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Le malade jeune en EHPAD : intrus ou révélateur ?

Analyse d'un cas clinique d'une personne jeune (58 ans) atteinte par la maladie d'Alzheimer et de son rôle de révélateur dans un EHPAD.

Par: Agnès Michon, Neurologue, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP / Jean-Pierre Chesson, Médecin coordonnateur, EHPAD, Fondation Gourlet Bontemps / Élodie Passeri, Psychologue clinicienne, Neuropsychologue, EHPAD, Fondation Gourlet Bontemps /

Publié le : 28 Juillet 2014

Madame D est une patiente jeune de 58 ans atteinte d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer. Elle a été admise en EHPAD, sur dérogation,  dans un contexte de crise marqué par la majoration de troubles psycho-comportementaux. À plusieurs reprises nous nous sommes rencontrés (l’équipe de l’EHPAD, la psychologue référente du PASA, le médecin coordonnateur, le neurologue référent)  pour une réflexion pluridisciplinaire, afin de tenter de trouver des réponses aux difficultés et aux questions soulevées par Madame D.  Celle-ci présentait des manifestations d’angoisse majeures avec agitation psychomotrice, sollicitations et questions incessantes, déambulation, perturbant les autres résidents et entraînant des comportements de rejet ne faisant qu’aggraver la situation. La « gestion » des troubles du comportement devenait difficile pour les soignants à tous moments de la journée, toilette, repas, activités, sorties avec la famille.

L’équipe a fait preuve d’un investissement remarquable, mettant en place un programme de soins et un accompagnement personnalisé, incluant un travail non seulement individuel, mais aussi avec la famille, la problématique systémique apparaissant être un facteur important dans l’émergence et le contenu des angoisses. Plusieurs questions ont été au cœur des débats : comment apaiser ces angoisses si légitimes face à une forme de la maladie aussi rapidement évolutive et destructrice ? Angoisses de mort,  qu’il fallait contenir, non seulement chez Madame D elle-même, mais aussi chez la famille, et encore sans aucun doute chez les soignants devant se confronter à des processus d’identification à l’œuvre, bien différents de ce qui pouvait se jouer avec les autres résidents âgés. Comment comprendre des manifestations de la maladie si inhabituelles (du fait de la forme jeune atypique) et adapter l’approche en conséquence ? S’adapter sans prendre du temps au détriment des autres résidents ? Quelle place pouvait-on faire à Madame D, seule patiente jeune au milieu de patients âgés ? Et quelle place avait-elle prise ? Elle-même, dans l’incohérence et la confusion de ses troubles, avait pris une place tout à fait signifiante au cœur des interactions soignantes, et au cœur des interactions familiales, rejouant probablement ou remettant à l’œuvre (dans ce qui nous était donné à voir) des enjeux familiaux anciens.

Quelle place également donner à la famille ? Entre le trop pour certains et pas assez pour d’autres, où se situer ?  Comment ne pas se porter juge de certaines interactions paraissant négatives ? Comment l’institution et les soignants pouvaient-ils garantir une liberté, un espace, qui permettent au lien familial d’être toujours vivant, pas toujours seulement positif mais aussi conflictuel ? À toutes ces questions il n’y a pas eu, bien sûr, qu’une seule et unique réponse, mais une prise de conscience des enjeux, des tensions dans lesquelles l’équipe pouvait être prise, et où il fallait respecter l’avis, la place, les valeurs de chacun. Et malgré cet investissement colossal, épuisant mais gratifiant aussi, la question majeure qui s’est posée a été de garder Madame D dans l’EHPAD.
Il a fallu se garder d’opposer ceux qui étaient pour, à ceux qui étaient contre, de donner raison aux uns ou aux autres, pour arriver à reconnaître les limites de chacun, les limites de l’institution mais surtout les limites de la maladie.  Reconnaître que, quelquefois, il faut savoir passer la main et se relayer. Savoir aussi ne pas se sentir coupable dans l’idée que l’on n’a pas été un assez bon soignant et ne pas rejeter cette culpabilité sur les autres. C’est seulement à ce prix-là que des solutions  peuvent émerger, d’autres regards et d’autres  façon de considérer la situation, ou encore une autre écoute du sujet qui est au cœur des débats. L’équipe nous a rapporté que Madame D elle-même, demandait à partir. Que signifiait cette demande, comment était-elle interprétée par chacun et dans quel contexte ? Il fallait se garder de projeter nos propres réponses. C’est avec  Madame D, qu’il a fallu partager nos interrogations, mais jusqu’où et quelles interrogations pouvait-elle entendre ? S’était-elle toujours sentie comme une intruse dans l’établissement, question ayant été en filigrane dans tous les débats dès son entrée ?

Il apparaît clairement qu’en réalité la situation de Madame D, au-delà de la place d’un sujet jeune dans un EPHAD, a agi comme un révélateur des enjeux d’équipe, des pratiques vis-à-vis de chaque résident, jeune ou âgé,  et questionne sur la place que nous sommes capables de donner à un sujet malade, en perte d’autonomie, nécessitant une attention et des soins constants. Quels soins, mais surtout quelle dynamique de vie  sont-ils possibles ?