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Identité et remaniements

Texte paru dans le cadre l'Université d'été Éthique, Alzheimer et maladies neurodégénératives 2014 du 6 au 9 octobre à Montpellier

Par: Pascal Antoine, Professeur de psychopathologie, laboratoire URECA EA 1059, Labex DISTALZ, université Lille 3 /

Publié le : 27 Octobre 2014

Le terme « dégénératif » correspond au processus qui touche la cellule et nous ne sommes pas obligés de faire l’amalgame entre la cellule et l’individu — même si cette confusion existe dans des représentations profanes largement alimentées par les angoisses vis-à-vis de la maladie. L’abandon du terme « dégénératif », ce qui pourrait être une exception française en décalage avec le vocabulaire international, devra être justifié. Soit parce qu’il faut lutter contre des représentations aux conséquences socialement délétères, soit parce que le terme n’est pas approprié, c’est-à-dire qu’une dégénérescence des neurones ne participerait pas à l’une ou l’autre des pathologies concernées. Par ailleurs, « évolutif » ne dit pas tout et prête à confusion. La plupart, sinon toutes les affections, sont évolutives ; le diabète est évolutif par exemple. Il faudrait au minimum parler de « neuro-évolutif » pour éviter une première confusion. La plupart, sinon toutes les affections neuro-évolutives dont nous parlons ici sont basées sur une dégénérescence des neurones et une involution des capacités cognitives et/ou instrumentale et/ou sensori-motrices, etc. Suggérer l’usage d’un terme plus neutre comme « évolutif » ne revient-il pas à maquiller les faits, dissimuler ce qui dérange et introduire une confusion, peut-être même un mensonge par omission ? Ceci questionne même si l’objectif a priori est louable : apaiser l’angoisse de la personne touchée (et sans doute la nôtre) quand il s’agit d’échanger avec elle. Peut-être est-ce aussi une volonté farouche de contrer le désespoir, de consolider une humanité qu’on pressent vulnérable ou d’adopter une attitude insufflant l’espoir. Un mouvement proche est perceptible quand, face aux déficits croissants et inéluctables constituant le tableau clinique, on rappelle qu’il faut mettre l’accent sur les ressources préservées, comme détournant son regard du verre à moitié vide pour regarder celui à moitié plein, en négligeant de regarder le verre tel qu’il est simplement.
 
Une seconde réflexion s’engage sur l’identité et les remaniements associés à la survenue de la maladie. L’identité est susceptible d’être bouleversée par toute maladie, neuro-dégénérative ou non. Il n’est pas rare d’entendre des personnes se présenter via une étiquette liée à leur situation de santé : je suis « diabétique », « alcoolique », etc. Ceci peut tout à la fois refléter une forme de stigmatisation, paradoxalement renforcée par celui qui est censé en être victime, mais aussi favoriser la mobilisation de la part de l’environnement d’aides destinées à « l’être malade ». Plus largement, on dispose de modèles des réactions psychologiques (déni, colère, marchandage, acceptation, etc.) face à la maladie. Ces modèles ont une utilité forte pour sensibiliser les élèves-soignants à la diversité des manifestations émotionnelles du patient et pour les rassurer quant à la nature transitoire de ces réactions. Ils ont toutefois le défaut de figer les choses, d’enfermer les réactions dans des étiquettes et dans un itinéraire émotionnel créant l’impression que ces réactions seraient familières ou prévisibles et donnant donc une illusion de maîtrise. Ce type de modèle peut empêcher de réfléchir, brider la créativité et la souplesse dans la relation thérapeutique, voire même tuer l’écoute. Il faudrait donc les éprouver et peut-être les amender, notamment dans la clinique des maladies neuro-dégénératives. De plus, si on souligne l’aspect dégénératif ou évolutif, il faut tenir compte non pas d’un seul mais d’une cascade de bouleversements. Force est de constater dans l’ensemble des maladies chroniques que l’instauration de tout changement (un traitement plus efficace par exemple) est susceptible de fragiliser l’individu et son rapport à la maladie. Ainsi les modèles de deuil, déni, acceptation, résignation, etc., sont à réinventer à l’échelle temporelle de chaque maladie et, pour ce qui nous concerne, en questionnant la spécificité du « dégénératif ».
Dernier point quand on questionne l’identité et ses bouleversements, il faut tenir compte de notre contexte où le support organique des processus sous-tendant l’identité est celui qui précisément est mis à mal. On aborde donc l’identité d’une personne qui peut craindre de perdre son identité. On aborde aussi des remaniements alors que les processus de remaniement peuvent être altérés. Le défi est d’envergure.