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La justesse d’un soin digne jusqu’au bout
"Comment alors adopter cette double fonction, cette qualification qui ferait de moi – comme ce serait le cas aujourd’hui dans les pays du Benelux qui ont dépénalisé l’euthanasie – un tueur potentiel de patients ? Moi qui suis leur soignante en qui ils doivent avoir toute confiance."
Par: Sylvie Froucht-Hirsch, Anesthésiste réanimateur, Fondation Ophtalmologique Rothschild, auteur de Le temps d’un cancer – Chroniques d’un médecin malade, Éditions érès /
Publié le : 04 Février 2015
Je vous endors…
30 octobre 2014, l’émission de télévision « Complément d’enquête » rapporte les propos d’un médecin belge pratiquant l’euthanasie : « Par voie intraveineuse, on injecte deux flacons. C’est très rapide, le patient meurt en 5 minutes… C’est le même effet qu’une anesthésie. […] »
— Bonjour, je me présente, docteur F-H. Je suis anesthésiste, c’est moi qui veille sur vous demain.
C’est ainsi que je me présente au futur opéré lors de la visite préopératoire qui a lieu la veille de l’intervention. J’ai retiré de mon vocabulaire la formule « je vous endors… ». Un patient anxieux m’a même répondu un jour : « Vous m’endormez, c’est bien ; mais surtout réveillez moi !… »
Comment alors adopter cette double fonction, cette qualification qui ferait de moi – comme ce serait le cas aujourd’hui dans les pays du Benelux qui ont dépénalisé l’euthanasie – un tueur potentiel de patients ? Moi qui suis leur soignante en qui ils doivent avoir toute confiance.
Le mot est violent, la pratique en vigueur elle aussi. La peine de mort a été abolie en France ; il serait possible que le législateur m’autorise demain à pratiquer l’acte de mort, en tant que médecin. Cela en toute impunité. S’agit-il pour certains professionnels de santé d’éprouver une jouissance, une puissance qui leur ferait défaut ? Médecin anesthésiste, j’exerce un métier avec une compétence qui permet de supprimer la douleur afin de favoriser l’exercice d’un geste chirurgical, endoscopique ou radiologique. Vais-je devoir acquérir une nouvelle compétence et élargir le champ de mes missions jusqu’à mettre un terme à la vie des patients qui s’en remettraient ainsi à nous ? Vais-je pouvoir endormir et ne pas réveiller, cela en toute sérénité, en parfaite harmonie avec la personne malade et ses proches, sans état d’âme ? Vais-je être reconnue dans une nouvelle spécialité : l’anesthésie, réanimation, désanimation ?
« Ici on ne réveille pas ! On tue ! »
— Bonjour, je suis anesthésiste, c’est moi demain qui vous endors, et je ne vous réveillerai pas… C’est bien ce que vous avez exigé sur votre directive anticipée ?
Digne de nos soins
Certaines rencontres quotidiennes permettent de bénéficier d’enseignements sensibles et profonds qui devraient inciter à une certaine humilité, à la prudence. À reconsidérer le sens et la portée des missions qui nous sont imparties au service de la personne malade tout particulièrement dans les circonstances si délicates où nos initiatives ont leurs limites.
Ce dimanche d’astreinte je rencontre monsieur G. Une tumeur vasculaire d’emblée métastasée aux poumons et aux muscles génère d’horribles douleurs. Son corps dénutri fait apparaître des os saillants, les mouvements dans le lit sont impossibles car les tumeurs cutanées sont mises alors en pression. Deux grammes de morphine par jour auxquels s’ajoutent d’autres substances perturbent de temps à autre sa perception de la réalité. Les médicaments anti-douleur, prescrits en quantité, apaisent cet homme qui m’accueille avec attention. Il va être opéré avec pour objectif de supprimer ses douleurs en interrompant l’influx douloureux qui n’est plus perçu par le cerveau. Il attend, lucide et confiant, l’opération qui supprimera ses douleurs.
J’entends déjà certains commentaires : « À quoi bon l’opérer, s’acharner sur lui ; il va mourir ! Pourquoi lui infliger encore des souffrances ! »
Parce que cette personne aspire à vivre sa vie jusqu’à son terme, et que c’est à la fois son choix et ce qu’elle nous demande. Parce qu’elle sait que notre mission vise à demeurer présent à ses côtés, à lui permettre de parvenir jusqu’à la mort, considérée comme une personne digne de nos soins, reconnue dans ses droits, dans une dignité pleinement reconnue.
Parce qu’aujourd’hui encore il est acquis que tuer l’autre qui souffre ne relève pas d’une compétence médicale, et que cette conception éthique de notre métier protège encore les plus vulnérables. Ceux que l’on déconsidère au point de leur faire comprendre que leur dernière liberté serait de revendiquer leur mort comme un dernier droit.
Je demeure convaincue que nos devoirs de médecin consistent à ne pas renoncer à nos responsabilités, à témoigner une présence et une sollicitude dans la justesse d’un soin digne jusqu’au bout.