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Dialogue sociétal en situation d’urgence : apprendre des crises

Comment comprendre et apprendre des crises, vouloir les gérer, mieux les anticiper, dans l’intérêt collectif et non comme un tremplin à la notoriété à la conquête ou à la séquestration du pouvoir par le savoir ?

Par: Annie Clerc de Marco, Médecin, consultante experte en risques /

Publié le : 09 Octobre 2009

Ce n’est pas tant le « débat démocratique » qu’il faudrait regretter maintenant qu’il est impossible et annonce même un affrontement social en cas de catastrophe ? Serait-ce l’absence de pédagogie et de dialogue.

Il faut tenter de comprendre pourquoi, on en arrive là, à chaque crise.

Il convient de savoir privilégier et éduquer pour dialoguer et non discuter, ce qui n’est autre que savoir assurer des idées dans une compétition où chacun cherche à discréditer l’autre.

Car pour savoir dialoguer, il faut savoir garder l’équilibre entre le sens critique et sa conviction personnelle. Accepter de se « soumettre » à l’influence, au talent et à la compétence des autres, dès lors qu’ils acceptent de révéler leurs vraies motivations. C’est ainsi que l’on redonnera du sens au mot de transparence qui n’est rien sans la loyauté.

Il faudra aussi apprendre à apprendre ensemble et se voir comme une partie intégrante d’un tout plutôt que comme un élément autonome détenteur de la vérité.

Enfin, réaliser que nos problèmes et les crises viennent de nos actes et déclarations plus que d’une autre personne, une chose ou un événement extérieurs. En un mot, apprendre des crises et vouloir les gérer, mieux les anticiper, dans l’intérêt collectif et non comme un tremplin à la notoriété à la conquête ou à la séquestration du pouvoir par le savoir.

 

Autorités, experts, acteurs

L’engagement collectif face à une situation à enjeux élevés – dans un climat de confiance sociale – suppose non seulement la maitrise des risques mais également la justification sociale du plan d’intervention envisagé. C’est dire...  car  déjà extrêmement complexe dans le cas d’une activité à risques « induits » ou endogènes, puisque l’acceptabilité du risque trouvera son fondement même dans la justification sociale de l’activité à l’origine du potentiel de risques. Mais ceci semble « insurmontable » face aux risques « subis » ou exogènes voire perçus comme inhérents au destin et la fatalité.

La sociologie des risques nous enseigne que trois grandes catégories mobilisées vont inter-réagir en situation sensible :

  • Les autorités publiques
  • Les experts
  • Les acteurs de crise, c’est-à-dire ceux pour lesquels une activité ou une situation à risque va être inextricablement liée à des enjeux positifs ou négatifs.

Ces différents « partenaires » du risque seront confrontés soit au paradigme d’autorité soit à celui de la « confiance mutuelle ».

Du mélange des deux approches naissent les logiques d’affrontement qui font le lit des crises.

Ainsi, les autorités publiques croyant à leur monopole s’agissant de l’intérêt général vont élaborer des réglementations, ou plans, « centralisés » en demandant aux experts de leur fournir des explications pour des « réponses optimales et immédiates » dont la légitimité ne reposera que sur le « savoir » scientifique.

Le paradigme de confiance s’appuie, lui, sur le rôle des acteurs de crise « porteurs » d’enjeux différents et qui auront donc à définir la gestion du « bien commun » et à faire prévaloir l’intérêt collectif. Ils devront donc intervenir très tôt et en amont des processus de décision, limitant ainsi la « suprématie » d’un savoir exclusivement scientifique – rendu accessible à tous – et ne représentant plus le principal, voire le seul, facteur de décision.

Si la science constitue un appui important à la prise de décision, la complexité de certaines situations – aux enjeux forts, voire conflictuels – rend délicate la prise de décision politique. Depuis les « affaires », les pouvoirs publics trouvent leur légitimité dans une référence excessive, voire exclusive, au caractère scientifique de leurs décisions.

