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L'annonce prénatale du handicap
Analyse complète des différents type de diagnostics prénataux de handicap, de leurs conséquences actuelles en termes d'interventions et leurs implications éthiques.
Par: Jacques Milliez, Médecin, Chef de service de gynécologie-obstétrique, hôpital Saint-Antoine, AP-HP /
Publié le : 07 Août 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°3, consacrée à l'Arrêt Perruche. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Qui pouvait imaginer voilà vingt-cinq ans devoir faire un jour une interruption médicale de grossesse pour, par exemple, une agénésie du vermis cérébelleux d’un fœtus ? Il y a vingt-cinq ans, en effet, le diagnostic prénatal n’existait quasiment pas. L’amniocentése cherchait ses bonnes indications et ses limites.
L’échographie était née depuis peu des mains de Lan Donald, un gynécologue écossais, mais on ne devinait que grossièrement sur l’écran les contours du fœtus, ce qui à l’époque constituait un progrès appréciable et considérable, mais réduisait le dépistage anténatal aux malformations les plus grossières. En dessinant les contours de l’abdomen du fœtus par une radiographie in utero qui s’appelait fœtographie, on transfusait le fœtus dans son péritoine pour lui permettre de survivre à une anémie par incompatibilité rhésus. La néonatologie était en plein essor, mais les succès de la réanimation des grands prématurés n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Les interrogations semblaient plus simples.
L’échographie
Depuis vingt-cinq ans, les progrès se sont accélérés de façon quasi vertigineuse. L’échographie est devenue infiniment plus performante et précise, détaillant des structures de plus en plus fines. Elle s’est enrichie des procédés d’investigation dérivés du principe de Christian Doppler, mesure des flux sanguins ou presque, en tout cas leur direction. L’échographie se fait en “couleur”. Les informaticiens ont miniaturisé les logiciels de ces gros ordinateurs que sont les échographes et certains restituent des images en trois dimensions. L’imagerie à résonance magnétique nucléaire, la fameuse IRM qui se fonde sur la rotation des électrons et ne comporte aucun risque fœtal, s’est mise à scruter les organes fœtaux dès que les bonnes antennes paraboliques ont pu s’appliquer à l’abdomen de la mère. Désormais rien ou presque ne lui échappe.
La génétique
L’amniocentèse, dans le même temps, se faisait concurrencer par des techniques qui sont vite devenues complémentaires : au premier trimestre de la grossesse, la biopsie de trophoblaste, le précurseur du placenta, puis à partir de quatre mois et demi, la cordocentèse, c’est à dire la ponction de la veine ombilicale du fœtus pour en analyser le sang et pratiquer un caryotype. Un résultat qui prenait trois semaines s’obtient maintenant en deux jours et grâce aux techniques d’hybridation in situ fluorescente et de séquençage de l’ADN, encore l’une et l’autre en évaluation. La génétique est devenue hégémonique, peut-être même oppressante, grâce à l’explosion de la biologie moléculaire qui met sur orbite la génétique moléculaire.
Les maladies dont le gène s’est trouvé cloné, localisé, répertorié, et donc désormais identifiable chez le fœtus, ont vu leur nombre s’accroître rapidement et l’on en compte aujourd’hui plus de huit cents. Les amorces et les enzymes ingénieuses qui permettent de baliser puis d’amplifier à une vitesse record de minuscules fragments d’ADN, non seulement conduisent au diagnostic des maladies génétiques, mais elles détectent la moindre copie de virus, de germe ou de parasite dans le liquide amniotique, le toxoplasme par exemple, pour aboutir en quelques heures à la certitude d’une fœtopathie.
Les limites éthiques
Bref, les indications d’interruption de la grossesse du fait d’anomalies fœtales se sont multipliées, passant largement devant les indications maternelles et, occupant le devant de la scène, elles forcent à la réflexion.
Leur nom, d’abord, a posé problème : interrompant la vie fœtale à cause d’une maladie fœtale on ne peut les qualifier de thérapeutiques, sauf à considérer la mort comme un traitement radical. Les interruptions de grossesse justifiées par une indication fœtale portent donc le nom d’interruptions médicales.
