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Être à la merci de l’autre

"Ainsi depuis plus d’un an, ont été révoqués l’amour filial et conjugal, révoqués les cultes pourtant immuables depuis les débuts de la civilisation humaine : l’accompagnement des malades et des mourants jusqu’au dernier souffle de leur vie, l’hommage au défunt par un dernier regard, une dernière parole, le respect absolu de son corps, et les rites de la disparition finale de sa présence terrestre"

Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /

Publié le : 01 juin 2021

Emblématique des vulnérabilités liées à de nombreuses maladies ou accidents de la vie, que ces vulnérabilités soient provisoires ou au long cours, être « à la merci de l’autre » c’est dépendre d’un tiers pour faire face à certains besoins de vie, de soins et d’aide, c’est dépendre de sa compétence, de sa présence, de son respect, de son engagement.
Dans le cadre de la pandémie et de ses lois sanitaires d’exception, ces vulnérabilités multiples se sont exacerbées à un point que nous n’avions pas cru possible.
Historiquement au cours de ces 25 dernières années, les questions éthiques de santé mais aussi sociétales se sont élaborées à partir des enjeux de 2 maladies emblématiques des vulnérabilités cumulées : le VIH avec ses risques de contamination et de discrimination des personnes qui en sont atteintes, et la maladie neuro évolutive d’Alzheimer, emblématique par le nombre important de personnes touchées et les risques de déni de leurs droits pour les personnes qui en sont frappées, atteintes dans leurs autonomies intellectuelles, physiques, décisionnelles, sociales, affectives...
Les lois d’exception dites de l’urgence sanitaire appliquées à l’ensemble de la population française à partir de mars 2020 et prolongées jusqu’en décembre 2021, ont étendu à toute la population ce risque majeur d’être en permanence à la merci de l’autre depuis les plus simples détails de la vie quotidienne jusqu’aux enjeux ultimes de la vie et de la mort :
  • Être à la merci de l’autre dans la rue, ce peut être croiser un inconnu malade du Covid, qui ne porte pas de masque (parce qu’il n’y en avait pas au début de l’épidémie) et qui devrait s’isoler mais qui ne le veut pas ou ne le peut pas car il n’a pas les moyens concrets de le faire.  
  • Être à la merci de l’autre, c’est se retrouver sans accès aux soins qu’ils soient hospitaliers ou à un médecin traitant dans une ville ou un département en situation de désert médical, (32 communes sur 40 sont en désert médical en Seine-Saint-Denis, la Californie sans la mer du Président de la République)
  • Être à la merci de l’autre par une décision administrative de l’ARS de déprogrammation d’une opération ou d’un examen de diagnostic important, et les pertes de chance qui vont avec.
  • Être à la merci de l’autre face au tri des malades ayant droit aux soins critiques selon des hiérarchies médicales aléatoires et variables, tels l’âge ou d’obscures « polypathologies ».   
  • Être à la merci de l’autre jusque à l’atteinte suprême de pouvoir exercer son droit premier d’aimer, accompagner, soutenir un proche malade jusqu’aux derniers temps de sa vie.
  • Dans cette crise sanitaire depuis plus d’un an, toute relation humaine est devenue révocable du jour au lendemain selon des règles du jeu des pouvoirs médicaux, scientifiques et politiques illisibles et aléatoires. Aléatoires aussi par l’incroyable disparité des pratiques de mise en œuvre des instructions descendues du haut du ministère de la Santé, depuis le droit de visite des proches à l’hôpital ou en EHPAD, jusqu’aux décisions de transferts des patients dans des hôpitaux d’autres régions. Aléatoires mais aussi trop souvent contradictoires, confinant au grotesque, depuis l’utilité des masques « qui ne servent à rien » lorsqu’il n’y en avait pas jusqu’à les proclamer obligatoires ensuite, et jusqu’aux débats profonds sur le sexe de la maladie : doit-on dire le ou la Covid ?
Ainsi depuis plus d’un an, ont été révoqués l’amour filial et conjugal, révoqués les cultes pourtant immuables depuis les débuts de la civilisation humaine : l’accompagnement des malades et des mourants jusqu’au dernier souffle de leur vie, l’hommage au défunt par un dernier regard, une dernière parole, le respect absolu de son corps, et les rites de la disparition finale de sa présence terrestre aux yeux des vivants par une cérémonie funéraire.

Cette crise sanitaire aura été et est encore l’acmé de toutes les souffrances supportées, endurées par tous : la peur de l’autre et la privation des droits fondamentaux de la présence à l’autre.

A partir de ces expériences individuelles terribles dont nous pouvons tous, les uns et les autres, être les témoins ou l’avoir directement vécu, comment pouvons-nous restaurer une confiance individuelle lacérée en lambeaux, et faire revivre pour tous une société de la confiance ?