenée à différer un examen médical justifié, craignant une maladie qui affecterait le parcours de sa vie professionnelle, voire lui ferait perdre un emploi. C’est dire la difficulté d’approche dans le cadre de la médecine du travail, lorsque certains enjeux supérieurs pourraient prévaloir, justifiant des décisions délicates et des modalités d’accompagnement à la fois soucieuses d’éthique et adaptées au contexte contraint[3].
Le Code pénal prévoit dans son article 226-13 que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou sa profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». S’interroger aujourd’hui sur le « caractère secret d’une information » me semble en fait plus significatif et utile que de tenter difficilement de préserver une conception quelque peu idéalisée du secret médical dont il convient de constater qu’à l’épreuve du réel tout contribue au risque de l’ébrécher ou du moins de compromettre son autorité. Il importe donc de renouer avec la signification même du principe qui le légitime et vise tout particulièrement à favoriser la qualité d’une relation de confiance, notamment dans le contexte si spécifique de la relation de soin. Lorsqu’un professionnel de santé est par fonction amené à connaître de l’autre ce qui relève d’une part d’intimité qu’il ne partage qu’avec quelques-uns de ses plus fidèles. De telle sorte que le secret engage profondément le professionnel et le situe dans un rapport de proximité et de responsabilité qui lui impose des obligations d’ordre moral, au-delà même du seul respect de la confidentialité, dont il ne saurait s’exonérer. C’est ainsi qu’il est reconnu digne de respect et que l’exercice de sa mission est attachée aux valeurs qui lui sont indispensables.
Lorsque le législateur affirme dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé que « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant[4] », peut-être serait-il important d’analyser sur le terrain l’effectivité d’une telle résolution. Trop souvent encore, dans la salle d’attente d’un hôpital la personne est appelée publiquement par son nom sans tenir compte du droit à la confidentialité. De même la médiatisation de certaines hospitalisations, voire de prouesses médicales enfreint parfois des règles pourtant applicables en toutes circonstances. À cet égard, la première greffe partielle de visage réalisée à Amiens en 2005 constitue un cas d’école…
Transgresser le secret ?
Certaines dérogations justifiées au secret sont fixées notamment par le Code pénal[5] et le Code de la santé publique[6]. Ces exceptions ne sauraient pour autant atténuer la signification d’un authentique pacte qui conditionne pour beaucoup la faculté de consentir, avec certaines contreparties, à un suivi médical et à une relation de soin. L’exigence d’une certaine réciprocité tient ainsi à l’effectivité d’obligations dont le médecin et plus globalement tout professionnel de santé doivent comprendre la haute signification. De même est-il nécessaire de préciser les règles de nature à protéger la personne de toute forme d’intrusion, que ce soit dans le cadre du recueil et du croisement d’informations relatives à sa santé sous forme numérisée, ou dans les pratiques de certaines disciplines médicales comme par exemple la génétique ou la psychiatrie. La sensibilité toute particulière de données personnelles mais également susceptibles de concerner des tiers au sein de la famille ou d’une communauté est évidente et requiert donc des encadrements rigoureux.[7] C’est dire que le respect du secret ne saurait être assumé sans prendre en compte d’éventuels dilemmes auxquels en pratique il confronte. Les responsabilités sont en l’occurrence non seulement interrogées, mais plus encore soumises à la difficulté d’arbitrages qui s’imposent parfois dans l’urgence ou dans des contextes à la fois incertains et évolutifs. Il semble, dans ce domaine de la réflexion éthique, indispensable de privilégier l’effort de discernement, la concertation, la collégialité afin d’éviter un arbitraire préjudiciable à tous.
Le propos pourrait se conclure sur l’énoncé d’un dilemme relatif à ce que serait une possible justification de la transgression du secret médical.
La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[8] ». Selon Les Principes d’éthique médicale européenne « le médecin ne doit jamais assister, participer ou admettre des actes de torture ou autre forme de traitements cruels, inhumains ou dégradants quels que soient les arguments invoqués (faute commise, accusation, croyances) et ce dans toutes les situations ainsi qu’en cas de conflit civil ou armé [9]».
Si le médecin est témoin, au cours de sa visite à une personne incarcérée, de pratiques contraires aux principes ainsi exposés et que le prisonnier lui enjoint pour des raisons qui lui sont propres de ne pas divulguer l’information, est-il moralement tenu à respecter une telle demande ? Lorsque la vie de la personne est en péril et que ses propres valeurs l’inciteraient à dénoncer des conduites qu’il estime contraires aux principes d’humanité, comment envisager la position juste, selon quels critères alors qu’il est probable que l’ébruitement de telles pratiques peut également être préjudiciable au détenu ?
À l’épreuve du réel le secret constitue certes un indispensable repère ; il fixe un cadre mais présente également des limites qu’il convient de penser et d’intégrer aux décisions selon une approche justifiant, peut-être, dans certaines circonstances, un examen au cas par cas. Dès lors conviendrait-il de déterminer, en les argumentant, les critères à mobiliser afin de parvenir à une position juste, recevable et qui, en pratique, ne s’avèrerait pas contradictoire avec les objectifs visés. Car il s’agit également de sauvegarder la relation de confiance et d’éviter des positions arbitraires inconciliables avec le respect des droits de la personne malade dans le cadre de l’exercice d’’une responsabilité partagée.