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La COVID-19 : tremblement de terre invisible

"Si une majorité de professionnels déambulant dans mon quotidien avaient appliqué les mêmes règles, probablement ne me serais-je pas sentie si décontenancée. Les constats que je fais ces derniers jours manquent systématiquement de cohérence et cela contribue fortement à me plonger dans un épais brouillard."

Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /

Publié le : 11 Novembre 2020

Le glissement de la faille sanitaire sur la faille domicile pourrait bien se précipiter. Un tremblement de terre pourrait bien nous secouer, nous, habitants de lieux de vie soutenus par les professionnels de santé. Il est probable que les secousses ne soient ressenties nulle part ailleurs que dans ce monde à côté du monde où habitent dépendance, vulnérabilité et fragilité.

Cela fait quelques jours que je suis en alerte, à l’écoute des habitants que l’on nomme plus communément les « usagers » ou les « bénéficiaires » : « la directrice de mon foyer dit que le virus se rapproche, Noémie. La COVID est dans notre ville maintenant. J’ai peur et les autres, ils ne respectent pas les règles », me confie une jeune femme vivant en établissement.

Les signaux s’affolent, les lumières sont rouges à chaque coin du social, du médico-social, du domicile, mais je n’alerte pas ou très peu. Je suis sidérée. Je vois les fissures craqueler nos terres. Mon terrain se réduire. Les angoisses sont stridentes dans cet air ambiant assourdissant qui m’impactent fortement. Chacun d’entre nous doit continuer de travailler sans savoir véritablement ce qu’il convient de faire. Chaque service de soins et d’accompagnement doit baliser et sécuriser ces maisons et ces habitants. Réduire les risques. Evaluer les dangers. Mais aujourd’hui, j’ai le sentiment que ma liberté est en péril.

Les impacts de la COVID-19 que je tenais tellement à raconter avec le secret espoir que cela puisse aider à penser une réalité pour de nombreuses personnes viennent de marquer mon imaginaire, ma représentation du monde et mon inconscient libre.

Cette après-midi du 11 novembre 2020, j’ai appelé le service d’aide à domicile et brutalement les impacts invisibles de la COVID m’ont explosés en plein cœur. Une auxiliaire suréquipée est entrée chez moi. Sur-blouse blanche en plastique déstructurée, blouse, gants en plastique, masque chirurgical et visière. Brutalement, le monde sanitaire m’a rattrapé.

Je conscientisais pourtant bien les dangers du monde dans lequel nous vivions depuis dix mois, seulement, la représentation imposée de ma personne comme cas fragile, comme danger pour le soignant a été violente.

Si une majorité de professionnels déambulant dans mon quotidien avaient appliqué les mêmes règles, probablement ne me serais-je pas sentie si décontenancée. Les constats que je fais ces derniers jours manquent systématiquement de cohérence et cela contribue fortement à me plonger dans un épais brouillard. Les mesures appliquées aux seins de mêmes associations gestionnaires divergent d’une gouvernance à une autre. Je vois entrer une auxiliaire suréquipée du service d’accompagnement de mon habitat une fois dans la semaine alors que des dizaines d’auxiliaires du même service d’accompagnement à domicile interviennent uniquement masquées.

Evidemment je mesure l’importance de se protéger individuellement et, par-là, de nous protéger collectivement, mais je m’interroge quant à la force avec laquelle les règles sanitaire risquent d’impacter durablement nos vies.

C’est parce que j’ai de multiples univers où j’existe pour autre chose qu’une maladie dégénérative ou un besoin spécifique que j’existe pleinement par ailleurs. Le confinement me prive de tout échappatoire et les seuls résistants sont des professionnels inquiets, angoissés, déstabilisés par mon autonomie, ma grande dépendance et mon infini liberté. Ils me cantonnent à un statut de malade, de personne fragile. Rien de nouveau, si ce n’est qu’avant la COVID-19, une fois les soins effectués, je pouvais m’échapper dans un autre monde pour exister pleinement, pour devenir autre chose qu’un cas trop spécifique.

Désormais, mes proches se tiennent à distance et ma seule échappatoire est virtuelle. Alors, lorsque cette auxiliaire suréquipée s’est imposée chez moi c’était comme me rappeler que j’étais enfermée. C’était me rappeler le poids de l’institution, me rappeler ô combien je suis fragile et dépendante. Je suis autonome certes mais mon autonomie dépend d’un service appartenant à une association gestionnaire où la liberté trouve sa limite.

Je suis dépendante. C’est une vérité. Je suis fragile. C’est une vérité également. Et j’en ai pleinement conscience. Alors ne pourrait-on inverser cette représentation des plus faibles protégés par les plus forts ? Le monde pourrait-il accepter de partager le pouvoir et d’apporter un minimum de crédit aux personnes fragiles ?

Accompagner et soutenir l’autonomie n’empêche en rien la capacité de choisir des personnes qu’il est essentiel de favoriser.