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Directives et discussions anticipées : du dispositif juridique à l’acte de soin
"Le dispositif des directives anticipées est peu connu et utilisé des patients avec une très faible appropriation par les professionnels de santé, alors que les réflexions successives menées par Didier Sicard2, et le Comité consultatif national d’éthique CCNE en promeuvent le développement et le renforcement en proposant de les rendre contraignante pour l’équipe médicale."
Par: Pascale Vinant, Praticien hospitalier, Unité mobile douleur et soins palliatifs, groupe hospitalier Cochin-Saint Vincent de Paul-La Roche Guyon, AP-HP /
Publié le : 05 Février 2015
Faire connaitre sa volonté anticipée
Selon une étude récente1, la fin de vie est prévisible en France pour 83 % de patients ; pour 82 % d’entre eux, des décisions médicales seront à prendre et concerneront : le statut réanimatoire, les éventuelles limitations et arrêts de traitement à visée curative ou de support, les traitements symptomatiques et de confort, le lieu de soin. Ces décisions interviendront pour la majorité des patients à un moment où ceux-ci ne seront plus en capacité de s’exprimer posant ainsi la question des moyens à mettre en place pour que les volontés des patients en fin de vie puissent être respectées. De nombreux pays ont légiféré sur le thème des volontés anticipées en fin de vie, en donnant deux possibilités aux patients : désigner un mandataire (personne de confiance en France) qui peut être dépositaire de la volonté de la personne et écrire par avance des directives anticipées qui permettent de faire connaitre les souhaits et volontés en fin de vie.
Les directives anticipées ont un statut légal en France depuis la loi du 22 avril 2005. Il s’agit d’un document écrit par la personne, malade ou non, qui a pour -objectif de faire connaitre sa volonté anticipée en situation de fin de vie si elle n’était plus en capacité à l’exprimer. Elles sont consultées par l’équipe de soin, au même titre que la personne de confiance pour toute décision de limitation ou d’arrêt de traitement dès lors que le patient ne peut plus exprimer sa volonté, dans le cadre de la procédure collégiale. Elles ne sont pas liées juridiquement à la notion de personne de confiance, pourtant ces deux dispositifs partagent le rôle d’être dépositaire de la volonté anticipée du patient. Les directives anticipées sont valables trois ans, et contrairement à de nombreux pays d’Europe, sont non contraignantes pour le médecin qui selon la loi « en tient compte » au sein du processus décisionnel.
Le dispositif des directives anticipées est peu connu et utilisé des patients avec une très faible appropriation par les professionnels de santé, alors que les réflexions successives menées par Didier Sicard2, et le Comité consultatif national d’éthique CCNE3,4 en promeuvent le développement et le renforcement en proposant de les rendre contraignante pour l’équipe médicale. Si les bénéfices de ces dispositifs lorsque les patients les ont rédigées apparaissent clairement comme une aide au processus décisionnel et une aide à la personne de confiance, de nombreuses limites sont aussi rencontrées dans la mise en pratique de ce dispositif. En effet, ces dispositifs s’inscrivent au sein d’un processus décisionnel reconnu comme complexe en fin de vie.
Projection dans une situation future
Les principales limites de ces dispositifs sont en lien, d’une part, avec le risque de violence psychique générée par la projection souvent difficile et angoissante dans une situation de fin de vie et, d’autre part, avec les limites liées à la temporalité. La projection dans une situation future plus ou moins hypothétique est complexe puisque l’on ne sait ni précisément ce qui va se passer, ni ce que l’on souhaitera à ce moment. En effet, notre volonté actuelle pour un futur hypothétique ne peut pas prendre en compte notre capacité humaine d’adaptation face à la situation qui se présentera. Par ailleurs, ma volonté aujourd’hui est liée à des représentations parfois erronées vis-à-vis de situations non connues. Cependant, cette adaptabilité humaine ne saurait justifier pour autant des actes médicaux non souhaités par les patients car portant atteinte à leur dignité ou entrainant une souffrance.
Les limites des directives anticipées sont pour une partie liées au fait qu’il s’agit d’un dispositif juridique avec une certaine normativité qui s’accorde plus ou moins facilement aux réalités cliniques vécues par les équipes soignantes, les patients et leur entourage. Cependant, la visée première de ces directives – mieux connaitre la volonté de la personne – reste centrale dans le processus décisionnel. Les directives anticipées peuvent être ainsi un outil structurant permettant d’ouvrir un dialogue souvent difficile à initier concernant une éventuelle aggravation. Il est nécessaire d’évoluer d’un dispositif juridique avec ses limites et ses risques à une réelle démarche de soin.
La démarche d’anticipation des volontés, qui comprend l’information pronostique face à l’aggravation progressive d’une maladie, appelée également discussion anticipée sur la fin de vie, est d’abord un acte de soin qui permet souvent au patient d’éviter des situations de crise et de souffrance. Cette démarche est un processus progressif, dynamique, pluridisciplinaire et accompagné dans le cadre d’un dialogue entre le patient et son équipe. Elle ne concerne pas que d’éventuelles décisions à prendre mais aborde également les valeurs et les projets de la personne et intègre, si le patient le souhaite, la personne de confiance. Ces discussions anticipées ont montré un bénéfice en oncologie sur la qualité de vie, sur la trajectoire des patients avec moins de soins agressifs en fin de vie et sur la qualité du deuil de l’entourage. Il faut souligner ici l’importance des compétences à acquérir pour mener ce type d’entretien et des organisations des soins en regard, permettant en particulier une intégration précoce des soins palliatifs dans la trajectoire de soin du patient. En effet, la vulnérabilité des personnes ne doit pas faire renoncer au principe d’autonomie mais inciter à réfléchir et à découvrir les conditions nécessaires au déploiement de l’autonomie de la personne en situation de vulnérabilité.
Références
1. Pennec S, Monnier A, Pontone S, Aubry R. End-of-life medical decisions in France: a death certificate follow-up survey 5 years after the 2005 Act of parliament on Patients’ rights and End of life. BMC Palliat Care. 2012 ; 11(1):25.
2. Sicard, D. Commission de réflexion sur la fin de vie en France. Penser solidairement la fin de vie. Rapport à François Hollande, président de la République Française ; décembre 2012.
3. Comité consultatif national d’éthique. Avis 121 : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » ; décembre 2013.
4. Comité consultatif national d’éthique, « Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie » ; octobre 2014.