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Formation et conseil en soins palliatifs
"La pratique des soins palliatifs est doublement concernée par la formation, l'éducation et le conseil. D'une part dans la mise en œuvre des soins, vis-à-vis des patients et de leur entourage ; d'autre part à l'égard des soignants et des institutions de soin qui ont besoin de soutien et de conseil pour agir, évoluer et supporter les souffrances qui leur sont adressées."
Par: Alain Bercovitz, Psychosociologue conseil, Association François-Xavier Bagnoud /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°9-10-11, "Fins de vie et pratiques soignantes". Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Des conseils pour agir
Les situations de maladie grave, de fin de vie, de deuil interrogent de façon impérieuse tous ceux qui y sont confrontés (malades, entourage, soignants, bénévoles, etc) sur leurs savoirs, leurs croyances, leurs systèmes de valeurs, leurs manières d'être avec autrui. Ils ont besoin, plus encore que d'habitude, de se donner des repères solides, c'est-à-dire des références qui leur servent à la fois à régler leurs conduites et à se protéger contre l'angoisse qu'ils éprouvent et les agressions qu'ils subissent.
Toutes sortes d'activités à visée réflexive ou éducatives (formations, groupes de paroles, méthode Balint, groupes d'échange ou d'analyse de l'expérience) sont mises en place pour tenter de répondre à ce besoin. Elles sont conçues comme des occasions d'enrichir les connaissances, d'améliorer les pratiques, de préciser les positions éthiques, d'apaiser les charges émotionnelles, de contenir l'angoisse ou/et de se situer dans les institutions. Or, la mise en œuvre des soins palliatifs comporte toujours une importante dimension éducative : accompagnement d'une évolution singulière, écoute compréhensive des enjeux, des émotions et des peurs du patient et de son entourage, soutien psychologique, aide à la réflexion, transmission de connaissances ou de techniques, etc. Il s'agit de faire en sorte que la “prise en charge” ne soit pas abusive tout en offrant l'aide spécifique dont les autres ont réellement besoin.
Dans le cas des Unités mobiles, la fonction de conseil est évidente et les préoccupations pédagogiques sont constantes. D'ailleurs tous les soignants sont régulièrement placés en position d'écoute, de diagnostic, de conseil, d'information. Ils donnent des consultations, ils transmettent du savoir et des normes de comportement ; ils sont consultants et formateurs.
Ils ont eux-mêmes besoin de formation et de conseils, de verbaliser leurs expériences, d'échanger avec des confrères.
La pratique des soins palliatifs est donc, à l'évidence, doublement concernée par la formation, l'éducation et le conseil. D'une part dans la mise en œuvre des soins, vis-à-vis des patients et de leur entourage ; d'autre part à l'égard des soignants et des institutions de soin qui ont besoin de soutien et de conseil pour agir, évoluer et supporter les souffrances qui leur sont adressées.
Mettre en œuvre les ressources de sa personnalité
C'est sur cette base que l'Association François-Xavier Bagnoud propose, parallèlement aux soins directs, des actions de conseil, d'accompagnement ou de perfectionnement, aussi bien pour les familles que pour les équipes soignantes. Les réflexions qui suivent indiquent l'esprit et la manière dont ces actions sont organisées et conduites ; en quelque sorte les repères pédagogiques que se donne l'Association.
Il importe d'avoir toujours présent à l'esprit que tous ceux qui apprennent (qui se forment), qui demandent de l'aide ou un conseil, ont déjà une expérience, une histoire, des représentations du monde, des présupposés sur le savoir à acquérir et une image d'eux-mêmes (toujours complexe, avec des aspects positifs et négatifs). Tout apport nouveau, tout effort de transmission ou de transformation, comme d'ailleurs toute nouvelle expérience seront reçus comme des compléments, des ajouts, des enrichissements de ces systèmes de représentations. Si les nouveautés paraissent par trop contradictoires ou inquiétantes, elles seront rejetées, occultées ou déformées : rendues cohérentes avec les représentations existantes. Souvent, elles sont simplement juxtaposées : des représentations rationnellement incompatibles coexistent dans l'esprit de bon nombre d'entre nous sans que cela nous fasse souffrir. En quelque sorte des mécanismes de défense sont mis en place contre des idées perçues comme nocives, dangereuses ou inquiétantes parce que perturbatrice d'un état d'équilibre. Notons que les partisans ou les propagateurs de ces idées, qu'ils considèrent comme bonnes, parlent de résistance au changement de la part de ceux qui les refusent.