Très vite s’est aussi posé le problème des limites de leurs indications. Les outils diagnostiques sont devenus si performants qu’ils décèlent, dès la vie fœtale, des maladies qui ne se seraient peut être jamais manifestées cliniquement ou qui ne se seraient révélées qu’après plusieurs mois ou plusieurs années de vie de l’enfant, voire même à l’âge adulte : le cancer du sein ou la maladie de Huntington. De plus, les investigations anténatales exhument de plus en plus souvent des anomalies inattendues dont on ignore strictement la traduction morbide éventuelle, un petit bout de chromosome en plus qui se trouve là par hasard, mais qu’il est par ailleurs impossible de cacher aux parents.
Autant de questions auxquelles trop souvent la médecine, qui pourtant les génère, se trouve incapable de répondre ou de répondre autrement que par une interruption de grossesse, dans le doute ou pour apaiser une insupportable angoisse.
L’euthanasie fœtale
Ne jouons pas sur les mots. L’interruption médicale de grossesse met fin délibérément à la vie d’un fœtus pour lui éviter les souffrances ou les handicaps d’une affection congénitale incompatibles avec une vie normale. Elle lui offre donc une bonne mort, une mort qui de l’avis général paraît préférable à l’épreuve que serait sa vie. Il s’agit donc bien d’une euthanasie.
Cette euthanasie qui, idéalement pour certains, devrait seulement s’accepter comme passive — ne rien faire pour prolonger la vie, à partir du moment où elle concerne, et c’est le plus grand nombre, des affections non létales —, ne peut qu’être organisée, préméditée et donc active.
Dans la majorité des cas, le terme précoce de la grossesse permet que la brutalité des contractions utérines induites par les médicaments entraîne d’elle même la mort du fœtus. Malheureusement, après le cinquième mois cet alibi ne tient plus et, pour éviter le risque de voir naître un enfant vivant, il faut procéder à un fœticide, avec la ponction ou l’injection qui, dès avant le début de l’accouchement, mettra fin à la vie fœtale.
Il s’agit d’un acte terriblement lourd pour des équipes dont la vocation consiste à perpétuer la vie, terriblement lourd surtout pour des parents qui ne peuvent, et probablement ne doivent pour l’achèvement du deuil, rien en ignorer. Il leur faudra ne rien éluder, ne rien occulter de cet enfant dont la vie s’est interrompue avant qu’il n’ait vécu, l’inscrire dans la juste filiation des morts et des vivants, afin d’achever, au moins mal, le difficile chemin du deuil périnatal.
Les limites du droit
La loi encadre bien l’euthanasie fœtale. Reprécisées récemment dans les lois du 29 juillet 1994 traitant de la bioéthique, les dispositions sont claires : deux médecins décident de l’indication, un médecin expert en médecine fœtale exerçant dans un centre multidisciplinaire de diagnostic prénatal et un expert médecin, habilité prés d’une Cour d’appel ou de la Cour de cassation. Il est bien nécessaire, en effet, que cette démarche soit scrupuleusement encadrée pour en valider la pertinence technique, par le médecin expert, et la rigueur éthique, par l’expert médecin.
Le droit, pourtant, s’est arrêté en route. On n’attend pas de lui, au contraire, qu’il fixe une liste normative de maladies qui donneraient ou non droit à l’euthanasie. Pour les choix impossibles, la conscience du médecin qui agit sans trahir la confiance dont il est investi, fait office de loi. On n’attend pas non plus du droit qu’il fasse parfois déborder vers la période immédiatement néonatale les dispositions qui s’appliquent exclusivement à la grossesse.
En France, l’euthanasie qui est licite jusqu’au jour de la naissance, même à terme, cesse de l’être dès que l’enfant est né. L’euthanasie fœtale est un acte médical, l’euthanasie néonatale un infanticide. Rien à objecter sinon que certaines euthanasies fœtales se décident par défaut, d’un commun accord entre les parents et les médecins, faute de pouvoir écarter un risque qu’il ne deviendra vraiment possible de cerner qu’après la naissance. La loi, élaborée pour éviter des handicaps ou des maladies certaines, est alors utilisée à propos de risques que le diagnostic anténatal ne peut ni dissiper ni certifier, une malformation de la face par exemple. Dans le doute, puisque, privée de l’euthanasie, la certitude acquise à la naissance serait inhumaine, la compassion incite à assurer l’euthanasie avant la naissance, tant qu’il est encore temps.
L’euthanasie néonatale pourrait prétendre sauver des vies, si la complexité de la question ne conseillait de se cantonner pour l’instant au non-dit et de plutôt axer le débat vers d’autres revendications.
