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Ethique et obligations vaccinales

"L’inertie administrative et le manque de communication ont fini par avoir un certain coût en termes de santé publique, par la recrudescence de certaines maladies faciles à éradiquer comme la rougeole. L’obligation peut aussi être un aveu d’échec."

Par: Luc Perino, Médecin, écrivain et essayiste, diplômé de médecine tropicale et d'épidémiologie /

Publié le : 29 Mars 2021

Les obligations vaccinales ont été mises en place avec la vaccination variolique à la fin du 19e siècle. L’opposition a été forte dès le début, car il s’agissait d’un vaccin vivant non dénué d’effets secondaires. Très vite, à partir des années 1920, de nouveaux vaccins (contre la diphtérie en 1923, le tétanos et la coqueluche en 1926, la poliomyélite en 1954), très surs et incontestablement très efficaces, ont entraîné l’adhésion du plus grand nombre, reléguant l’opposition à un monde sectaire.
Ce furent les « belles années » de la vaccination dont nous pouvons ainsi résumer les grands aspects : un important rapport bénéfices/risques visible par le grand public, une gestion complète par les institutions (recherche clinique et épidémiologique, fabrication par l’Institut Pasteur, établissement du calendrier vaccinal et homologations consensuelles), une mise en pratique entièrement confiée aux médecins généralistes jouissant alors d’une confiance totale, un très faible coût pour la société et la solidarité.
Cette gestion remarquable, dédiée exclusivement à l’intérêt public et en dehors du système marchand, a fini par conférer un caractère quasi-sacré à la vaccination.
Cette belle harmonie a commencé à se déliter autour des années 1980, en raison de multiples facteurs plus délicats à résumer.
Tout d’abord, la disparition des maladies visées par les vaccins a diminué la visibilité de leur rapport bénéfices/risques par le public. Dans un monde de l’immédiateté, de plus en plus perméable à la communication et à la contestation, l’image des vaccins a ainsi été victime du succès de ces derniers.

En outre, l’élargissement du calendrier vaccinal, avec l’introduction des vaccins contre l’hépatite B (1994) et le pneumocoque (2006), a créé une première vague de suspicion, car la priorité de santé publique n’a pas paru évidente aux citoyens, ni même à certains médecins. Le phénomène de suspicion s’est ensuite aggravé avec la bruyante introduction du vaccin HPV (Human Papillomavirus), pour des raisons identiques. La suspicion était d’autant plus forte que ces vaccins avaient des prix élevés, voire exorbitants, et qu’ils s’accompagnaient d’une promotion contrastant avec la discrétion coutumière en ce domaine. Pour mieux éclairer le phénomène, il convient de noter que les vaccins contre le pneumocoque et le HPV, fabriqués aux Etats-Unis, ont vite représenté à eux seuls 30% du chiffre d’affaires de toutes les vaccinations mondiales1.
Pour le dire plus simplement, les vaccins – jusqu’alors fabriqués par des entreprises quasi-institutionnelles, européennes à 90%, avec de très faibles marges, sans promotion publicitaire - venaient d’entrer dans le domaine marchand, n’échappant pas, eux non plus, à cette grande vague de domination du marché sur tous les aspects de la vie sociale, politique et sanitaire. En définitive, cette perte brutale du caractère éthique et quasi-sacré de la vaccination constitue une chute violente dont tout laisse penser que les séquelles seront définitives.
Ajoutons à cela des erreurs ministérielles successives. En 1998, la décision par Bernard Kouchner de suspendre la politique de vaccination systématique contre l’hépatite B dans les collèges avait contribué à alimenter la rumeur d’un lien éventuel avec la survenue d’une sclérose en plaques. Plus récemment, en 2009, la promotion insensée du vaccin contre la grippe H1N1 (campagne menée par Roselyne Bachelot), le moins efficace de tous les vaccins fabriqués à ce jour, a contribué à aggraver ce climat délétère. Ainsi, à plusieurs reprises, les autorités sanitaires n’ont pas su adapter leur communication à cette nouvelle défiance, opposant la précaution aux accusations infondées, l’autorité à la défiance, et le dogmatisme ministériel au dogmatisme sectaire. Tous les ingrédients étaient réunis pour aviver les polémiques dans notre pays culturellement contestataire.
Comme toujours, la contestation a fini par ne se nourrir que d’elle-même, débordant ou ignorant la science et la raison. L’un des aspects les plus marquants de ce débordement est le doute qui a fini par s’installer chez 20 à 25% des médecins (Verger et al, 2015), eux qui étaient jusqu’alors les garants des succès de la vaccination. Nous avons même pu en entendre certains, par ailleurs connus pour leur rigueur clinique et scientifique, tenir des propos incohérents ou violents. Il apparaît que, chez beaucoup d’entre eux, cette violence a été proportionnelle à leur ressenti de profanation par le marché. Tout finit toujours par avoir des relents idéologiques ou politiques !
Certains emballements médiatiques, les facilités d’Internet et le populisme des réseaux sociaux ont évidemment accéléré cette dégradation, ne laissant plus d’autre choix que celui de l’autorité.
C’est la raison pour laquelle, dans notre pays et quelques autres, les obligations vaccinales ont été renforcées, au lieu d’être supprimées comme elles auraient dû l’être depuis déjà longtemps. L’obligation vaccinale est un constat d’échec. Osons même dire que les autorités ont manqué de lucidité et de respect en ne prévoyant pas les inévitables interrogations des citoyens et des médecins devant plusieurs faits irrationnels bien antérieurs aux années 1980 : le mélange de vaccins obligatoires et non-obligatoires dans la même seringue sans autre choix possible ; le maintien illogique de trois ultimes obligations vaccinales (diphtérie, tétanos et poliomyélite) dont le caractère est plus égoïste qu’altruiste, alors que des vaccinations très altruistes comme la rougeole, la rubéole ou la coqueluche étaient simplement conseillées. L’inertie administrative et le manque de communication ont fini par avoir un certain coût en termes de santé publique, par la recrudescence de certaines maladies faciles à éradiquer comme la rougeole. L’obligation peut aussi être un aveu d’échec.
Cependant, si cette obligation semble contestable dans sa forme, elle est légitime dans son but.

Bibliographie

Verger et al. 2015. Vaccine Hesitancy Among General Practitioners and Its Determinants During Controversies: A National Cross-sectional Survey in France. The Lancet. Volume 2, Issue 8, August 2015, Pages 891-897

 

1 Cours de Claude Le Pen à l’Université Paris-Dauphine. Source : https://www.chairesante.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/chaires/chaire_sante/pdf/diapolepen.pdf