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« Je n’ai pas osé m’opposer... »

"Lors de la seconde vague, il ne s’agissait plus alors de « rien pour tous » égalitariste, mais de droits à géométrie variable, un peu, beaucoup ou totalement pour certains. Sous la pression des témoignages, des cris de colère des proches, des douleurs insurmontables des autres, les directives descendantes ont évolué, introduisant quelques timides ouvertures à l’exercice raisonnable de quelques droits. Mais des droits toujours conditionnés à l’évaluation du médecin du service et sous la responsabilité du directeur de la structure."

Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /

Publié le : 18 Mars 2021

Il me semblait qu’en matière de situations critiques, arbitrages difficiles dans l’intérêt premier du patient, accompagnement de la vie qui s’achève pour les personnes malades et leurs proches, jusqu’à l’accueil en chambre mortuaire, la toilette, l’habillage et la présentation du corps, les rites religieux ou laïcs, l’accueil du dernier regard et de l’ultime adieu, tout avait été pensé, mûri, écrit et reconnu comme une référence universelle de notre appartenance à l’Humanité, et cela depuis un temps certain, puisant son origine dans le Code de Nuremberg.
Le premier constat que cette année en situation de « guerre » sanitaire nous contraint de faire semblerait que tout ce que nous avions pensé d’acquis, d’admis par tous et pour tous, s’est brutalement et totalement effondré. Nous n’avions pensé les droits des personnes malades que pour les temps de la paix, peut-être parce que nous avions cru aux progrès perpétuels de nos sociétés dites évoluées.
En quelques semaines du printemps 2020, les réalités humaines, sous les coups de butoir du tout sanitaire, se sont révélées celles du Moyen Age avec le huis clos de ses interdits et de ses peurs, ses régressions de plusieurs siècles, malgré des services de réanimation équipés de hautes technologies et compétences, ses évacuations en hélicoptère et TGV, sous l’œil omniprésent des caméras.
Le nouvel enseignement de la 2ème vague du Covid 19 à l’automne n’est plus ce côté aveugle, universel et totalitaire du déni printanier des droits des personnes vulnérables, malades, handicapées ou âgées, toutes victimes potentielles favorites de ce coronavirus, mais l’aspect totalement aléatoire et individuel du sort qui allait leur être réservé quant aux visites de leurs proches aimants. L’application, par les professionnels des hôpitaux et structures médico-sociales, des directives administratives descendues d’en haut, et en principe assouplies, ne dépendaient alors que des capacités de ces responsables à assumer leurs responsabilités éventuellement libératrices. Il ne s’agissait plus alors de « rien pour tous » égalitariste, mais de droits à géométrie variable, un peu, beaucoup ou totalement pour certains. Sous la pression des témoignages, des cris de colère des proches, des douleurs insurmontables des autres, les directives descendantes ont évolué, introduisant quelques timides ouvertures à l’exercice raisonnable de quelques droits. Mais des droits toujours conditionnés à l’évaluation du médecin du service et sous la responsabilité du directeur de la structure.
Tout était dit dans cette nouvelle conception des droits des malades en temps de crise sanitaire dans ces mots « responsabilité individuelle du directeur et du médecin ».
Dès lors tout devenait possible… ou totalement interdit !
Comment peut-on alors redonner aux professionnels de santé le sens du juste droit à déroger de directives générales, de s’affranchir de recommandations globalisantes, de réapprendre à regarder chaque personne qui leur est confiée comme un être unique qu’il convient de regarder comme tel ?

Pratiques professionnelles inappropriées, violences et maltraitances : de quoi parle-t-on ?