Le droit à une sépulture
Car il reste un scandale que le droit va devoir corriger : celui du statut des fœtus mort-nés avant six mois. Après six mois de vie intra-utérine, les fœtus nés morts figurent sur le carnet de famille et sur les fiches d’État Civil. Il en va de même pour les fœtus qui avant six mois manifestent avant de mourir, la moindre vitalité à la naissance : un battement cardiaque, une secousse musculaire, un mouvement respiratoire. Mais pour les fœtus nés morts avant six mois, rien n’autorise à les recenser, ni sur le livret de famille ni sur les registres de la mairie. Ils ne sont rien. Aucune sépulture ne leur est due.
Alors, comment justifier à l’égard des parents un fœticide pratiqué à cinq mois et demi par exemple, quand on leur explique en même temps que cet enfant existe, que la conscience de sa présence est la rançon du deuil périnatal mais qu’en même temps cet enfant n’existe pas puisqu’il ne figurera sur aucun document, qu’il ne sera peut-être pas enterré, bref qu’après lui avoir ôté le droit de vivre on lui retire ensuite celui d’avoir vécu ? Il reste à œuvrer pour que l’État laïque reconnaisse officiellement les limbes.
Le débat sur l’eugénisme
La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 interdit aussi à quiconque de se livrer à des pratiques eugéniques par la sélection des individus, sous peine d’un emprisonnement de vingt ans. Or, le diagnostic prénatal qui sélectionne puis l’euthanasie fœtale qui élimine les enfants malformés, ne consacrent-ils pas une politique de “bien naître” ? Ne constituent-ils pas une pratique eugénique au sens étymologique du terme ? Oui, sans aucun doute.
Force est alors d’admettre qu’il existe deux formes d’eugénisme : un eugénisme criminel, coercitif, collectivement préjudiciable, destructeur ou génocidaire, et un eugénisme médical, librement consenti, compassionnel, individuellement bénéfique, accepté seulement dans l’intention d’éviter des souffrances personnelles.
Tout tient en effet dans l’intention : servir ou asservir. Pourtant, par son ampleur, ses moyens et sa banalisation, l’euthanasie fœtale n’est elle pas en passe de dériver vers un eugénisme moins humaniste ? La diffusion à toute la population des femmes enceintes du dépistage par les marqueurs sériques de la trisomie 21, pourrait constituer le premier pas vers une traque au mauvais gène, vers une politique organisée de santé visant à éradiquer un groupe humain, celui des mongoliens.
Bien sûr, le choix reste entier de s’y soumettre ou non, mais ce choix qui apparaît aujourd’hui comme un droit — l’avortement en cas de mongolisme — est-il exempt de toute contrainte économique ou de conformisme social ? Quand, par ailleurs, des politiques d’éradication des anomalies génétiques de l’hémoglobine — la thalassémie et la drépanocytose — s’organisent en Sicile, en Grèce et en Sardaigne, s’agit-il encore de bénéfice individuel ou de santé publique ?
La dictature de la génétique
La génétique devient toute puissante. La plupart de nos gènes sont clonés ou le seront bientôt. Les gènes d’un très grand nombre de maladies sont localisés. Aujourd’hui déjà, on accepte des euthanasies fœtales pour un risque documenté de maladie de Huntington dont la démence se révèle le plus souvent à l’âge mûr. Pour ceux dont les parents ont ainsi prématurément sombré, la démarche se justifie. Ils refusent d’y voir aussi verser leur descendance.
Mais cette recherche comporte deux risques. D’abord, le verdict qui frappe le fœtus condamne aussi ses parents. Ensuite, à quelle frontière s’arrêtera la quête de l’anomalie génétique la plus réduite possible ? Il semblerait exagéré d’imaginer que les hommes exigeront demain des enfants “génétiquement corrects”, des homo economicus sains, performants, productifs et dignes d’investissement.
La réalité dépasse en fait la fiction, puisque plusieurs milliers des gènes humains peuvent se concentrer et se révéler sur des cartes que les anglais appellent des chips, véritables cartes d’identité génétique. Les banquiers anglais demandent à leurs clients de présenter leurs chips avant de fixer le montant des primes de leurs assurances vies ou de leurs prêts à long terme. Une commission gouvernementale vient d’y imposer un moratoire de cinq ans. Mais qu’en sera-t-il ensuite, dans l’Euroland ?
Une médecine thanatophore ?
Plus encore que le poids de la génétique, l’évolution la plus choquante de la médecine fœtale lors de la génération passée est le divorce qui s’est progressivement creusé entre les progrès stupéfiants des investigations et la stagnation des thérapeutiques qui s’offrent au fœtus. Aucun traitement neuf n’est apparu pour équilibrer la précision redoutable des diagnostics.