Tout apprentissage réussi est donc un remaniement, plus ou moins important, de structures cognitives et affectives déjà formées. Or l'expérience accumulée façonne les attentes, elle fonctionne comme un filtre qui sélectionne ou déforme la nouveauté pour l'intégrer à ce qui est déjà là. Les apports ou expériences nouvelles sont ainsi raccordés à l'expérience antérieure pour tenter de former un tout cohérent. En situation de formation ou de conseil, il importe de comprendre l'origine et les caractéristiques des incompréhensions, des résistances ou des rationalisations, des refus ou des évitements, et d'en permettre l'expression pour en accompagner l'évolution.
En ce qui concerne la maladie, les soins, la médecine, la vieillesse, la mort, la souffrance, il est clair que les représentations, voire les fantasmes sont fortement chargés d'affects et d'inquiétude, parfois d'angoisse. Les mécanismes de défense peuvent être très puissants. N'oublions pas qu'ils sont indispensables à la vie, mais qu'ils peuvent devenir oppressants, sources de mal être ou de dysfonctionnements. Il ne s'agit donc ni de les brutaliser, ni de les ignorer, mais d'en favoriser la reconnaissance pour contribuer à les assouplir, à les rendre moins pesants. Il s'agit de permettre à chacun d'utiliser la situation de formation comme un moyen d'accroître ses compétences et de mettre en œuvre le plus librement possible toutes les ressources de sa personnalité.
Des approches multiples
Nous apprenons en conceptualisant nos expériences, en formant des théories explicatives de ce que nous avons perçu ou vécu, et en expérimentant, en tentant de mettre en pratique ce que nous avons compris de ce qui nous a été enseigné, montré ou transmis. Nous apprenons aussi (surtout ?) en imitant les autres : leurs gestes, leurs paroles, leurs comportements ou en cherchant à nous différencier, ce qui revient au même. On remarquera que, dans tous les cas, le passage par l'action est essentiel. Il impose la mise en œuvre de compétences en train de s'élaborer, provoque des questionnements inattendus et confirme la capacité à agir sur le réel. Il développe la confiance en soi.
D'ailleurs, toutes les études sur l'apprentissage le montrent : les acquisitions sont d'autant plus nombreuses et durables qu'elles ont eu lieu au plus près d'une pratique en grandeur réelle. L'alternance et les formations-actions sont des situations particulièrement favorables.
Viennent ensuite les méthodes de simulation telles que le jeu de rôle, les entraînements en salle et les exercices, et celles qui supposent une implication personnelle avec retour sur l'expérience : études de cas, groupes d'analyse des pratiques. La lecture, et plus encore, l'exposé didactique sont connus pour être ce qui laisse le moins de traces.
Ceci est évidemment à relativiser, car chacun a son style d'apprentissage, ses habitudes et ses préférences. La motivation et l'implication affective restent déterminantes. Il importe en conséquence de varier les situations pédagogiques.
De plus, les individus ne sont pas isolés. Chacun appartient à des groupes, des organisations, des structures. Les statuts, les rôles, les places occupées - et les attentes de rôle de la part de l'entourage - déterminent considérablement les attitudes et les comportements. Le “jeu des acteurs” (en quête de pouvoir) détourne les projets les mieux construits.
Les changements individuels consécutifs à des formations en salle sont souvent limités, la mise en œuvre des nouveaux acquis étant mal acceptée par l'environnement ; tandis que des modifications de structure, des réorganisations, des changements dans la distribution des statuts et des rôles peuvent entraîner des transformations individuelles remarquables et une efficacité collective accrue.
Il est toujours intéressant de pouvoir travailler sur un ou plusieurs de ces plans, de combiner les formations individuelles, les travaux de groupe, l'analyse du fonctionnement de l'organisation et la mise en place de projets concernant l'ensemble ou un sous-ensemble significatif de l'entreprise, de l'association ou de l'établissement concerné.
Une aide respectueuse
Dans le cas des formations aux soins palliatifs, au-delà des connaissances et des savoir-faire proposés aux participants, la façon dont est organisée leur formation, les méthodes et attitudes pédagogiques sont reçues comme des exemples, voire des modèles de comportement, des manières de s'occuper d'autrui, d'en prendre soin. Car il existe des traits communs au désir de soigner et à l'intention de contribuer à la formation des autres. Il s'agit, dans les deux cas, d'aider des personnes ou des groupes à mieux utiliser leurs ressources naturelles en s'appuyant sur ce qu'on leur apporte pour mieux assumer et parfois dépasser les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Il importe aussi de distinguer ce qui peut être transmis de ce qui doit être construit, élaboré, par celui qui se forme ou qui vit une expérience douloureuse. Les techniques, les connaissances ne doivent sûrement pas - par exemple sous prétexte de pédagogie centrée sur l'apprenant - être réinventées par chacun, mais mises à sa disposition et rendues accessibles de sorte qu'il puisse se les approprier. En revanche, il est des domaines dont la connaissance passe d'abord par l'expérience, enrichie, dans les bons cas, par la confrontation à la parole des autres sur leur propre expérience. Ainsi des apprentissages essentiels comme celui de l'amour, de la mort, de la souffrance sont proprement subjectifs et ne peuvent pas simplement être enseignés. C'est probablement à propos de préoccupations de ce type que la notion d'accompagnement des apprentissages, de la croissance et d'une maturation présente le plus d'intérêt.
