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Greffe de moelle allogénique : La dimension du témoignage

Spontanément, ce sont les mots violence et espoir qui viennent à l'esprit pour qualifier la greffe de moelle allogénique. Violence de la maladie qui fait prendre la décision de greffe, puisque, souvent, le décès est inéluctable en l'absence de greffe. Violence du traitement puisque, statistiquement, une fois sur deux ou sur trois il conduit au décès, et que ce décès est alors le plus souvent du à la greffe elle-même et non à un retour de la maladie initiale. Espoir cependant, car pour les survivants, la guérison est considérée comme acquise.

Par: Dominique Davous, Groupe de recherche « Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie », Espace éthique /IDF, Université Paris Sud-11; association centpoursanglavie, association Apprivoiser l’Absence / Michel Duval, Service d’hémato-oncologie, hôpital Sainte-Justine, Montréal /

Publié le : 16 Juillet 2003

Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

Spontanément, ce sont les mots violence et espoir qui viennent à l'esprit pour qualifier la greffe de moelle allogénique. Violence de la maladie qui fait prendre la décision de greffe, puisque, souvent, le décès est inéluctable en l'absence de greffe. Violence du traitement puisque, statistiquement, une fois sur deux ou sur trois il conduit au décès, et que ce décès est alors le plus souvent du à la greffe elle-même et non à un retour de la maladie initiale. Espoir cependant, car pour les survivants, la guérison est considérée comme acquise.

 

Entre violence et espoir

Cette situation extrême de la médecine pédiatrique nous parait suffisamment fréquente (en France 234 greffes de moelle allogénique de l'enfant en 2000, 28 au Québec) pour nécessiter une réflexion spécifique. Cette situation extrême peut par ailleurs être pensée comme un modèle pour d'autres situations de soins.
Les acteurs de cette violence et de cet espoir sont entraînés dans une histoire qui les marquera profondément : l'enfant qui reçoit la greffe, les médecins qui la proposent, les parents qui l'acceptent, le donneur qui offre sa moelle, les frères et sœurs qui sont impliqués dans l’événement, l’équipe infirmière, psychologique et sociale qui soutient au quotidien l'enfant et sa famille.

Cette violence dont l'enfant est l'épicentre génère frustrations, tensions et conflits. La plupart de ces tensions se règlent au cas par cas par la discussion. Ces solutions sont souvent temporaires, impliquant de part et d’autre efforts et compromis. Chacun ensuite réaménage de son coté sa vie et ses convictions. Les soignants, eux, réaménagent de plus leurs pratiques, pour tenter de " faire mieux la prochaine fois ". Les familles gardent souvent une blessure que le dialogue permettrait peut-être de dépasser et des questions qui viennent a posteriori et restent sans réponse. Sans la volonté de se parler, leur expérience est souvent inaccessible pour les soignants. Il est rare que tous les acteurs aient capacité et désir de se retrouver pour penser (panser ?) ensemble.

 

Se reconstruire après la greffe

Proposer et organiser le dialogue était indispensable. Ce souci a guidé le comité d'organisation du colloque qui s’est tenu à l’hôpital européen Georges-Pompidou le 15 juin 2001 : Aspects et enjeux éthiques de l'allogreffe de moelle en pédiatrie.

L'éthique, pour nous, c’est nommer et délimiter cette violence, préciser le rôle de chacun, se voulant acteur et non victime ; c’est aussi, par l’échange, tenter d'améliorer les pratiques et d’aider à se reconstruire après la greffe pour ne pas ajouter à la violence inévitable une violence qui peut être évitée. Cela supposait de la part de tous la capacité de se laisser questionner et remettre en cause par l'autre, au risque de se sentir déstabilisé, de réactiver le passé et les souvenirs douloureux.
La complexité des enjeux et l'intensité des investissements ne permettaient pas de se limiter à une journée d'échange. Aussi cette journée a-t-elle été précédée du travail préparatoire coordonné de plusieurs groupes. Les groupes "médecins", "parents", "infirmières" se sont rencontrés à plusieurs reprises pendant une année.

Le travail des groupes "familles" et "psychologues et psychiatres" a pris la forme d’enquêtes auprès des professionnels concernés et d’entretiens avec cinq familles volontaires.

Les institutions compétentes : France greffe de moelle et l’Établissement français des greffes ont été sollicitées. Des experts du monde médical français et canadien ont été conviés, le regard du sociologue, du philosophe a été sollicité. Les familles, le milieu associatif impliqué dans la greffe de moelle osseuse ont été invités. La multiplicité des points de vue était indispensable.

La réalisation concrète de cette journée et sa publication n’auraient pas été possibles sans le partenariat de la Fondation de France, d’Amgen, de la GMF, et de l'Établissement français des greffes. Le désir de rendre l’hôpital plus humain, la volonté de solliciter les différents acteurs à l’hôpital : équipes soignantes, malades et leurs proches, pour qu’ils amorcent ou approfondissent le dialogue, animent de façon permanente et enthousiaste l’équipe de l’Espace éthique. Nous sommes reconnaissants à tous ceux qui par leur engagement dans cette journée ont permis de lui donner la dimension du témoignage : l’expérience n’est transmise qu’à la condition qu’elle soit partagée par un auditoire auquel elle communique une sagesse pratique. Le témoignage participe du sens dont il est en quête. Comme l’expérience dont il est issu, il est en attente de sens et il l’est encore bien davantage, il est porteur de sens puisqu’il peut faire naître en celui qui l’entend la question : " Que vais-je en faire ? " Nous remercions tout particulièrement, les enfants et les adolescents greffés, les frères et les sœurs, les parents ainsi que les associations Choisir l’espoir Ile-de-France, Capucine, Source vive, Egmos et Sparadrap.

Les articles présentés dans cette Lettre de l’Espace éthique sont tirés des Actes du colloque que l'on peut consulter sur le site www.espace-ethique.org ou se procurer sans frais auprès de l'Espace éthique courant 2002. Plutôt que de tenter un résumé impossible des interventions ou d'essayer d'en donner une vision représentative, nous avons préféré nous limiter à certains aspects de la réflexion et d'en conserver la richesse. Un souci constant des participants de cette journée a été de dégager des pistes de réflexion et d'action pour le futur.