Bien sûr, les antibiotiques et les parasiticides guérissent les toxoplasmoses congénitales et les listérioses, mais la recette est ancienne. Alors quoi de neuf depuis vingt-cinq ans dans les traitements des maladies fœtales ? Pas grand chose sinon la multiplication et la grande facilité des euthanasies fœtales. La médecine fœtale est restée malgré les progrès généraux des techniques et des thérapeutiques, seule parmi les disciplines médicales, une médecine thanatophore, porteuse de mort.
Heureusement, le diagnostic prénatal ne représente pas seulement cela. Dans la moitié des cas qui justifient des investigations fœtales poussées, le verdict est rassurant. Dans bien d’autres cas aussi, la connaissance avant la naissance de l’affection ou de la malformation fœtale permet d’anticiper sur les complications néonatales, et d’organiser efficacement la prise en charge médicale ou chirurgicale du nouveau-né. Quand on se rappelle qu’à peu prés la moitié des malformations fœtales échappent au diagnostic prénatal, on mesure les bienfaits d’un diagnostic établi à l’avance. Pour le fœtus in utero lui-même pourtant, les solutions curatives ne sont pas à la hauteur des anomalies décelées, sauf à considérer l’euthanasie comme un remède satisfaisant, et à se résigner à des pratiques auxquelles il conviendrait au mieux de se résoudre par indigence temporaire de moyens. Existe t-il un espoir, des voies nouvelles qui guériraient ? Oui, mais elles sont hasardeuses.
La chirurgie fœtale
On a beaucoup cru à la chirurgie fœtale. Le rêve consistait à pouvoir corriger in utero par la chirurgie, certaines malformations congénitale : les hernies diaphragmatiques, les dilatations des voies excrétrices des reins, les hydrocéphalies, les malformations cardiaques même et encore tout récemment le spina bifida. Beaucoup d’obstacles se sont dressés qui ont conduit à un constat d’échec.
Cette chirurgie n’a de sens que si les chromosomes du fœtus sont normaux, ce qui exclut beaucoup de candidats. Les échecs et les complications, notamment infectieuses, ont ensuite été nombreux. L’insurmontable difficulté est de devoir inciser l’utérus et les membranes de l’œuf pour accéder au fœtus sans provoquer des contractions utérines incontrôlables. La maîtrise actuelle de la motricité utérine est insuffisante pour prétendre y parvenir. D’où le risque extrême d’accouchement prématuré, très prématuré même. Est-il préférable de naître à terme avec un spina bifida non traité ou avec un spina bifida couvert mais à 26 semaines d’aménorrhée ?
Une chance s’offre peut être avec les nouveaux fœtoscopes opératoires. De très petit calibre, un peu plus gros qu’un trocart d’amniocentèse, ils perforent sans dommage le muscle utérin et les membranes de l’œuf sans risque de contractions prématurées. Des succès encourageants commencent à être rapportés pour des interventions sur le thorax, sur la face et sur les extrémités des membres, d’autant plus appréciables que le fœtus cicatrise... sans cicatrice. L’effort mérite d’être poursuivi.
La thérapie cellulaire fœtale
Déjà, des fœtus et des nouveau-nés atteints de maladies rares, voire exceptionnelles, qu’on appelle les syndromes d’immunodéficience combinée sévère, ont bénéficié de la transplantation dans leur veine ombilicale des cellules immunocompétentes qui leur faisaient défaut. De la même façon, des cellules souches hématopoïétiques extraites de tissus hépatique embryonnaire ont été injectées à des fœtus atteints de drépanocytose ou de thalassémie. Si elle corrige ces fléaux que sont les hémoglobinopathies congénitales, la thérapie cellulaire représenterait la première vraie mutation thérapeutique de la médecine fœtale. Des protocoles soigneusement encadrés sont en route.
Comme il est devenu possible de cultiver des cellules souches embryonnaires puis d’orienter la différenciation de ces cellules en modifiant les milieux de culture, comme cette différenciation peut aussi s’obtenir à partir de cellules germinales, formidables révolutions, on imagine que dans le sillage des hémoglobinopathies beaucoup d’autres maladies pourraient un jour se trouver guéries par ces greffons.