La définition la plus concise de la violence reste peut-être celle d’un spécialiste de l’enfance et de ses institutions, Stanislas Tomkiewicz : « j’appelle violence institutionnelle toute action, violences actives, ou toute absence d’action, violences passives, qui cause à l’enfant des souffrances inutiles ».
L’inconvénient du mot maltraitance est qu’il inclut des faits différents sous la même étiquette : abus de pouvoir, de faiblesse, délits et violences volontaires psychiques et physiques, pratiques professionnelles inappropriées et organisations inadaptées.
Pour le professeur Robert Moulias, Président de la Fédération 3977, le terme maltraitance expose toujours au risque de blesser les professionnels désignés comme auteurs du mal. Dépasser ce qui est « mal » ou « bien » apparaît indispensable pour entraîner l’adhésion au changement des pratiques et organisations inadaptées. Il s’agit alors de réformer non ce qui est « mal », mais ce qui ne répond pas aux besoins. Et d’évidence, c’est bien ce qui s’est passé au cours de cette crise sanitaire. Il nous faut donc de toute urgence, face à une crise dont il est difficile d’envisager la fin rapide, reconnaître ce qui a été inapproprié, réfléchir aux améliorations conduisant à des pratiques et des organisations mieux adaptées à ces nouveaux défis de pandémies qui peuvent se représenter. Penser les situations en termes de bien et mal réduit le champ d’action à la seule sanction ou à une autosatisfaction aveugle encore plus dangereuse. Le soin perd tout sens quand il ne consiste plus qu’à répondre à une série de règlements et protocoles qui effacent la personne elle-même.
 

La loi ne peut supprimer les dilemmes moraux

Les pratiques inadaptées concernent tous les métiers ayant une dimension relationnelle asymétrique entre une personne ou une organisation détenant un pouvoir sur autrui sans aucun contre-pouvoir. Et c’est bien aussi ce que nous avons vécu pendant un an. La démocratie en santé s’est tout autant effondrée que le respect individuel des droits des patients et des proches. Que ce soit la Conférence Nationale de Santé – CNS - ou les Conférences Régionales de Santé et d’Autonomie – CRSA – tous les contre-pouvoirs patiemment mis en œuvre depuis plus de 10 ans en matière de santé, se sont retrouvés exclus de tout débat face aux pouvoirs administratifs centraux. C’est tout juste si ces organisations de la démocratie en santé ont pu avoir accès, après quelques demandes insistantes, à des données chiffrées un peu plus fines et précises que celles fournies chaque soir à la télévision. Mais débats et propositions, n’étaient plus jamais d’actualité.
Si des textes réglementaires, au nom de l’éthique, prônent de bonnes pratiques, d’autres mesures réglementaires en entravaient l’application réelle au bénéfice de chacun. Selon le Pr Robert Moulias encore, ces injonctions contradictoires ont été déjà identifiées dans les années 1960. C’est dire que cette crise n’a rien inventé, mais seulement accentué dramatiquement certains aspects des violences institutionnelles. La conscience de l’impuissance vécue par les familles et les professionnels de santé peut conduire à l’anxiété, à la détresse, au désespoir. Ce mal-être dans les organisations, produit isolement, démotivation, absentéisme, dépression. Patients ou résidents et leurs familles ont été les premières victimes, de cette violence organisationnelle depuis un an, puis ce furent les soignants et les médecins, voire les directeurs aujourd’hui.
Que la Loi permette ou interdise une action, elle ne peut supprimer les dilemmes moraux du professionnel conscient de l’action à mener envers une personne qui dépend de lui. La réponse ne sera jamais trouvée dans les normes, recommandations et protocoles, ni dans une rigidité dogmatique, ni dans la facilité du n’importe quoi, ni dans la colère, la judiciarisation et les anathèmes des familles en grandes souffrances.
J’entends encore, 6 ans plus tard, la voix posée d’un chef de service de soins palliatifs auquel j’avouais combien mon mari mourant m’exprimait encore ses regrets de n’avoir pu dire adieu à ses chiens avant de partir avec le SAMU à l’hôpital : « Ne vous inquiétez pas, dès qu’il sera dans mon service, je vais m’organiser pour qu’il puisse le faire ».
C’était un professionnel « debout », au regard bienveillant et respectueux...qui osait déroger.