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La sacralité de la vie humaine : Quel est l’apport de cette notion dans le débat sur l’aide médicale à mourir?

La sacralité de la vie semble affirmer, dans sa version positive, que la vie humaine a une valeur spéciale (et qu’elle doit être protégée ou respectée) et, dans sa version négative, qu’elle ne peut être prise sans justification adéquate. Mais la question la plus complexe est probablement de déterminer pourquoi la vie humaine a une valeur spéciale.

Par: Milena Maglio, Philosophe, Institut La Personne en Médecine, Université Paris Cité /

Publié le : 20 Juillet 2023

Dans les débats sur l’aide médicale à mourir, les opposants à sa légalisation font souvent appel à la sacralité de la vie. Leurs détracteurs en soulignent, quant à eux, le fondement religieux pour signifier qu’elle n’aurait pas sa place dans la sphère publique. Une analyse critique des origines supposées de cette notion ainsi qu’un regard historique sur ses apparitions et ses usages offrent toutefois une autre perspective.

Des origines « supposées » de la sacralité de la vie

On affirme souvent que la sacralité de la vie est un principe ancien dont l’origine réside dans la tradition judéo-chrétienne et dans la tradition hippocratique. L’expression n’apparaît toutefois qu’au XVIIe siècle (Lecky, 1921; Taylor, 1649). Elle est absente des sources bibliques et théologiques antérieures ; l’importance alors attribuée à l’âme immortelle empêche de considérer la vie humaine corporelle comme un bien suprême. Quant à l’opposition supposée du serment d’Hippocrate à l’euthanasie, elle est matière à controverses (Edelstein, 2000).
Ce n’est qu’à la Renaissance, et plus encore à l’époque des Lumières, que la sacralité de la vie émerge. On estime davantage la vie humaine individuelle et corporelle. Sa prolongation devient un nouveau devoir de la médecine (Bacon, 1852) et la mort est perçue comme une rupture tragique (Ariès, 1975). Dans un esprit humaniste, la sacralité de la vie devient un principe en défense de la vie. Déplaçant quelque peu son attention de l’au-delà vers l’ici-bas, le christianisme adopte, à partir du XXe siècle, la terminologie de la sacralité de la vie.

Une éthique consensuelle en défense de la vie humaine

Malgré des désaccords à propos de son fondement et de sa signification, la sacralité de la vie s’affirme, dans le sillage des deux guerres mondiales, comme une éthique consensuelle en défense de la vie humaine. Peu à peu, elle se voit appliquée à un nombre croissant de domaines dans lesquels la vie humaine semble menacée, notamment par le développement technologique (armes nucléaires, manipulations génétiques, etc.).
Le lien entre sacralité de la vie et opposition à l’euthanasie se tisse progressivement dans la continuité des mouvements libéraux du XIXe siècle pour l’abolition de la peine de mort, dans le blâme chrétien du suicide, dans la condamnation du nazisme et du programme Aktion T4… C’est au milieu des années 1860, à la suite de la découverte des anesthésiques, que le premier débat sur l’euthanasie voit le jour (Williams, 1870). Alors que la sacralité de la vie est d’abord utilisée pour s’y opposer, elle est aussi avancée comme un argument en faveur du droit de mourir. Le « seul fait d’exister » ou « une vie de douleur, d’agonie et d’angoisse » – à la différence de « la personnalité humaine » ou d’une vie « agréable, […] voulue ou supportable » – n’auraient pas un caractère sacré (Robinson, 1913). Ces débats ne portent pas tant sur les fondements ou la signification de la sacralité, que sur les attributs qui rendent la vie sacrée.

Pourquoi la vie est-elle sacrée ?

La sacralité de la vie semble affirmer, dans sa version positive, que la vie humaine a une valeur spéciale (et qu’elle doit être protégée ou respectée) et, dans sa version négative, qu’elle ne peut être prise sans justification adéquate (Frankena, 1982). Mais la question la plus complexe est probablement de déterminer pourquoi la vie humaine a une valeur spéciale. Pour certains, en effet, la vie du corps n’est sacrée que si elle est la condition d’ autres biens dotés d’une valeur morale : le fait d’être conscient, heureux, d’avoir une vie relationnelle, voire d’être croyant, etc. (Frankena, 1982). « Être en vie » serait ainsi diffèrent d’ « avoir une vie » (Rachels, 1983).
La sacralité de la vie a donc le mérite d’affirmer la protection de la vie humaine individuelle, mais elle ouvre immanquablement la question de sa valeur ; c’est peut-être là son principal apport au débat contemporain sur l’aide active à mourir. À cette question, cependant, on ne saurait donner de réponse générale. On pourrait penser que, dans certaines conditions et selon certaines définitions, l’aide active à mourir respecte tout à fait la sacralité de la vie, notamment lorsque ceux qui demandent l’aide médicale à mourir n’arrivent plus à attribuer un sens à leur vie ou considèrent que la vie du corps, plus que la mort, empêche la réalisation d’autres biens.
 

Références

Anonyme. (1874). Capital Punishment in Illinois. Chicago Daily Tribune, 28 mars, p. 6. http://archives.chicagotribune.com/1874/03/28/page/6/article/capital-punishment-in-illinois
Ariès, P. (1975). Essais sur l’histoire de la mort en occident du moyen âge à nos jours. Paris : Le Seuil.
Bacon, F. (1852). De la dignité et de l’accroissement des sciences (F.-M. Riaux, trad.; Vol. 1). Paris : Charpentier.
Edelstein, L. (2000). The Hippocratic Oath: Text, Translation, and Interpretation. In R. M. Veatch (éd.), Cross-cultural Perspectives in Medical Ethics (p. 321). Sudbury : Jones & Bartlett Publishers.
Frankena, W. K. (1982). The Ethics of Respect for Life. In J. Howie (éd.), Ethical Principles for Social Policy (2ᵉ éd., p. 135). Carbondale – Edwardsville : Southern Illinois University Press.
Lecky, W. E. H. (1921). History of European Morals from Augustus to Charlemagne (3ᵉ éd., Vol. 2). New York : Appleton & Company.
Rachels, J. (1983). The sanctity of Life (J. M. Humber & R. F. Almeder, Éds.; p. 2942). Clifton : Humana Press.
Robinson, V. (1913). A Symposium on Euthanasia. The Medical Review of Reviews, 19, 143155. http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015076621856;view=1up;seq=155
Taylor, J. (1649). The Great Exemple of Sanctity and Holy Life According to the Christian Institution: Described in the History of the Life and Death of the Ever Blessed Jesus Christ the Saviour of the World. Londres : R.N.
Williams, S. D. (1870). Euthanasia. In Essays by Members of the Birmingham Speculative Club  Londres : Williams & Norgate.  p. 210237.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie