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La relation équipe soignante-familles en fin de vie
"Accompagner les familles confrontées à la proximité de la mort d'un de ses membres nous renvoie à la notion de communication, à la problématique du temps et à l'épreuve de l'impuissance."
Par: Nicole Landry-Dattée, Médecin anesthésiste-réanimateur, à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif / Christine Théodore, Médecin oncologue, Institut Gustave Roussy, Villejuif / Danielle Velardo, Cadre infirmier, Institut Gustave Roussy, Villejuif. /
Publié le : 06 Août 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Si l'on se réfère aux théories systémiques, la famille est organisée comme un système où chacun de ses membres, tels les maillons d'une chaîne, occupe plus ou moins consciemment une place bien précise. Cependant, toute famille est unique et singulière. Aussi, s'intéresser à la relation des équipes soignantes avec les familles de malades nous conduit à penser du particulier au collectif.
Cet intérêt crée une relation triangulaire qui met la famille en position de tiers entre les soignants et le malade. Position parfois difficile à tenir pour les uns et pour les autres.
Ainsi, partant de notre expérience clinique, nous tenterons ici de poser des jalons à notre réflexion afin d'ajuster au mieux notre attitude aux situations particulières.
Accompagner les familles confrontées à la proximité de la mort d'un de ses membres nous renvoie à la notion de communication, à la problématique du temps et à l'épreuve de l'impuissance.
De l’information à la communication
Diagnostiquer une maladie à risque létal telle que le cancer est de l'ordre du séisme, non seulement pour celui qui est malade mais pour toute la famille. Nous tenons à souligner l'importance de l'annonce de cette " mauvaise nouvelle " qui relève d'un art qui ne s'improvise pas. En effet, la manière dont est communiquée l'information influence la qualité de la prise en charge du patient, sa compliance aux traitements, sa relation avec les soignants ainsi que celle de sa famille.
L'étude conduite par le Dr Chantal Rodary sur les processus de stress à l'hôpital révèle qu'une famille non informée et non préparée au décès d'un proche est l’un des facteurs de stress repérés chez les soignants.
Rappelons qu'une information adéquate atténue considérablement l'effet anxiogène d'une telle maladie et favorise le coping. Elle participe à l'instauration d'une relation de confiance entre les soignants, le malade et sa famille.
Cependant, faire face à un tel bouleversement nécessite pour le patient et ses proches la mise en place de mécanismes de défense qu'il est important de repérer et de respecter.
Mais qui informer ? Selon la loi Huriet du 20 décembre 1988, l'information revient en priorité au malade qui décide de la transmettre à qui il l’entend. Bien souvent pourtant, les familles demandent aux soignants de ne rien dire au malade de la vérité du diagnostic ou, à l'inverse, le patient ne veut pas que son entourage soit informé. Ceci est une première difficulté dans la relation famille-soignants qu’il convient de repérer pour s'y ajuster.
Il faut pour cela évaluer le mode de fonctionnement particulier de chaque famille ainsi que la culture et les valeurs qui le sous-tendent. Une telle attitude permet d'y répondre au mieux et ne peut que faciliter la relation. Ce temps d'attention n'est pas du temps perdu, il permet, bien au contraire, d'en gagner et d'économiser beaucoup d'énergie (ce qui est un investissement considérable pour chacun).
L'état des lieux
Que sait la famille de la maladie, de sa gravité, de son évolution, du stade où elle se situe ? Est-elle préparée à la proximité du décès ? Où en est-elle de la situation ?
Se poser ces questions et faire une estimation permet de rebondir en fonction de ce que sait la famille, de clarifier ce qui se passe et de l'orienter vers des personnes ressources qui pourront répondre à ses attentes. Or, nous constatons fréquemment l'existence d'un décalage entre l'information donnée et la situation réelle. Décalage bien souvent source du malentendu qui détériore et complique la relation.
On observe le même hiatus entre le moment où les soignants réalisent qu'il n'y a plus rien à faire et celui où le patient et sa famille (bien que celle-ci le pressente confusément) en prennent à leur tour conscience.