La thérapie génique fœtale
La thérapie génique aussi a beaucoup déçu. On l’annonçait comme la grande révolution de cette fin de siècle. Elle a fait long feu. Les essais engagés pour corriger le déficit génique de la mucoviscidose, se sont perdus dans des difficultés mal surmontées. D’autres chercheurs se sont alors, expérimentalement sur l’animal, tournés vers la thérapie génique du fœtus in utero.
Les vecteurs du gène correcteur de la délétion sont des rétrovirus ou des adénovirus défectifs. La justification de la méthode est que la relative tolérance immunitaire qui habite un fœtus faciliterait l’incorporation des gènes correcteurs de la mucoviscidose. L’avantage supplémentaire, serait que ce traitement agirait avant que la maladie n’ait pu imprimer ses stigmates, sans s’essouffler à tenter de corriger des symptômes qui ont sévi depuis plusieurs années chez l’enfant ou chez l’adolescent, d’intervenir donc sur un terrain encore vierge de toute morbidité. Il semble que la bonne fenêtre d’injection des gènes serait au milieu du deuxième trimestre de la grossesse. Plus tôt, les risques d’invasion des gonades et de perturbations géniques germinales sont trop inquiétants. Plus tard, il se produit un rejet inflammatoire qui neutralise les vecteurs. Les recherches vont se poursuivre pour la mucoviscidose, la myopathie de Duchenne puis bien d’autres déficits géniques.
Les alternatives à l’euthanasie fœtale
En attendant l’avènement de ces problématiques progrès, l’euthanasie fœtale demeure le passage obligé. Existe-t-il un élément d’alternative ? Pas vraiment, sauf éventuellement le diagnostic préimplantatoire (DPI). Encore faut-il comparer ce qui est comparable. Si le DPI permettait l’économie d’un fœticide à un terme avancé de la grossesse, on hésiterait guère. Mais le DPI n’existe que pour les maladies génétiques dûment identifiées avant la grossesse en jeu, parce que le déficit génique est présent chez l’un des parents ou chez un enfant déjà né. On connaît le gène, on sait le trouver sur une ou deux cellules avant le transfert des embryons fécondés in vitro.
En l’absence de DPI, le diagnostic de ces maladies se fera par la biopsie du trophoblaste et c’est donc à cette technique qu’il faut le comparer. La biopsie de trophoblaste se pratique à 9-10 semaines d’aménorrhée et son résultat s’obtient en 48 heures, largement dans les délais de l’IVG. Elle permet donc une simple aspiration de l’œuf. Bien sûr la procédure reste douloureuse et angoissante. L’épreuve d’une fécondation in vitro dont les succès sont aléatoires est elle préférable ? Seules pourront se prononcer les femmes qui devront s’y soumettre.
Sans parler des tentations de dérives vers d’hypothétiques thérapies géniques embryonnaires, sans souligner vers quel degré d’absurdité se laisserait volontiers glisser une trop facile habitude d’intrusion dans l’intimité de l’embryon, rappelons que déjà certains centres de fécondation in vitro Nord-Américains proposent à des couples normaux et non stériles la détection préventive simultanée d’une vingtaine d’anomalies monogéniques et chromosomiques à partir d’un DPI de convenance. Autrement dit le DPI ne se présente plus seulement comme une alternative compassionnelle à l’euthanasie fœtale, mais il apparaît pour ce qu’il sera peut-être bientôt : une première concession à l’oppression de la génétique, un premier pas dans la quête de l’enfant parfait, le premier chaînon d’une sélection d’individus recrutés parmi les plus aisés financièrement, un nouvel eugénisme sournois.
Pour revenir au quotidien, l’euthanasie fœtale demeure malheureusement, dans bien des cas, une inévitable épreuve. Elle représente encore la moins mauvaise des solutions possibles. Elle exige qu’on y passe du temps, pour ne laisser aucune place à l’approximation technique, pour traduire le souci des précautions dont on l’entoure, la gravité d’une décision mûrement réfléchie comprise comme l’inverse d’une formalité, pour ne céder à aucune pression psychologique ou aucune panique ultérieurement regrettable. Elle ne s’arrête d’ailleurs pas avec l’accouchement. Viendra ensuite le temps du deuil, du soutien psychologique, du conseil génétique et préconceptionnel, de la cicatrisation, jalons obligés avant l’initiation de la grossesse suivante. C’est le prix à payer pour que l’enfant ensuite attendu, ni substitut, ni revanche, ni thérapie, prenne sa juste place, à son propre tour, dans la filiation des humains, maillon de la longue chaîne de mémoire qui dans toutes les familles unit les vivants et les morts.
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