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Le confinement dans le confinement est-il éthique ? Réflexions autour du polyhandicap

"Faut-il imposer ces mesures contraignantes aux patients polyhandicapés qui ne demandent rien, qui supportent mal la contrainte, dont on ne connaît pas le statut psychique, qui n’ont pas de devoirs mais seulement des droits ? Protéger à tout prix, mais à quel prix ?"

Par: Elisabeth Grimont-Rolland, Chef de service rééducation pédiatrique, Hôpital San Salvadour, AP-HP /

Publié le : 14 Avril 2020

Depuis maintenant trois semaines, nous sommes en confinement complet, mesure sanitaire, décidée par nos politiques pour lutter contre la pandémie liée au coronavirus covid 19. Il s’applique à tout citoyen français. Il a été mis en place à la même date au sein des hôpitaux notamment au sein de notre établissement dédié à la prise en charge-accompagnement de la personne polyhandicapée, multi-handicapée.
Nos portes se sont fermées et toutes visites extérieures sont désormais interdites : aucune visite des familles, plus aucun bénévole, ni de travailleurs sociaux extérieurs. Ce lieu merveilleux, haut lieu de l’hospitalité depuis de nombreuses années, est devenu un lieu de confinement, d’enfermement. Nous avons suivi au pied de la lettre les mesures gouvernementales concernant la protection des médecins, des soignants, des administratifs et des services support, nous avons développé le télétravail et malgré tout les premiers cas covid positif sont là parmi le personnel soignant. Nous devions de toute urgence protéger nos patients fragiles et vulnérables. Ces mesures drastiques ont porté leurs fruits, nous n’avons, au jour où j'écris, aucun cas déclaré de covid 19 parmi les patients et sommes en attente de résultats pour 4 patients fébriles. Nous avons anticipé en ouvrant à nouveau une unité qui serait dédiée à nos patients qui ne pourraient bénéficier d’un transfert en réanimation aux vues de la situation actuelle très tendue dans les services de réanimation des hôpitaux voisins.
Nous avons cependant continué la vie, les patients sont levés tout les jours, mangent en salle à manger, lieu de vie, de rencontre, de préservation de leur dignité et de leur liberté. Nous faisons le choix d’éviter l’isolement, la violence du confinement total après discussion en collégialité sur des arguments d’une part épidémiologique et d’autre part éthique. Cependant la peur s’installe auprès des soignants, les questionnements surgissent. Faut-il comme cela est évoqué, confiner au lit et dans leur chambre les patients, leur interdire l’accès aux lieux de vie, les sorties dans notre parc aux essences foisonnantes, la sensation de l’air frais sur leur visage de ces journées printanières ? Faut-il imposer ces mesures contraignantes aux patients polyhandicapés qui ne demandent rien, qui supportent mal la contrainte, dont on ne connaît pas le statut psychique, qui n’ont pas de devoirs mais seulement des droits ? Protéger à tout prix, mais à quel prix ?
Toutes ces questions amènent plusieurs réflexions d’ordre éthique : Comment prendre la bonne décision dans ce contexte particulier auprès de personnes sans communication verbale, fragiles et vulnérables au regard des pathologies qu’ils présentent, des co-morbidités et de leur absence d’autonomie décisionnelle ?

Le meilleur serait-il la pire des choses ?

Reconnaître la capacité d’une personne à exprimer des opinions, à faire des choix concernant les décisions prises au regard de sa santé est une tâche compliquée chez les personnes en situation de polyhandicap, quasiment impossible chez les personnes en état de conscience minimale ou en état pauci-relationnel. Nous sommes devant le dilemme éthique de « l’impossible choix « . Le principe d’autonomie est ici mis à mal, il ne peut y avoir en guise de réponse qu’une décision pour autrui, exprimée par la famille, le tuteur ou toute représentant légal à défaut l’équipe soignante. Deuxième dilemme éthique qui se pose à nous. Qui suis-je pour prendre une « décision à la place de », « véritable instant philosophique[1] » de la décision médicale.
Réduire au maximum le risque infectieux auprès de ces personnes, c’est ouvrir le parapluie maximum du principe de précaution, dans un but compassionnel de non malfaisance « primum non nocere ». Le troisième dilemme éthique se pose en ces termes : le meilleur serait-il la pire des choses ? Dans cette période où les médias recherchent toujours le sensationnel et nous abreuvent tous les matins dès le réveil du nombre des morts par covid sans nous informer du nombre des personnes guéries, il nous faut savoir raison gardée. Protéger la personne, mais à quel prix, celui de sa qualité de vie, celui d’une majoration de son angoisse, d’un syndrome de glissement, d’un refus de vie ? Protéger la personne au risque de deshumanisation en bafouant ses droits fondamentaux ?
En conclusion, rendons hommage aux soignants qui au prix de leur vie répondent présents, brisent la solitude, habitent le silence auprès des ces personnes fragiles et vulnérables subissant la situation sans comprendre ce qui leur arrivent. 


[1] Le Coz, Pierre, Petit traité de la décision médicale, Seuil, Paris, 2007