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Enjeux éthique des limitations et arrêts de traitements à la phase aigue des accidents vasculaires cérébraux graves
"Les décisions de LAT dans les situations d’AVC graves n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques [...]. Elles sont habituellement justifiées par un pronostic jugé « catastrophique » qui amène à envisager ce que pourrait être un handicap « inacceptable ». Or émettre un jugement sur la valeur de la vie d’un individu pose de nombreuses questions éthiques, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif."
Par: Sophie Crozier, Neurologue, praticien hospitalier, CHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP, EA 1610, université Paris Sud /
Publié le : 11 Février 2014
Émettre un jugement sur la valeur de la vie
L’accident vasculaire cérébral (AVC) est une pathologie fréquente et grave. Avec près de 150 000 nouveaux cas par an en France, elle est la première cause de handicap chez l’adulte et la troisième cause de mortalité. Plus de 20 % des patients décèdent au cours du premier mois et près d’un quart des survivants restent dépendants[1]. Dans les situations les plus sévères, l’absence d’initiation, la limitation ou l’arrêt de certains traitements (LAT) sont parfois discutés quand le pronostic s’avère particulièrement « catastrophique ». Ces décisions de LAT peuvent être précoces (abstention ou arrêt de réanimation) ou plus tardives (arrêt de certains traitements et/ou de la nutrition et de l’hydratation artificielles).
Les décisions de « non-réanimation » ou « do-not-resuscitate orders » (DNR orders) prises à la phase aigue des AVC, sont relativement fréquentes dans les études nord-américaines, puisqu’elles figurent dans près d’un tiers des dossiers médicaux des patients admis pour un AVC. Les principaux facteurs associés aux « DNR orders » sont la gravité neurologique, l’âge, les comorbidités associées graves et l’autonomie antérieure du patient[2]. Cependant, d’autres éléments non médicaux interviennent dans ces décisions, comme le type et les moyens de l’hôpital accueillant le patient[3].
Les décisions de LAT dans les situations d’AVC graves n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques mais seraient à l’origine de près 50 000 décès en réanimation aux États-Unis[4]. Elles sont habituellement justifiées par un pronostic jugé « catastrophique » qui amène à envisager ce que pourrait être un handicap « inacceptable ». Or émettre un jugement sur la valeur de la vie d’un individu pose de nombreuses questions éthiques, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.
La question du pronostic neurologique
La prédiction individuelle du handicap, et plus encore celle de la qualité de vie future d’autrui, est particulièrement complexe. Elle s’appuie non seulement sur des connaissances pronostiques qui restent limitées et parfois biaisées, mais aussi sur de nombreux facteurs, tant liés au patient et à sa situation psycho-sociale, qu’aux médecins prenant les décisions.
Un des biais les plus importants dans les études sur la mortalité des hémorragies cérébrales est sans doute l’absence de prise en compte du niveau d’engagement thérapeutique. En effet, plusieurs études ont montré que la mortalité était d’avantage liée à la prédiction subjective de décès du patient faite par le médecin qu’aux critères de gravité des AVC[5]. Or ce type de croyances conduit presque inéluctablement à un moindre engagement thérapeutique, notamment à l’absence de mise en œuvre d’une réanimation, qui peut alors aboutir au décès du patient. Ce cercle vicieux, décrit sous le terme de prophéties autoréalisatrices, est maintenant bien démontré, non seulement dans les situations d’AVC mais aussi en réanimation[6].
Par ailleurs, si la prédiction du handicap « séquellaire » est incertaine, celle de la qualité de vie future l’est encore plus. Car cette dernière n’est pas toujours corrélée à l’importance du handicap et elle est différemment perçue par les patients, qui la trouvent souvent meilleure que celle décrite par des observateurs extérieurs. Cette différence entre handicap perçu et handicap vécu, définie sous le terme de « Disability paradox », souligne à la fois les capacités d’adaptation des patients à des handicaps même très sévères, mais aussi la difficulté à se représenter la qualité de vie d’autrui[7].
L’évaluation pronostique ne peut donc se faire qu’au cas par cas, et vise à tenter de prédire ce que pourrait représenter un handicap sévère pour un patient dans une situation particulière. Il ne s’agit pas en effet de définir si tel ou tel handicap pourrait être inacceptable « en général », ou si certaines catégories de patients auraient à coup sûr une qualité de vie épouvantable. Car cette tentation pourtant bien présente dans une médecine souvent normative, est dangereuse. Comment pourrait-on en effet décider collectivement que la vie d’une certaine catégorie de patients ne vaudrait pas la peine d’être vécue ?
Enfin, à côté de ce critère central du pronostic, les décisions de LAT dépendent également d’autres facteurs comme les contraintes organisationnelles (notamment le type d’hôpital accueillant le patient), ou les caractéristiques du médecin prenant la décision (son âge, sa religion, son expérience, son éventuel surmenage et sa personnalité pessimiste ou optimiste)[8].
Processus décisionnel en contexte d’incertitude médicale
La connaissance de ces nombreux biais et facteurs intervenant dans la décision médicale permet de mener une réflexion aussi juste que possible, où l’ensemble des arguments, médicaux et non médicaux, est pris en compte. Les discussions de LAT reposent sur une approche de « décision partagée », qui permet de fixer des objectifs simples dans le cadre d’un projet de soins établi avec les proches. Ce projet de soin doit être centré sur le patient dont les souhaits et valeurs sont interrogés, en recherchant d’éventuelles directives anticipées ou en recueillant le témoignage des proches et/ou en faisant intervenir la personne de confiance (même si ces dispositifs législatifs sont rares dans les pathologies aigues). La procédure collégiale, inscrite dans la loi relative aux droits des malades et fin de vie du 22 avril 2005[9], invite à des discussions au sein du service avec les soignants et/ou avec d’autres équipes. Ces échanges de points de vue sont également un moyen d’éviter certaines décisions fondées sur des croyances personnelles pouvant conduire à des prophéties autoréalisatrices. Ils engagent à une réflexion éthique, essentielle dans ces situations complexes.
Les décisions de LAT dans les situations d’AVC grave sont particulièrement difficiles car elles reposent sur une estimation pronostique incertaine et font appel à des concepts délicats comme celui de « vie valant la peine d’être vécue ». Elles nécessitent une grande prudence et une évaluation au cas par cas qui engage la responsabilité médicale. Une réflexion éthique dans cette prise en charge est indispensable car il ne s’agit ni de poursuivre des traitements devenus futiles, et de s’engager alors dans l’obstination déraisonnable, ni de limiter des traitements sur des « croyances pronostiques » qui pourraient conduire à des prophéties autoréalisatrices. Les enjeux de telles décisions sont majeurs tant au niveau individuel que collectif. Ils touchent au respect de la dignité humaine et à la manière de penser et de construire la société dans laquelle nous souhaitons vivre.
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