La douleur qu'entraîne une telle prise de conscience génère des mécanismes de défense qu'il est également important de repérer pour en tenir compte.
La sidération de la pensée
L'annonce du diagnostic, d’une rechute ou de l’entrée en phase terminale, provoque un état de sidération lié à un débordement d'angoisse et d'émotion qui envahit tout le psychisme : " le ciel nous est tombé sur la tête… ", " c'est comme un coup de marteau sur la tête… ", telles sont les métaphores souvent utilisées pour décrire ce choc émotionnel. Ce qui traduit leur incapacité à entendre et à penser autour de ce qui leur est annoncé. C'est pourquoi, bien souvent après coup, ils tiennent des propos parfois vécus par les soignants comme agressifs voire persécutant : " on ne nous a rien dit ", " on nous a laissé de l'espoir ", " on ne nous a pas dit que cela était si grave ", entendons-nous régulièrement.
Cela ne veut pas dire pour autant que rien ne leur a été dit mais qu'ils n'ont pas pu entendre. C'est ainsi qu'un collègue médecin nous rapportait récemment son étonnement face à un malade à qui il tentait de faire comprendre qu'il n'y avait plus de traitement curatif possible pour stopper la progression de la maladie et qui, en retour, lui parlait de son oreille bouchée et de son désir d'une consultation ORL. Comment ne pas comprendre ce message implicite de l'incapacité pour ce patient d'entendre cette mauvaise nouvelle ?
Déplacement de l'inquiétude et de l'angoisse qui illustre l'annonce d'une mauvaise nouvelle telle que l’a défini Nicole Alby (une des premières psychologues à travailler auprès d'enfants leucémiques) : " c'est ce qu'un médecin n'a pas envie de dire à un patient qui n'a pas envie d'entendre. "
La banalisation et le déni
Cela peut également conduire au déni de la gravité et à la banalisation de la situation : " J'ai un petit cancer ", " celui-là se guérit ", " c'est comme une grippe, comme un diabète ", nous disent-ils. Le hiatus qui existe entre l'information donnée et celle qui est reçue met à mal la relation famille-soignants. Il est parfois à l'origine d'un sentiment de méfiance, voire d'accusation : " on nous cache tout, on nous dit rien… "
Informer, comme éduquer, c'est répéter autant de fois qu'il est besoin ! Mais cela met le médecin dans une situation impossible dans la mesure où il est confronté à des questions qui se posent et se reposent sans cesse, questions auxquelles il se doit de répondre et qui l'amènent à redire la mauvaise nouvelle et se vivre chaque fois comme " porteur " de cette mauvaise nouvelle. Cette situation le confronte à un stress d’autant plus répétitif qu'il est harcelé de questions sur le pronostic et le temps qu'il reste à vivre. La tentation est alors grande de masquer la vérité pour éviter cette confrontation. Cependant, l'expérience montre que plus l'information est claire, plus " c'est facile " pour tout le monde.
De la durée à la notion de temps
Cette question de la durée renvoie à la notion du temps qui est à la fois objective dans sa réalité incontournable et universelle et subjective dans l'appréhension que chacun peut en avoir. Mais il est aussi important de tenir compte du temps qui sépare le diagnostic de la phase terminale.
Il existe parfois une collusion entre ces deux moments qui ne laisse pas le temps au temps de faire ce travail psychique qui va de l'annonce de la maladie à risque létal à la préparation au décès. Tout ce temps nécessaire à la métabolisation de l'information.
Pour d'autre, la longue maladie rend insoutenable une phase terminale qui dure trop longtemps. Dans les deux cas, cela est insupportable pour les familles et nécessite de repérer ce qu'elles ne peuvent plus supporter afin d'y remédier.
Le temps de la maladie donne souvent lieu, tant pour le malade que pour son entourage, à des questions existentielles, une tentative de donner sens à ce qui arrive, à l'introspection. Chacun se remet alors en question et cherche quel événement, attitude, auraient pu la déclencher. Ils cherchent la faute, comme si la maladie était vécue comme une punition. C'est aussi parfois l'occasion de règlements de compte intra-familiaux dont les soignants peuvent être témoins quand ils ne sont pas pris à témoin !