Toute injonction, toute prescription impérieuse - dire ce qu'il convient de savoir, de penser, de faire, de sentir, voire d'être - doit prendre en compte la dépendance qu'elle peut produire ou la révolte qu'elle peut provoquer. On ne peut ni imposer l'autonomie, ni prescrire la sérénité. Cependant les plus démunis ou les personnes en situation de grande souffrance attendent souvent qu'on leur dise précisément comment elles doivent se comporter. Elles appellent à l'aide, elles veulent être assistées, soutenues, portées. Et c'est peut-être dans la subtile combinaison d'une aide respectueuse et de préconisations modestes que réside le talent du formateur, du consultant comme du soignant.
D'indispensables repères
Nous avons tous besoin de repères pour régler nos conduites, c'est-à-dire de références, d'indications, voire de normes sur ce qu'il convient de penser, de faire ou même de ressentir dans une situation donnée. Nous les construisons tout au long de notre vie, à partir de nos expériences, de ce que les autres expriment à notre égard et des règles de la société et de nos groupes d'appartenance, privés et professionnels. La formation est un des moyens essentiels, socialement organisé, pour nous permettre ou nous imposer l'élaboration ou le réaménagement des repères dont nous avons besoin pour nous situer dans chacune des positions sociales que nous occupons ou pour effectuer les tâches dont nous avons la responsabilité.
Cinq grandes catégories de repères peuvent être décrites qui constituent de grands domaines de formation, des ensembles d'objectifs, des manières d'indiquer le champ sur lequel on va s'efforcer de centrer le travail, ne serait-ce que pour une séquence déterminée :
- des repères cognitifs ou intellectuels : les connaissances, les savoirs, les techniques et les sciences, les savoir-faire, les gestes professionnels, les outils et instruments ainsi que leur usage, les méthodes, les protocoles, etc. nécessaires ou utiles à l'exercice d'une activité ;
- des repères éthiques : tout ce qu'on s'autorise ou qu'on s'interdit à partir des normes intériorisées, des gratifications recherchées et des risques encourus, la morale, la déontologie, ce qu'il est légitime de faire, et ce qui est légal, quelques principes qui régissent les relations tels que la politesse, le respect ou la tolérance ;
- des repères psychoaffectifs et relationnels : la conscience et l'image de soi, l'identité personnelle et professionnelle, la manière dont nous entrons en relation avec les autres et la manière dont nous communiquons, les gratifications recherchées, les peurs, les angoisses, nos mobiles, nos désirs, nos pulsions, nos inhibitions, ce qui détermine ou sous-tend nos émotions, nos sentiments, nos humeurs et se répercute sur nos comportements ;
- des repères institutionnels : les statuts, les rôles, les places, la distribution du pouvoir, les attributions de chacun, la circulation des informations et les modes de prises de décision, les règlements et les lois, les systèmes de contrôle et les systèmes de sanctions explicites ou implicites, les gratifications disponibles et les punitions possibles, les normes de comportement et les attentes de rôle. On retrouve ici des aspects relationnels ;
- des repères économiques : ce qui organise les échanges matériels de biens et de services, le rôle et l'influence de l'argent, le financement, les budgets, les investissements et les coûts, les salaires, la concurrence.
Évidemment, ces cinq domaines interférent. Il est possible de les subdiviser ou de regrouper plusieurs de leurs éléments. Par exemple, tous les échanges ne sont pas matériels. Le salaire est une gratification parmi d'autres qui ne sont pas de nature économique. Le politique qui organise le pouvoir institutionnel n'est pas indépendant du pouvoir économique.
On pourrait parler de repères culturels, mais cette catégorie regrouperait sans doute l'ensemble de ce qui vient d'être distingué. Le psycho-relationnel est une catégorie un peu envahissante qui tend à absorber les autres, mais qui est souvent proposée comme une entrée en formation ou en recherche, surtout dans le secteur sanitaire et social.
Il y a donc toute chance, quelle que soit l'entrée par laquelle une formation ou une intervention est organisée, d'être conduit progressivement à se situer par rapport à ces cinq types de repères.
Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les professionnels et les bénévoles des soins palliatifs. La fréquentation de la maladie grave, de la souffrance et de la mort suppose des systèmes de défense efficaces et souples que la formation peut contribuer à enrichir et à nuancer, aussi bien sur le plan intellectuel que psychologique ou organisationnel.
Un repérage adéquat est aussi un moyen de se protéger. Et la formation peut, elle-même, être un lieu de réconfort.
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