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Isolement des personnes très âgées et demandes à mourir : Comment un visage ami peut tout changer

La qualité de la présence suffit : s’asseoir et être là, par le regard doux, le toucher respectueux, la parole et le sourire sincères, le silence habité parfois.

Par: Sylvie Debouverie, Responsable de l’équipe bénévole d’accompagnement de personnes gravement malades ou en fin de vie à Paris, association les Petits Frères des Pauvres. Bénévole d’accompagnement depuis 12 ans /

Publié le : 07 Juillet 2023

Lorsque l’on évoque le « droit » de mourir, émerge toujours l’image de personnes sûres d’elles, capables d’endosser la responsabilité d’abréger leurs jours, de former un choix rationnel. Ce regard plein d’assurance, celui des bien-portants, est loin des réalités que j’observe depuis plus d’une décennie d’accompagnement de personnes très âgées en situation de grande vulnérabilité. Plus complexes, plus subtiles, ces situations, entrelacs d’extrême fragilité, de rudesse, de joie et de désespérance mêlées, enseignent la nuance. Bien-sûr, certains me disent vouloir mourir. Jamais ne m’est demandé de l’aide ni même mon opinion. Comme des « bouffées de vouloir en finir » ou une introspection à voix haute, elles s’évaporent parfois dès qu’un visage ami entre dans la pièce. Car rappelons-nous le contexte dans lequel ces mots sont prononcés : celui d’une grande vulnérabilité directement nourrie par une solitude à la fois extrême, profonde, durable et socialement acceptée. Tout le monde acquiesce au fait que nous sommes des êtres de lien et d’attachement. Dans la rue, il est courant de parler spontanément à un petit enfant. En revanche, lorsque vous devenez vieux et dépendant, il devient socialement admis de vous savoir absolument esseulé. La plupart des personnes que je rencontre en EHPAD, en USLD ou en hôpital gériatrique n’ont aucune sorte de relations hormis le lien avec les soignants. Celui-ci peut, certes, souvent être empreint de compassion mais il reste toujours professionnel. Or, les humains à la fin de leur vie sont profondément perméables au regard que l’on porte sur eux. Ils intériorisent facilement des discours dévalorisants : celui de la vieillesse comme naufrage, celui du poids économique. Quel est alors le sens de cette vie surtout si elle se prolonge encore de nombreuses années ? Pourtant, toutes ces personnes ont une histoire faite de rebondissements, de joies, de chagrins. Elles ont œuvré dans la société. 

Aujourd’hui, le vide le plus cruel les conduit à se sentir dévalorisé au sens premier, c’est-à-dire sans aucune valeur. Cela me révolte. A ce moment de l’existence, chacun a besoin de relire sa vie, de se réconcilier pour s’apaiser, de laisser une trace de son passage. Comment faire cela seul ? Un dialogue intérieur ne suffit pas. Mes années de bénévolat m’ont convaincue qu’il y a trois grandes illusions à éviter dans ces contextes de grande vulnérabilité. La première est l’intention d’« aider », de « faire », car cela conduit à l’impuissance et au découragement. La qualité de la présence suffit : s’asseoir et être là, par le regard doux, le toucher respectueux, la parole et le sourire sincères, le silence habité parfois. La seconde est de croire que la solitude est inévitable. J’ai acquis la certitude qu’il est toujours possible de se relier à l’autre parce que, jusqu’à la fin de la vie, le centre émotionnel du cerveau conserve toute son activité. La capacité relationnelle perdure même si beaucoup de facultés cognitives sont atteintes. Il « suffit » de rejoindre la personne là où elle est, quelle que soit la nature de sa vulnérabilité. Je pense à ce monsieur à un stade avancé de la maladie de parkinson qui ne s’exprime plus, si douloureux que le toucher est exclus, mais avec qui nous sommes en lien par la musique. Ou ce monsieur recroquevillé dont on m’a dit « vous n’en tirerez rien » et auprès de qui je me suis agenouillée pour saisir son regard et me présenter. Il me tient aujourd’hui un discours passionnant sur son ancien métier. Enfin, le dernier danger, je crois, est de regarder la personne âgée à un moment T, dans son fauteuil, figée dans sa dépendance et de seulement s’en attrister. Tout change et s’adoucit quand on s’attache à la globalité de sa vie. Son passé qu’elle peut convoquer et auquel elle se relie comme une source d’énergie. Sa vie actuelle qui peut être aussi mouvement et capacité de lien. En somme, porter un regard empli de sincère considération qui « ravive les braises du vivant ».

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie