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Épidémie d’Ebola : enjeux éthiques

Le virus Ebola a été identifié en 1976 et depuis, les épidémiologistes en suivent les phases critiques sans que pour autant l’enjeu soit estimé encore digne d’y investir les compétences et les moyens conséquents qui s’imposaient. En Afrique de l’Ouest près de 20000 personnes pourraient être contaminées dans les prochains mois ; à ce jour on déplore près de 2000 décès.

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 08 Septembre 2014

Qu’il ait été nécessaire d’organiser une concertation d’experts en éthique pour arbitrer, le 11 août dernier, la décision de mise à disposition d’approches thérapeutiques en cours d’expérimentation – ne serait-ce qu’à titre compassionnel – peut surprendre. L’argumentation éthique  justifiant le recours à des protocoles dits compassionnels procède en effet d’une conception acquise du principe de « moindre mal » : il peut apparaître préférable, sous certaines conditions et en ne négligeant pas l’attention portée à l’intérêt supérieur de la personne, d’agir avec les moyens disponibles, faute de mieux, plutôt que de renoncer et de pousser la prudence aux limites de l’acceptable. La Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale qui fixe les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, est explicite à cet égard dans son article 37 : « Dans le cadre du traitement d’un patient, faute d’intervention avérée ou faute d’efficacité de ces interventions, le médecin, après avoir sollicité les conseils des experts et avec le consentement du patient ou de son représentant légal, peut recourir à une intervention non avérée si, selon son appréciation professionnelle, elle offre une chance de sauver la vie, rétablir la santé, ou alléger les souffrances du patient. (…) » Il aurait été certainement plus éthique d’anticiper les conditions de mise en œuvre d’une démarche expérimentale, d’énoncer les termes d’arbitrage entre les avantages attendus et les effets redoutés en se référant aux nombreux travaux de recherche disponibles : ces études permettent également d’envisager la distribution de traitements en quantité limitée selon une hiérarchisation juste des priorités. L’OMS dispose des compétences que met à sa disposition sa propre instance d’éthique dotée d’un réseau de centres collaborateurs. N’aurait-il pas été opportun de lui confier une mission relative au recours possible à des sérums dits « de convalescence », obtenus à partir du plasma de personnes ayant contracté le virus mais qui ont développé des réponses immunitaires leur permettant de guérir ? Si nécessaire, une concertation approfondie et suivie de recommandations aurait pu traiter des conditions d’usage de traitements non homologués. Nous rappeler les règles de consentement, de confidentialité, de justice dans la mise à disposition des traitements paraît bien formaliste voire dérisoire quand on se confronte un instant à la réalité du terrain.
 
En 1996, avec le Directeur général de l’Agence national de recherche sur le sida (ANRS) nous avons organisé dans différents pays d’Afrique francophone des rencontres avec l’ensemble des personnes concernées afin d’établir les bases d’une charte d’éthique de la recherche dans les pays en développement. J’ai alors été marqué par la position de certaines personnes vivant avec le VIH-sida : elles nous exhortaient à ne pas édicter des règles à ce point restrictives qu’elles limiteraient l’accès à la recherche représentant pour elles le seul moyen de bénéficier d’un possible traitement : « Nous mourrons du sida ; l’urgence c’est avant toute autre considération l’action ! » De quel côté doit donc se situer la préoccupation éthique en situation de catastrophe humanitaire ? Certaines disputations savantes, la soumission à l’institutionnalisation d’une pensée ne font-elles pas perdre toute crédibilité à ces initiatives dites éthiques, trop souvent assimilables à une approche palliative instrumentalisée au point d’en abolir leur légitimité ?
 
Je suis persuadé que la seule démarche recevable doit se référer aux valeurs de notre démocratie, celles qui justifient désormais une implication concrète et sans équivoques auprès des personnes accablées par cette menace supplémentaire que constitue pour elles l’épidémie d’Ebola. Elles espèrent de notre part une éthique de la responsabilité partagée.