Quand la situation devient trop intolérable, les proches en viennent à souhaiter plus ou moins secrètement que cela se termine au plus vite sous prétexte que le malade serait délivré de ses souffrances. Mais qui serait délivré ? Pris dans un mouvement d'identification et de projection, il arrive que l'entourage impute sa propre souffrance au patient et souhaite qu'une mort rapide l'en délivre.
Cet état de fait conduit quelquefois au deuil anticipé. Désir de mort dans lequel les soignants peuvent être impliqués malgré eux et qui peut se traduire par une demande d'euthanasie de la part de la famille. Cette demande, si elle n'est pas identifiée avant, peut aussi être formulée par les soignants quand la situation devient trop difficile à vivre et qu'ils ne peuvent s’en décharger que par un passage à l'acte.
C'est pourquoi il est nécessaire de repérer les " clignotants de détresse " afin d'en prévenir les effets avant qu'ils ne soient inéluctables. Ainsi, lorsque l'on constate la difficulté des soignants à prendre en charge un patient, à entrer dans sa chambre, il est nécessaire de s'interroger sur cet insupportable.
Ces situations sont le plus souvent inhérentes au sentiment d'impuissance auquel les uns et les autres sont renvoyés. Mais elles peuvent susciter un sentiment de culpabilité qui peut s'exprimer par des réactions violentes de la part des malades ou des familles à l'égard des soignants et/ou vis versa.
De l’impuissance à la délégation du pouvoir
La famille se sent souvent démunie, impuissante face à l'inéluctable. Dans les groupes de soutien aux enfants dont un proche est atteint de cancer, mis en place à l'Institut Gustave Roussy et animés par Marie-France Delaigue Cosset, médecin anesthésiste, et Nicole Landry-Dattée, cette notion d'impuissance et de culpabilité est un thème récurrent. Les enfants et les parents qui les accompagnent expriment leur désarroi face aux changements physiques, psychologiques et leur impossibilité à arrêter le processus de la maladie qui s'achemine vers la perte, la séparation définitive. Même leur amour ne semble pas assez fort pour retenir l'autre. La dégradation physique les effraye et génère beaucoup d'angoisse suscitée par la menace d'abandon qui se lit sur le corps du malade.
De l’angoisse à la violence
Parfois l'angoisse des proches se décharge par une attitude agressive et violente à l'égard des soignants. Ce qui s'explique d'autant plus qu'ils mettent tous leurs espoirs en eux, leur conférant une toute puissance à laquelle ils ne peuvent répondre. Ils leur attribuent en quelque sorte une place de sorcier qui par ses formules magiques va guérir le malade. Ainsi, ils délèguent aux soignants leur désir de " pouvoir " sur l'autre tout en ayant le sentiment que ces derniers leur " volent " ce pouvoir et qu'ils ne peuvent que s'en remettre aux mains des spécialistes. Ils vivent cette délégation comme un " rapt ".
Il est parfois impossible pour les proches de reconnaître leur agressivité à l'égard du patient qui leur fait vivre des événements difficiles, bouleverse la vie de chacun et menace d'abandonner la famille. Cette agressivité reste alors inconsciente et fait l'objet d'une projection sur les soignants qui deviennent " mauvais " et " pas à la hauteur ".
Ici aussi, il est important pour eux de repérer ce mouvement défensif pour ne pas se sentir atteints personnellement. Il leur faut prendre une certaine distance pour ne pas se vivre comme effectivement mauvais et voir ébranlé leur idéal professionnel. Cette mise à distance permet également de préserver une relation adéquate avec la famille et le patient.
La souffrance de certaines familles est telle qu'elle se manifeste par un comportement de fuite. Elles évitent toute relation avec les soignants ou sont peu présentes à l'hôpital ce qui peut surprendre ou choquer l'équipe soignante susceptible alors de les juger sévèrement, voire d’interpréter hâtivement cette attitude comme de l'indifférence voire du rejet. Or de tels comportements doivent au contraire attirer toute l'attention et être reconnus comme les indicateurs d'une famille en grande difficulté.