Mais les controverses scientifiques déplacent le débat et affectent la crédibilité des experts comme de l’action publique. Les différentes étapes du processus décisionnel, comme les incertitudes scientifiques ou les divergences d’objectifs et les négociations ou encore les risques résiduels, sont rarement rendus publiques et portés à la connaissance de la société.

Dès lors d’autres facteurs jamais explicitement évoqués – l’acceptabilité sociale, la compétitivité économique... – lorsqu’ils émergent, sont présentés, commentés et vécus comme des chocs de révélation d’un complot du silence, avant tout autre thèse assimilée à la conspiration.

Rien à voir donc avec l’irrationalité d’une société civile paralysée par la peur ou contradictoire au point d’exiger tout et son contraire. D’autant que les experts – issus des milieux scientifiques – contribuent à entretenir la confusion entre activité scientifique et activité d’expertise, soit la distinction entre une démarche d’évaluation et les recommandations de gestion des risques.

Engrenages

Il faut alors beaucoup d’humilité, pour «prévenir » que l’évaluation des risques repose en partie sur un savoir disponible, donc lacunaire, dont les inévitables incertitudes rendent la modélisation plus ou moins satisfaisante.

Il faut alors redoubler de pédagogie et de respect pour faire comprendre, en début de situation sensible, que plusieurs scénarii peuvent cohabiter jusqu’à plus ample informé et instruit !

De plus, dans un souci d’efficacité et parfois d’arrogance du « pouvoir du savoir », les dimensions d’incertitude, de dilemme d’objectifs souvent divergents, le processus d’expertise est « séquestré » et seulement partagé par les élites. Dès lors, les décisions collectives sont caractérisées par une forte opacité de la rétention d’information. C’est l’engrenage de la crise.

Pourtant les décisions des autorités sont présentées, dans la précipitation de l’immédiateté médiatique, comme la conséquence logique de conclusions scientifiques indubitables !

En effet, les experts sont présentés comme garants d’indépendance, d’objectivité et de rigueur. Leurs analyses seraient exclusivement fondées sur les faits sans influence d’opinion personnelle et de jugement subjectif.

Ce recours, cette construction à la légitimité scientifique évacuent le débat sur le fonctionnement démocratique et évitent d’expliquer publiquement les motivations et fondements mêmes, véritablement politiques, des décisions.

 

Vers un ébranlement de la confiance sociale ?

Plus redoutable encore, la « perception » des avis scientifiques – par les populations – apparaît comme des écrans de fumée suscités par crainte de divulguer des informations sur les incertitudes et les valeurs qui prévalent aux décisions des autorités, ou de brouiller la hiérarchie des urgences et des priorités.

Ceci peut procéder d’une crainte, celle que redoutent les décideurs qu’une diffusion d’informations, de toutes les informations, ne soit médiatisée et provoque une controverse entre experts dont le crédit de certains serait moins fondé sur la compétence que l’indépendance.

Nous y sommes ! Et cette médiatisation participe au trouble et au sentiment d’insécurité de la population. C’est la radicalisation de certaines minorités conquérantes qui fournissent leurs propres experts de plus en plus conflictuels, alimentant des controverses sans fin.

Ceci renforce l’ébranlement de la confiance sociale qui vient de traverser les « trente calamiteuses » de 1976 à 2009 du sang contaminé en passant par l’ESB, la fièvre aphteuse, la canicule, le chikungunya... On comprend mieux alors comment les profiteurs de mythes font appel à notre imaginaire, riche de récits, pour relier des bribes d’informations qui vont donner le tout cohérent et l’explication à l’inimaginable... qu’est devenue la crise.

L’absence de connaissance de la systémique des phénomènes de crise, la résistance à apprendre du passé et les luttes de pouvoir disqualifient toute gouvernance des risques et avec... le nécessaire dialogue sociétal sur les enjeux éthiques et démocratiques en situation d’urgence.