De même, le refus des proches de reprendre le patient à la maison peut être compris comme un abandon alors qu'il est l'expression d'une insécurité et de la crainte de ne pouvoir faire face à tout événement grave pouvant survenir au domicile. Là encore cela relève du sentiment d'impuissance et de la peur d'une confrontation à la mort de l'autre.
À l'inverse, ce peut être une famille épuisée qui refuse l'hospitalisation du malade alors qu'elle pourrait être un relais et la soulager le temps qu'elle récupère.
Nous constatons également que certains malades et leur famille vivent le transfert en unité de soins palliatifs comme un abandon de la part des soignants et leur en font violemment le reproche.
Un des facteurs de stress identifié dans l'étude citée plus haut est la douleur non soulagée. Elle déstabilise l'équipe et la famille qui reproche aux soignants leur inefficacité et leur impuissance ce qui, en retour, peut générer des conflits d'équipe. La détresse psychologique aussi, parfois masquée, peut néanmoins être repérée par le malaise éprouvé par les soignants au contact du malade ou de sa famille.
Une équipe cohérente
Parfois l'inquiétude des familles est telle qu'elles cherchent à tout prix à obtenir des informations, surtout celle qu'elles voudraient entendre comme l'espoir d'une guérison possible. Elles vont alors interroger un par un les soignants, ce qui est aussi une manière de tester leur fiabilité. D'où l'importance d'une équipe cohérente pour rassurer les familles et atténuer leur angoisse.
Le malade comme sa famille oscille sans cesse entre l'espoir et le désespoir. Il y a là comme un mouvement de yo-yo auquel les soignants doivent sans cesse s'adapter, ce qui est d'autant plus éprouvant psychologiquement et consomme beaucoup d'énergie qu'ils doivent non seulement s'adapter aux fluctuations d'humeur d'un patient mais à celles des différents patients. Ainsi, d'une chambre à l'autre, ils passent d'un malade en début, en cours ou en phase terminale, de l'espoir au désespoir, ou encore de l'enthousiasme à la détresse d'un autre. Ces différents mouvements sont très éprouvants pour les soignants et demandent une grande souplesse psychique et une certaine disponibilité.
Prendre un malade en charge, c'est tenir compte de sa famille, évaluer son univers socio-culturel, son degré d'isolement, la qualité de son entourage. C'est aussi trouver les personnes référentes.
C'est inclure la famille dans la prise en charge, la placer dans une position de partenaire, d'allier thérapeutique qui permet d'estimer au mieux les besoins du malade qu'elle est seule à bien connaître. C'est aussi l’aider à ne pas se sentir dépossédée du patient, en situation d'impuissance, en lui redonnant une part active dans les moyens mis en œuvre par le patient pour faire face aux événements.
Pour les soignants, cela demande une grande attention, une capacité à analyser la situation, à repérer les us et coutumes de chacune des familles, leurs mécanismes de défense. À faire comprendre qu’ils n’agissent pas contre eux, mais sont nécessaires pour surmonter l'événement traumatique et laisser le temps au travail psychique en le favorisant.
Il faut respecter le besoin d'information des malades et de leurs familles comme le temps nécessaire à son assimilation. Reconnaître la nécessité de savoir et d'oublier que l'on sait. Communiquer avec des mots simples et se mettre à la portée de l'autre sans se retrancher derrière un discours incompréhensible.
Mais les soignants sont parfois en position de tampon, de tiers entre les malades, les familles et les différents intervenants. Aussi leur faut-il garder une certaine distance afin de ne pas se vivre comme inadéquats.
L'étude sur les situations de stress à l'hôpital révèle que ce n'est pas tant la mort des patients qui est difficile pour les soignants que la manière dont elle se passe. C'est pourquoi, faire en sorte que cela se passe le moins mal possible atténue leur stress et favorise la mise en place du travail de deuil des proches tout en en prévenant les effets pathologiques.
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